Comptes rendus

Michel Bitbol, Maintenant la finitude. Peut-on penser l’absolu ?, Paris, Flammarion, « Bibliothèque des savoirs », 2019, 520 pages[Record]

  • Stéphane Bastien

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  • Stéphane Bastien
    Cégep de l’Outaouais

Dans ce nouvel ouvrage engageant et éclairant, le philosophe Michel Bitbol, spécialiste de l’épistémologie de la physique et de la philosophie de l’esprit, nous invite à renouer avec notre finitude humaine et la façon dont notre condition d’être-situé participe de l’absolu. Mais pour l’auteur de Maintenant la finitude, qui puise ses outils philosophiques dans la phénoménologie transcendantale et la mécanique quantique, le pragmatisme et l’énactivisme, ou encore du côté du bouddhisme madhyamaka, l’absolu n’est pas l’aboutissement d’une pensée spéculative, ni ne peut être associé à un « grand objet » subsistant indépendamment de la connaissance humaine. Pour l’être-situé que nous sommes, connaître implique une relation cognitive qui consiste à discriminer, sélectionner, conceptualiser, dans le but de formuler des jugements objectifs portant sur les phénomènes. En ce sens, la connaissance est corrélationnelle et, par conséquent, elle ne porte pas sur l’état (absolu) de la chose en soi, mais seulement sur sa manière d’apparaître relativement à un sujet connaissant. Pour autant, si l’absolu n’est pas un objet de la pensée, ce n’est pas parce qu’il constituerait un règne hors du monde, mais parce qu’il s’agit de l’il y a, toujours déjà , vécu dans le présent vivant de l’expérience, par le saisissement silencieux de « l’immémoriale apparition ». Une telle formulation de la notion d’absolu peut donner l’impression de céder à la tentation d’une pensée cryptique, mais elle s’éclaire superbement à travers les analyses philosophiques rigoureuses et étoffées qui constituent les huit chapitres de Maintenant la finitude. Qui plus est, chemin faisant, elle se révèle comme étant la seule façon sensée d’envisager l’absolu, non seulement d’un point de vue phénoménologique mais également d’un point de vue scientifique. D’entrée de jeu, notons que l’opposition contemporaine entre les approches réalistes et les approches anti-réalistes en matière de théorie de la connaissance, tout particulièrement en ce qui concerne la question de ses conditions de possibilité, constitue l’arrière-plan de l’entreprise philosophique de Bitbol. Nous le savons, cette problématique, qui traverse l’ensemble de la pensée moderne, a reçu sa configuration archétypale dans le cadre du projet de la philosophie critique de Kant. De fait, l’épistémologie transcendantale kantienne avait en quelque sorte annoncé la fin de toute métaphysique spéculative prétendant accéder à une réalité en soi, précisément parce que la connaissance présuppose une corrélation entre un sujet connaissant et les phénomènes. Or c’est en adoptant le contre-pied de cette épistémologie corrélationniste initiée par le kantisme que se sont érigés, dans les dernières décennies, des courants philosophiques qui se réclament d’un nouveau réalisme. Dans Maintenant la finitude, Bitbol choisit de présenter ses thèses en se donnant pour mission de répondre aux critiques que l’une des formes du néo-réalisme contemporain, soit le « matérialisme spéculatif » de Quentin Meillassoux, adresse au corrélationnisme. Toutefois, c’est beaucoup plus qu’à une apologie du corrélationnisme que nous convie Bitbol. En répliquant systématiquement au matérialisme spéculatif, il propose conjointement une reconstruction philosophique de la signification de la démarche scientifique et du sens de l’expérience humaine en général. Mais avant d’exposer les réponses que Bitbol avance en guise de défense du corrélationnisme, commençons par préciser la position de son adversaire. Qu’est-ce que le matérialisme spéculatif ? Il s’agit, comme l’explique Bitbol, d’une posture ontologique d’inspiration réaliste selon laquelle « […] on peut penser ce qui est, indépendamment de toute pensée, de toute subjectivité ». Autrement dit, suivant le matérialisme spéculatif, l’intelligence humaine peut accéder à ce qui existe en soi et, conséquemment, à ce qui n’est pas relatif à nous. En cela, il s’oppose à la tradition kantienne, de même qu’à toutes ses variantes (post-kantiennes, néo-kantiennes ou …

Appendices