Dans Récit et reconstruction, Claude Panaccio présente une conception originale, claire et solide de l’histoire de la philosophie. Cette conception est le fruit de plus de deux décennies de réflexion sur les enjeux les plus fondamentaux de l’histoire de la philosophie (cf. Panaccio, 1994, 2000 et 2000a) et est sans équivalent dans la littérature francophone des trente ou quarante dernières années. La question au coeur de la réflexion de Claude Panaccio sur l’histoire de la philosophie est celle de « l’opposition de principe entre continuisme et discontinuisme » (p. 11), c’est-à-dire celle de l’opposition qui subsiste entre ceux qui sont convaincus qu’il n’y a pas de fractures ou de discontinuités importantes dans l’histoire de la philosophie et ceux qui pensent qu’il y a, au contraire, de telles discontinuités. Cela dit, la question qui, à mon avis, sera reçue comme la plus intéressante de l’ouvrage est plutôt celle, intimement liée à cette dernière, de la plus ou moins grande pertinence de l’histoire de la philosophie pour la philosophie contemporaine. Sur ces questions, Claude Panaccio défend une position continuiste qui maintient la pertinence de l’histoire de la philosophie pour la philosophie contemporaine, dans sa dimension aussi bien doctrinale qu’historique (p. 12). Il soutient que l’histoire de la philosophie est philosophiquement pertinente, au moins en ce sens qu’il y aurait un usage philosophique possible de l’histoire (p. 210). Afin de pouvoir apprécier cette position de Claude Panaccio, il importe, dans un premier temps, de se pencher sur ce qu’il faut entendre exactement ici par « la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie », de même que sur les arguments qui la sous-tendent (2). Une fois que cette thèse de la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie aura été clarifiée, je la soumettrai à un examen critique (3 et 4). La conclusion de cet examen ne remettra pas en cause la thèse en question. À ce sujet, je pense que Récit et reconstruction démontre que l’histoire a effectivement, au sens où Claude Panaccio l’entend, une pertinence philosophique. Cependant, je soutiendrai qu’il y a de bonnes raisons de penser que cette pertinence n’est pas aussi importante que ce que Récit et reconstruction suggère. Selon Claude Panaccio, en plus de son intérêt historique, l’histoire de la philosophie a une réelle pertinence philosophique du fait de l’intérêt de sa contribution potentielle à la réflexion philosophique contemporaine, qui peut être plus ou moins important, dépendamment du projet historique qui nous concerne. C’est là une position qu’il avance à plus d’une reprise dans Récit et reconstruction, notamment dans les passages suivants : Cette idée que l’histoire de la philosophie est en mesure de contribuer à l’« approfondissement » de problèmes philosophiques contemporains ou de « nourrir la réflexion actuelle sur un thème généralement reconnu comme philosophique », ou encore de « contribuer à cette grande conversation » qu’est la philosophie, c’est ce que j’appellerai la thèse de la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie (TPPHP), du moins dans ses formulations générales. Telle que l’entend Claude Panaccio, la TPPHP se compose de deux sous-thèses. Elle comprend ce que j’appellerai : L’histoire de la philosophie, entendue ici au sens de l’ensemble des contributions passées de la philosophie, est, en principe, en mesure de contribuer à la réflexion sur les problèmes philosophiques actuels. et L’histoire de la philosophie, entendue ici dans le sens de discipline, c’est-à-dire l’historiographie de la philosophie, met en oeuvre des opérations qui permettent de comprendre et d’évaluer les contributions philosophiques du passé. Autrement dit, pour Claude Panaccio, la pertinence philosophique de l’histoire de la …
Appendices
Bibliographie
- Brentano, F. (1895). « Les quatre phases de la philosophie et son état actuel », in Essais et conférences, vol. I, D. Fisette et G. Fréchette (dir.), trad. par H. Taieb, Paris, Vrin, 2018, p. 141-166.
- Brentano, F. (1888). « La méthode de la recherche historique dans le domaine de la philosophie » in Essais et conférences, vol. I, D. Fisette et G. Fréchette (dir.), trad. par D. Fisette, Paris, Vrin, 2018, p. 129-140.
- Engel, P. « La philosophie analytique doit-elle prendre un “tournant historique” ? », in Philosophie analytique et histoire de la philosophie, J.-M. Vienne (dir.), Paris, Vrin, 1997, p. 139-152.
- Mulligan, K. « Sur l’histoire de l’approche analytique de l’histoire de la philosophie : de Bolzano et Brentano à Bennett et Barnes », in Philosophie analytique et histoire de la philosophie, J.-M. Vienne (dir.), Paris, Vrin, 1997, p. 61-103.
- Panaccio, C. Récit et reconstruction. Les fondements de la méthode en histoire de la philosophie, Paris, Vrin, 2019.
- Panaccio, C. « Le geste de l’universel et l’insistance des problèmes », in La métaphysique, son histoire, sa critique, ses enjeux, L. Langlois et J.-M. Narbonne (dir.), Paris/Québec, Vrin/PUL, 2000, p. 234-241.
- Panaccio, C. (2000a), « Philosophie analytique et histoire de la philosophie », in P. Engel (dir.), Précis de philosophie analytique, Paris, PUF, 2000, p. 325-344.
- Panaccio, C. « De la reconstruction en histoire de la philosophie », in La philosophie et son histoire, G. Boss (dir.), Zurich, Éditions du Grand Midi, 1994, p. 173-195.
- Panaccio, C. Les mots, les concepts et les choses. La sémantique de Guillaume d’Occam et le nominalisme aujourd’hui, Montréal/Paris, Bellarmin/Vrin, 1992.
- Schlick, M. (1930). « Le tournant de la philosophie », in Philosophie des sciences. Tome I, S. Laugier et P. Wagner (dir.), trad. par D. Chapuis-Schmitz, Paris, Vrin, 2004, p. 177-186.
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- Wittgenstein, L. Wittgenstein’s Lectures, Cambridge, 1930-32, Oxford, Blackwell, 1980.