Comptes rendus

Pauline Clochec. Pour lire L’essence du christianisme de Ludwig Feuerbach, Paris, Éditions sociales, 2018, 191 pages[Record]

  • Emmanuel Chaput

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  • Emmanuel Chaput
    Université d’Ottawa

L’ouvrage de Pauline Clochec, Pour lire L’essence du christianisme de Ludwig Feuerbach, constitue une belle introduction non seulement au magnum opus du philosophe aujourd’hui plus connu pour avoir été l’objet de thèses de Marx que pour son oeuvre propre. Il constitue en outre une introduction au contexte historique, philosophique et politique qui mena à la rédaction de l’ouvrage L’essence du christianisme (1841), ouvrage qui marqua véritablement son époque. Le premier mérite de l’auteure est ainsi de chercher à extraire la pensée feuerbachienne du carcan interprétatif hérité du marxisme qui le réduit trop souvent à un simple précurseur avec toute l’ambivalence qu’un tel statut implique : Et même si l’auteure retombe elle-même en un sens, à la toute fin de l’ouvrage, dans le piège consistant à évaluer la pensée feuerbachienne à l’aune de sa critique marxienne (p. 167-168), l’essentiel de l’ouvrage parvient adéquatement à éviter ce travers (à la p. 72 par exemple). Il offre ainsi une excellente porte d’entrée, pour le lecteur francophone, à la pensée feuerbachienne telle qu’elle se présente dans L’essence du christianisme. L’ouvrage de Clochec ne vise pas en effet à donner une vue générale de la philosophie feuerbachienne. L’auteure se limite de facto aux positions défendues dans L’essence du christianisme et aux textes ayant contribué de près ou de loin à sa genèse. Il sera ainsi peu ou pas question des orientations subséquentes que Feuerbach donnera à sa pensée. Cela est tout à fait naturel dans la mesure où l’exposition des positions défendues dans L’essence du christianisme et leur genèse constitue déjà une vaste tâche. Il est cependant plus surprenant de constater l’absence de commentaires sur la réception qu’obtint l’ouvrage à la suite de sa publication, que ce soit dans les milieux conservateurs, catholiques ou protestants, ou chez les Jeunes Hégéliens eux-mêmes, comme Bruno Bauer ou Stirner. Les réponses de Feuerbach à ses détracteurs peuvent en effet, par les explications qu’il livre, enrichir notre compréhension de son ouvrage. Cette absence reste néanmoins excusable en raison de l’ampleur des polémiques qu’il aurait fallu traiter. L’ouvrage de Clochec se divise essentiellement en trois parties suivant un « triple fil directeur, politique, anthropologique et philosophique » (p. 13). La première retrace le cheminement intellectuel et philosophique de Feuerbach jusqu’à la publication de L’essence du christianisme. La seconde partie présente le cadre historique, philosophique et politique, ainsi que les principales thèses défendues dans l’ouvrage. La troisième partie enfin prend la forme d’une « lecture cursive » (p. 13), c’est-à-dire d’un commentaire rapide de l’ouvrage section par section. Le tout est suivi de courts extraits de L’essence du christianisme traduits par l’auteure. Les deux premières parties de l’ouvrage sont particulièrement captivantes et permettent de se familiariser avec des textes de jeunesse de Feuerbach souvent peu commentés, mais essentiels pour comprendre son développement au sein de l’École hégélienne, puis sa prise de distance avec celle-ci. L’auteure y montre sa grande maîtrise du contexte historique et politique de l’époque du Vormärz, ainsi que des débats philosophiques qui marquent l’École hégélienne à l’époque. Au-delà de cette dimension contextualiste des plus enrichissantes, Clochec démontre également une bonne maîtrise des thèses centrales de L’essence du christianisme qu’elle parvient à exposer avec clarté. À titre d’exemple, citons ce passage qui résume la conception feuerbachienne de la religion : Une telle posture, comme le note bien l’auteure, ne saurait être réduite ni à la critique de la religion opérée par les Lumières françaises (p. 57) ni à une tentative de sauvetage du noyau rationnel de la religion à la manière des Lumières kantiennes (p. 88). …

Appendices