Comptes rendus

Marie Garrau, Politiques de la vulnérabilité, Paris, CNRS Éditions, 2018, 358 pages[Record]

  • Cécile Gagnon

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  • Cécile Gagnon
    Université Laval

Dans son ouvrage « Politiques de la vulnérabilité », la philosophe Marie Garrau présente un projet politique clair qui prend acte de la vulnérabilité fondamentale des sujets et qui valorise une forme d’autonomie relationnelle telle que celles qui sont mises en avant dans l’éthique du care de Joan Tronto et dans la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth. Ainsi, Garrau souhaite montrer que seule une société qui garantit à ses citoyennes et citoyens — à travers une politique de la vulnérabilité — l’accès aux conditions relationnelles et sociales de leur autonomie peut être dite « juste » (Garrau, 2018, 17). L’autrice nous propose, pour ce faire, une analyse de travaux variés portant sur la vulnérabilité. L’aspect pluridisciplinaire de cette démarche est l’un des éléments qui rend cet ouvrage particulièrement pertinent, puisqu’en faisant dialoguer des travaux de philosophie morale et politique ainsi que des travaux de sociologie, Garrau parvient à présenter les éthiques du care non pas comme un courant féministe évoluant parallèlement aux débats politiques contemporains, mais bien comme étant au coeur des discussions actuelles en philosophie sociale et politique. Dans la première partie de son ouvrage, Garrau se concentre sur trois approches philosophiques de la vulnérabilité : celles de Martha Nussbaum, de Joan Tronto et d’Axel Honneth. Elle souhaite ainsi montrer qu’il existe deux niveaux de vulnérabilité : 1) la vulnérabilité fondamentale, dimension constitutive de l’existence humaine qui est à la fois inévitable et indépassable, mais pourtant trop souvent niée ; et 2) les vulnérabilités problématiques, produites selon les contextes inégalitaires et les structures de domination dans lesquels évoluent les sujets. L’autrice revient tout d’abord sur les travaux de Nussbaum dans lesquels la vulnérabilité fondamentale est décrite comme un « état d’ouverture et d’exposition à des évènements que nous ne maitrisons pas, qui procèdent des dimensions corporelles et temporelles de notre existence et de notre dépendance à notre environnement extérieur » (Garrau, 2018, 27). Toutefois, si les travaux de Nussbaum permettent de bien saisir l’importance de la vulnérabilité fondamentale, Garrau souligne par ailleurs les limites de l’approche des capabilités qu’elle propose lorsqu’il est question d’apporter une réponse politique à la vulnérabilité. Garrau montre ensuite que l’éthique du care de Tronto permet de voir la vulnérabilité non pas comme l’opposé de l’autonomie, mais bien comme son nécessaire corrélat (Garrau, 2018, 68). Étant toutes et tous des sujets fondamentalement vulnérables, nous dépendons constamment du care des autres. Dès lors, l’autonomie « se développe toujours sur fond de vulnérabilité » dans des dynamiques d’interdépendance avec les autres. Ainsi, la dépendance n’est pas un frein à l’autonomie, mais bien sa condition de possibilité. Néanmoins, si la vulnérabilité fondamentale n’est pas un problème en soi, il existe d’un autre côté des vulnérabilités problématiques qui surviennent lorsque des sujets cessent d’être l’objet d’attention et de care de la part des autres. L’autrice propose donc de compléter la thèse de Tronto en y articulant la théorie de la reconnaissance de Honneth, pour qui l’absence de reconnaissance positive produit des « identités fragilisées » qui, en fonction du contexte dans lesquelles elles surviennent, peuvent donner lieu à différentes formes de vulnérabilité (Garrau, 2018, 108). Dès lors, la justice d’une société dépend « de sa capacité à assurer à ses membres des conditions de reconnaissance mutuelle [c’est-à-dire] à instaurer des formes d’intégration sociale qui promeuvent l’autoréalisation individuelle de manière égale » (Garrau, 2018, 114). En faisant la synthèse de ces trois approches philosophiques, Garrau montre que la vulnérabilité fondamentale des sujets n’est pas simplement due à la dimension corporelle de l’existence, mais également au contexte social …