N’aimant pas particulièrement les désaccords, c’est avec une certaine crainte que j’ai abordé ces commentaires. Mais au final, je ressens plutôt de la gratitude à l’égard de mes commentateurs, et j’aimerais d’emblée les remercier pour leur lecture attentive et généreuse de mon livre. Dans ce qui suit, je vais bien sûr tenter de clarifier mon propos et de répondre aux objections, mais mon espoir principal est que cette discussion permette de mieux comprendre la nature des émotions, de sorte, bien sûr, à mettre tout le monde d’accord. Je commence par le commentaire de Frédérique de Vignemont, qui concerne plus spécifiquement les deux premiers chapitres. La première interrogation de Frédérique de Vignemont concerne la nature même du projet. Elle se demande si les émotions sont considérées comme consistant en des expériences perceptuelles, ou bien si la théorie envisagée affirme uniquement que les émotions ont un certain nombre de similarités avec les expériences perceptuelles. Pour le dire simplement, la thèse que j’avance dans mon livre affirme bel et bien que les émotions consistent en des expériences perceptuelles. Étant donné les différences que l’on observe entre les émotions et les expériences perceptuelles paradigmatiques que sont les expériences sensorielles, toutefois, la théorie envisagée s’assortit d’une conception libérale de la perception, selon laquelle il n’est pas nécessaire d’avoir toutes les caractéristiques des expériences sensorielles pour compter comme une expérience perceptuelle. Par exemple, la présence d’un organe sensoriel n’est pas nécessaire pour qu’on puisse parler de perception. Comme je l’explique dans le livre, il ne semble pas que l’affirmation selon laquelle toute perception doive dépendre d’un organe sensoriel soit une vérité conceptuelle. Comme de Vignemont le rappelle, je n’ai pas d’objections à ce que ceux qui récusent cette conception libérale préfèrent parler de quasi-perception. Ce qui importe à mes yeux, c’est que l’on soit d’accord sur la liste des caractéristiques des émotions. Du coup, de Vignemont se demande si je ne pourrais pas me contenter de parler d’une « appréhension non conceptuelle des valeurs ». Ma réponse est la même : je n’ai pas non plus d’objections à ce que ceux qui, n’acceptant pas la conception libérale, préfèrent parler d’appréhension non conceptuelle des valeurs. Même si, personnellement, je préfère parler de perception de valeurs, la conception libérale de la perception me paraissant séduisante. La question qui se pose ici, évidemment, est celle de savoir ce qu’il faut penser de cette conception libérale de la perception, et de Vignemont regrette que je n’aie pas consacré plus d’énergie à cette question, ainsi qu’à l’examen des récents débats au sujet des expériences sensorielles. Selon elle, une conception moins classique que celle que j’ai présupposée, comme par exemple celle proposée par Susanna Siegel (2017), renforcerait le parallèle entre les expériences sensorielles et les émotions. Ce serait une bonne nouvelle, dont je ne peux que me réjouir. Toutefois, à voir les objections les plus courantes contre la théorie perceptuelle des émotions, force est de constater que cette approche moins classique reste encore largement controversée. Le point principal que développe de Vignemont concerne le lien entre perception et motivation. Alors que je tentais de montrer que les émotions ne sont pas aussi étroitement liées à la motivation qu’on pourrait le penser, elle soutient au contraire que certaines expériences visuelles, celles de l’espace péripersonnel, ont une force motivationnelle similaire à celle que l’on prête habituellement aux émotions. En effet, la fonction principale de la perception péripersonnelle est de préserver le bien-être du sujet, ce qui explique pourquoi elle est généralement motrice. Celui qui perçoit un objet proche de notre corps aura ainsi un comportement d’évitement. Ainsi, nos expériences péripersonelles, du …
Appendices
Bibliographie
- Brady, Michael. Emotional Insight, Oxford, Oxford University Press, 2013.
- D’Arms, J., et D. Jacobson. « Sentiment and Value », Ethics, vol 110, 2000, p. 722-748.
- Deonna, Julien, et Fabrice Teroni. The Emotions : A Philosophical Introduction, Londres, Routledge, 2012.
- de Sousa, Ronald. The Rationality of Emotion, Cambridge, MA, MIT Press, 1987.
- Maguire, Barry. « There Are no Reasons for Affective Attitudes », Mind, vol. 127, 2018, p. 779-805.
- Rossi, Mauro, et Christine Tappolet. « How Are Emotions and the Self Related ? », in Andrea Scarantino (dir.), Handbook of Emotion Theory, Routledge, à paraître.
- Rossi, Mauro, et Christine Tappolet. « Happiness as Affective Evaluation », en préparation.
- Siegel, Susanna. The Rationality of Perception, Oxford, Oxford University Press, 2017.