Étude critique

Valéry Giroux, Contre l’exploitation animale. Un argument pour les droits fondamentaux de tous les êtres sensibles, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2017, 515 pages[Record]

  • Professeur émérite Jean-Yves Goffi

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  • Professeur émérite Jean-Yves Goffi
    Univ. Grenoble Alpes, PPL, 38000 Grenoble, France

Valéry Giroux propose ici un livre important où elle développe un argument en faveur des droits fondamentaux de tous les êtres sensibles et, corrélativement, contre l’exploitation animale. Par son objectif, le livre est comparable à l’ouvrage pionnier de P. Singer, Animal Liberation : il s’agit de mettre de la philosophie dans des pratiques tenues pour respectables ou, à tout le moins, pour acceptables alors qu’elles le sont probablement beaucoup moins qu’on pense. Il y a toutefois deux différences cruciales dans la perspective adoptée : Valéry Giroux présente son livre comme un argument. On peut comprendre la formule un peu au sens où Darwin disait que L’origine des espèces consiste en un seul long argument, c’est-à-dire comme un raisonnement qui se développe à travers tout l’ouvrage. On peut également prendre en considération le fait que, outre sa formation de philosophe, Valéry Giroux a aussi une formation de juriste : on lira alors son ouvrage comme une plaidoirie très organisée, destinée à défendre les droits des êtres sensibles. Toutefois, ce ne sont pas les règles de l’éloquence judiciaire qui seront suivies ici — sauf peut-être dans l’introduction que l’histoire du chien Barack tire du côté de l’exorde, destiné comme chacun sait à rendre l’auditoire docile, attentif et bienveillant — mais bien les règles de l’argumentation philosophique. Enfin, pour filer une métaphore que l’on évitera de comprendre de façon trop littérale, on pourrait comparer l’ouvrage à un fleuve qui suit son cours, de façon majestueuse, tout en créant des zones de turbulences le long des berges. Précisons. Le fleuve est l’argument lui-même, déployé au long de 469 pages très denses. Les turbulences sont l’examen critique de diverses thèses dont la validité est contestée par Valéry Giroux. Il ne s’agit pas pour elle de polémiquer ou de discréditer à la façon d’une militante — même si elle ne cherche pas à dissimuler qu’elle est végane — mais bien plutôt de procéder à l’examen critique d’affirmations dont la réfutation permet à l’argumentation de progresser. Dans le premier chapitre, Valéry Giroux se propose de déterminer les principes fondamentaux et les concepts de base qui seront ensuite mobilisés ; ils constituent les « prémisses » de l’argument à venir. Ces principes sont le principe d’égalité et celui de l’égal traitement des intérêts similaires ; les concepts de base sont ceux de droit et de justice. Valéry Giroux fait sienne la théorie selon laquelle les droits ont pour fonction de protéger des intérêts. En matière de droits de l’homme, les droits fondamentaux ont pour fonction de protéger les intérêts de base, ceux qui sont liés au bien-être des personnes. Pour cette raison, on ne peut pas les aligner sur les droits établis par une ou plusieurs conventions, ni sur les droits dont la fonction est de protéger (ou d’exprimer) l’autonomie des individus. Le « noyau dur » de ces droits fondamentaux est le suivant : droit de ne pas être torturé, droit de ne pas être tué, et droit de ne pas être asservi ou exploité. Ils sont fondés, respectivement, sur : l’intérêt à ne pas souffrir ; l’intérêt à persister dans son existence et l’intérêt à être libre. Les chapitres suivants sont consacrés à chacun de ces droits, transposés aux êtres seulement sensibles soit, dans le contexte, aux animaux non humains. Cette transposition nécessite tout un travail d’explicitation qui est mené avec patience et minutie. Soit, par exemple, le droit de ne pas être torturé, qui est l’objet du deuxième chapitre. Chacun admettrait spontanément qu’il est mal de torturer un animal : les premières législations réprimant les mauvais traitements envers les bêtes datent du xixe siècle …

Appendices