Disputatio

Autour du statut de la religion dans les écrits du jeune Heidegger[Record]

  • Sylvain Camilleri

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  • Sylvain Camilleri
    Université catholique de Louvain

Les lecteurs qui prennent aujourd’hui connaissance de l’ouvrage de Sophie-Jan Arrien lui savent gré d’offrir, pour la première fois en langue française, une synthèse des écrits du jeune Heidegger. Et quelle synthèse ! Les « premiers cours de Fribourg » (1919-1923), comme on les appelle couramment désormais, y sont analysés avec une grande clarté, une impressionnante méticulosité et une rare exhaustivité, à travers une réflexion toujours profonde, économique et critique quant à leur double objet : le logos de la vie et la vie du logos. Certes, ce travail s’est fait attendre. Plus d’une décennie et autant de recherches se sont écoulées entre la thèse qui en est à l’origine et le livre publié dans la prestigieuse collection Épiméthée qui est très justement mis à l’honneur dans cette disputatio. D’autres synthèses, suivant des fils directeurs plus ou moins explicites, ont été tentées entre-temps, en d’autres langues. Je pense notamment aux monographies de Francisco de Lara (2008) et, plus récemment, de Scott M. Campbell (2012). Et combien de chapitres de livres et d’articles… Et pourtant, l’ouvrage de Sophie-Jan Arrien garde tout son intérêt, toutes ses qualités. Non seulement parce qu’il a pu intégrer en partie le fruit de ces recherches, mais également parce qu’il donne au corpus concerné un relief et une cohérence que nul autre travail à ce jour n’avait été capable de lui conférer, ou plutôt de lui restituer. Si tel est le cas, c’est, me semble-t-il, parce que la méthode adoptée par Sophie-Jan Arrien est inédite et se révèle de loin la plus féconde dans le traitement du sujet auquel elle s’applique. Cette méthode est rappelée dans ses grandes lignes au sein de l’introduction : « mener l’enquête sur l’éclosion de la phénoménologie herméneutique de la vie » en en « remontant les différents axes » et en « suivant, pas à pas, riposte par riposte, la détermination toujours plus complexe des contraintes auxquelles doit obéir l’interprétation philosophique de la vie pour que celle-ci s’approprie l’originarité à laquelle elle aspire » (p. 14). Et le caractère inédit de cette même méthode tient à mes yeux dans cette courte phrase qu’on peut lire au dernier paragraphe de ladite introduction : « Par-delà la dimension généalogique que les premiers cours de Fribourg possèdent nécessairement eu égard à l’opus magnum de 1927, notre but est de mettre en relief un projet philosophique autonome et original, dont les acquis traversent toutefois la pensée ultérieure de Heidegger » (p. 18). On pourrait certes invoquer un précédent dans l’ouvrage de Jean Greisch, L’Arbre de vie et l’Arbre du savoir, paru en 2000, qui se fixait déjà le « pari herméneutique » de montrer que « le vaste chantier d’investigations phénoménologiques mis en oeuvre par Heidegger, et que désigne le terme technique d’<herméneutique de la facticité>, ne présente pas seulement un intérêt généalogique et chronologique, pour autant qu’il nous permet de mieux comprendre le chemin réel — ou plutôt les cheminements passablement tortueux — qui l’ont conduit à la rédaction du maître ouvrage Sein und Zeit ». Mais Jean Greisch concentrait ses efforts sur le concept de « facticité », moins englobant que celui de « vie », et faisait de sa reconstruction, moins analytique que celle de Sophie-Jan Arrien, le lieu d’un dialogue et même d’un rapprochement entre les premiers cours de Fribourg, d’une part, et les problématiques de la phénoménologie et de l’herméneutique de la seconde moitié du xxe siècle, d’autre part — ce qui, malgré la pertinence de l’idée de départ et des résultats plutôt convaincants, devait conduire à quelques raccourcis et quelques carences dans l’intelligence des …

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