Comptes rendus

Robert Legros, Hegel. La vie de l’esprit, Paris, Hermann, 2016, 151 pages[Record]

  • Emmanuel Chaput

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  • Emmanuel Chaput
    Université d’Ottawa

Entre le romantisme et les Lumières, Hegel aurait ainsi ouvert la voie à une position inédite, tout à la fois rationaliste et pourtant orientée par la vision substantialiste de l’absolu mise de l’avant par le romantisme post-kantien. Si la thèse n’est pas nouvelle, le mérite de l’auteur est surtout de l’articuler autour des concepts de vie et d’organicisme. De ce fait, Robert Legros en vient à défendre une position quasi-continuiste de la pensée hégélienne, fait assez rare dans la littérature. Il insiste en effet : Alors qu’il est courant de démarquer avec force le jeune Hegel du Hegel de la maturité, penseur du système de l’Idéalisme absolu, l’auteur défend néanmoins que, malgré les multiples ruptures, reconfigurations et réalignements qu’opère Hegel, principalement au cours de la période de Iéna, la pensée hégélienne — et sa pensée politique plus particulièrement — demeure ancrée dans un certain organicisme. Loin de renier le vitalisme romantique de sa jeunesse, Hegel ne fait, selon Robert Legros, qu’innover par rapport à sa position de jeunesse. Alors que l’organisation politique de la cité antique est comprise par le jeune Hegel selon le modèle de l’organisme formant une unité harmonieuse, où chaque partie est constitutive et n’existe qu’en relation au tout, le concept de vie — et plus particulièrement la vie de l’esprit — prend un sens nouveau chez Hegel à partir de la Phénoménologie de l’esprit qui intègre et dépasse, bref sursume (hebt auf) cette organicité de la cité grecque encore trop calquée sur le modèle de la vie naturelle. Intégrant le modèle chrétien de l’incarnation-mort-résurrection, la vie de l’esprit fait l’expérience de son autre, la mort, pour la dépasser, là où la vie naturelle voit dans la mort sa seule limite, « [son] maître absolu ». Comme l’écrit l’auteur : À chacun de ces « moments » correspond une partie du système hégélien. À l’élévation correspond la science de la logique ; à la dispersion, la philosophie de la nature ; à la réconciliation, la philosophie de l’esprit. Mais si la vie naturelle fait l’épreuve de la mort comme de sa limite, la vie de l’esprit consiste justement à dépasser ce moment de la finitude en s’inscrivant, comme subjectivité particulière et finie, dans l’histoire de la communauté humaine. À la différence des communautés organiques de l’antiquité encore idéalisées par le romantisme pour leur belle unité, la vie de l’esprit moderne, par le biais de la pensée chrétienne selon Hegel, est consciente de son universalité historique. Alors que les civilisations ancestrales, comme formes de vie organique peuvent aussi en venir à mourir et disparaître — à tout le moins pour eux-mêmes — le monde moderne dont l’existence même, depuis sa naissance, peut être définie justement comme cette expérience constante de la dislocation et de la dispersion des formes de vie traditionnelles se définit ainsi comme vivant par son expérience de l’anomie et sa tentative d’y substituer un moment de la réconciliation. Pour Hegel, seul le monde moderne — héritier du christianisme — est ainsi en mesure de faire l’expérience de la rupture entre le fini et l’infini. La vie de l’esprit moderne intègre ainsi à soi la mort de la vie organique pour en opérer la sursomption (Aufhebung). Ces développements, certainement les plus sujets à controverses — tant pour les spécialistes de Hegel que pour le lecteur non spécialiste, bien que pour des raisons différentes — mais aussi les plus intéressants, recouvrent la troisième et dernière partie de l’ouvrage de Legros. Celle-ci apparaît cependant souvent trop courte pour présenter une défense approfondie de la thèse de l’auteur qui soutient la continuité implicite du vitalisme …

Appendices