Le livre se présente comme un dialogue agonistique entre deux auteurs dont les vues sont, la plupart du temps, diamétralement opposées. Laurent Alexandre est un médecin et chef d’entreprise qui se montre plutôt convaincu par le transhumanisme, cette forme d’idéologie qui entend « améliorer » l’humain par les pouvoirs de la technique en tirant parti des avancées des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et cognitique). Il a pour interlocuteur Jean-Michel Besnier. Ce dernier est un historien reconnu de la philosophie, qui se consacre actuellement aux enjeux que dessine l’anthropotechnique. À la différence de Gilbert Hottois, qui orientait son histoire moderne par la question de la technique, Jean-Michel Besnier ne nous donne pas une vision génétique de la technique dans le champ de la pensée, il se sert cependant de sa culture pour informer et recadrer certains thèmes des débats bioéthiques contemporains. A priori, tout semble opposer ces deux auteurs. L’un magnifie les progrès de la science, l’autre est bien plus réticent. Le tout donne lieu à un dialogue qu’aucun consensus ne ferme. Même s’il faut admettre que, d’un point de vue philosophique, Jean-Michel Besnier est nettement plus convaincant, il faut rendre grâce à Laurent Alexandre de s’être prêté au jeu et, dans sa naïveté, d’avoir fourni matière à penser au philosophe. On notera enfin que le titre provocateur ne couvre qu’une question parmi celles que pose le transhumanisme. Le livre se décline, en effet, en douze questions qui couvrent respectivement les visées du transhumanisme, ses possibilités réelles, ses enjeux éthiques, sociologiques (la façon de penser la mort et la sexualité), et politiques. Le livre s’ouvre sur une question centrale : « Faut-il augmenter l’homme ? » Cette question permet à nos deux auteurs de se positionner par rapport au transhumanisme dans son ensemble et annonce leurs différents arguments. C’est pourquoi il importe de s’y arrêter suffisamment avant d’envisager les conséquences éthiques, sociologiques et politiques du transhumanisme. A priori, il paraît aller de soi que l’on se pose la question de savoir s’il faut « augmenter » l’homme, une fois qu’on a les moyens de le faire. Pourtant, de façon symptomatique, cette question est systématiquement contournée au sein même du discours de Laurent Alexandre qui nous assure que l’on va augmenter l’homme et qu’on le fait déjà. Outre le fait de glisser du normatif au factuel qui, quand il porte sur le futur, n’est rien d’autre qu’un argument probabiliste épousant les traits d’un argument d’autorité, on notera qu’il y a une confusion dans la conception que le médecin se fait de l’avenir de sa profession. L’argument qu’il tient : « l’homme vacciné est déjà un homme augmenté » (p. 12) semble indiquer pour lui que l’on est en train de passer d’une médecine curative à une médecine méliorative. Cependant, en toute rigueur, le vaccin n’illustre pas ce passage, mais celui d’une médecine curative à une médecine préventive. On peut d’ailleurs se dire que, dans le champ du transhumanisme, l’amélioration ou l’augmentation de l’homme est conçue tout entière sous le modèle de la prévention. Il s’agit de prévenir les maladies et, in fine, la disparition qu’est la mort. Même les avancées positives ne sont en fin de compte qu’une façon de prévenir le dépassement par la robotique qui menacerait l’humanité d’une concurrence déloyale. Les promesses du transhumanisme reposeraient ainsi sur une heuristique de la peur dont le contrecoup, comme le montre bien Jean-Michel Besnier, serait une « hypocondrie généralisée » (p. 42, p. 132). Il apparaît ainsi, à travers les lignes de Besnier, que le transhumanisme repose moins sur un désir positif — Besnier note à cet égard que …
Laurent Alexandre et Jean-Michel Besnier. Les robots font-ils l’amour ? Le transhumanisme en 12 questions, Paris, Dunod, 2016, 144 pages[Record]
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Guillaume Lejeune
Université de Liège