Disputatio

Du sens de la métaphysique et la fin de la philosophieÀ propos du livre de Jean Grondin, Du sens des choses. L’idée de la métaphysique, Paris, PUF, 2013[Record]

  • Marc-Antoine Vallée

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  • Marc-Antoine Vallée
    Collège Édouard-Montpetit

« Philosophie, cela veut dire métaphysique. » Cette déclaration très forte de Heidegger, dans « La fin de la philosophie et la tâche de la pensée » (1966-68), aurait pu servir d’exergue au dernier livre de Jean Grondin. En effet, cet ouvrage s’offre au lecteur comme une remarquable défense et exposition de « l’idée de la métaphysique », c’est-à-dire de ce qui est au coeur du projet métaphysique qui anime toute l’histoire de la philosophie. L’auteur aurait pu également placer l’ensemble de son ouvrage sous le signe de l’affirmation de Gadamer selon laquelle : « La phénoménologie, l’herméneutique et la métaphysique ne sont pas trois points de vue philosophiques différents, mais l’expression de ce qu’est la philosophie elle-même. » S’il ne le fait pas, en revanche il ne manque pas de relever et de commenter cette affirmation plus tard dans l’ouvrage. Ceux qui ne connaîtraient pas cette phrase de Gadamer la recevront sans doute avec étonnement et une part de circonspection. Certains y verront probablement une déclaration excessive ou une simplification abusive de la part de Gadamer. Tout l’ouvrage de Jean Grondin semble au contraire s’efforcer de nous montrer le bien-fondé d’une telle affirmation dans la mesure où la métaphysique y est présentée comme un effort phénoménologique et herméneutique de description et de compréhension du sens des choses elles-mêmes. C’est cette visée qu’évoquent le titre de l’ouvrage et la citation d’Augustin qui a été retenue par l’auteur pour figurer en exergue. On peut lire : « Suivre l’ordre des choses, Zenobius, et s’y tenir est le propre de tout être. Mais voir et dévoiler l’ordre de l’universel qui contient et régit ce monde-ci est difficile autant que rare. » Tenter de dire quelque chose d’essentiel sur l’ordre des choses, essayer de comprendre et expliquer le sens de ce qui est, cela constitue l’espoir même de la métaphysique et de la philosophie en général. Toutefois, avant même de se risquer à dire quelque chose de l’ordre ou du sens de ce qui est, Grondin s’est d’abord imposé la tâche de dégager la voie pour une telle entreprise, tant la métaphysique est perçue depuis un bon moment déjà, dans le meilleur des cas, comme un gigantesque monument dont on cherche ardemment la sortie de secours ou qu’on travaille patiemment à déconstruire de l’intérieur, et dans le pire des scénarios (qui est le plus courant puisque le plus facile), comme un vulgaire repoussoir auquel on croit utile de recourir à l’occasion pour couper court aux problèmes ou à la discussion. Par opposition à cette tendance dominante, Grondin met explicitement en lumière le fait que, loin de se réduire à une entreprise purement dogmatique ou illusoire, la métaphysique s’est constamment, au cours de son histoire, remise en question et critiquée, bref que la métaphysique n’est pas un monologue insensé d’un esprit borné et intransigeant, mais un dialogue critique sur la longue durée animé par des débats vigoureux et rigoureux sur des interrogations radicales. Plus important encore, souligne-t-il, un rapide coup d’oeil à l’histoire de la philosophie révèle « qu’on ne peut dépasser la métaphysique sans en mettre en oeuvre une autre qui a beau rester discrète, implicite, mais que la pensée a tout à gagner à porter au jour ». Il ne fait aucun doute pour lui que « la métaphysique est l’air que respire la philosophie » et qu’une « philosophie qui se prétend exempte de métaphysique ou, pire, au-delà de la métaphysique, manque nécessairement d’air et s’épuise rapidement ». Par suite, une herméneutique philosophique qui a du souffle devrait reconnaître et assumer l’aspiration métaphysique qui l’anime. En ce …

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