La littérature secondaire actuelle consacrée aux problèmes de la cognition chez Descartes est assez abondante. Les questions relatives à la perception sensible, à la nature des idées et aux facultés de l’esprit ont été abordées par de nombreux commentateurs ; notons les quelques monographies récentesde Desmond Clarke (Descartes’ Theory of Mind, Oxford University Press, 2003), de Lilli Alanen (Descartes’ Concept of Mind, Havard University Press, 2003) et de Raffaella De Rosa (Descartes and the Puzzle of Sensory Representation, Oxford University Press, 2010) qui portent toutes sur ces composantes du cartésianisme. Dans le présent ouvrage, Kim Sang Ong-Van-Cung reprend plusieurs de ces aspects, mais avec un objectif précis : évaluer le rôle de l’intentionnalité dans la pensée cartésienne en la situant par rapport aux doctrines médiévales et contemporaines. On sait la place qu’occupe l’étude de la philosophie de Descartes chez les auteurs contemporains ayant analysé le concept d’intentionnalité : pensons aux travaux de Husserl ou de Merleau-Ponty, commentés par Ong-Van-Cung, qui ont certes remis en doute la position de Descartes quant à la relation entre le sujet et l’objet, mais qui reconnaissent tout de même en elle une étape essentielle au développement de l’analyse phénoménologique. Les liens entre Descartes et les théories plus actuelles de l’intentionnalité, que ce soit dans la mouvance phénoménologique ou au sein des sciences cognitives, semblent donc évidents. Un problème se présente toutefois dès le départ : Descartes n’emploie pas le terme d’intentionnalité et ne discute pas les doctrines médiévales à cet égard. Il existe sans aucun doute des thèmes communs au cartésianisme et aux pensées de Thomas d’Aquin, de Brentano et de Husserl, mais le fait est que Descartes est le seul parmi ces penseurs à ne pas avoir clairement élaboré une théorie de l’intentionnalité. Par conséquent, la question se pose de savoir s’il existe une telle doctrine dans la philosophie cartésienne, et, si c’est le cas, en quoi elle se distingue de celles des théoriciens médiévaux ou contemporainsqui en font la pierre de touche du traitement de la cognition ? Ong-Van-Cung entend montrer qu’on doit bel et bien reconnaître certaines fonctions à l’intentionnalité dans la conception de l’esprit de Descartes, malgré les nombreux changements que celui-ci lui fait subir. Son importance tiendrait pour l’essentiel à la place qu’occupe le sujet ; plus précisément, selon l’auteure, la subjectivité ne pourrait se concevoir chez Descartes sans un rapport aux choses, lequel exprimerait une forme d’intentionnalité. Une idée est toujours l’idée de quelque chose, c’est-à-dire qu’elle vise un objet de représentation. La première partie est essentiellement consacrée à l’examen des caractéristiques de l’intentionnalité dans la pensée médiévale. Les sources du concept à partir des travaux de Brentano et de Husserl sont retracées dans le premier chapitre, où l’auteure explique comment ces deux philosophes ont remis en avant la problématique de l’intentionnalité, théorisée au départ par les médiévaux. Dans le chapitre suivant, Ong-Van-Cung distingue les différentes significations du terme intention dans la scolastique : parmi celles-ci se trouve bien évidemment l’intention, comme visée ou direction vers un objet, sur laquelle se concentreront les études phénoménologiques et cognitivistes. Une autre acception se comprend dans le contexte des explications optiques qui fait intervenir les espèces intentionnelles. Le problème posé par DunsScot, Roger Bacon ou Pierre d’Auriole consiste à déterminer si l’intention est nécessairement émise par l’esprit, en tant que concept ou perception dirigés vers l’objet, ou si on peut aussi la considérer comme émanant de l’objet même pour expliquer certains phénomènes, dont celui de la perception visuelle. Le rejet des espèces intentionnelles chez Descartes montre déjà une distance théorique par rapport à …
Kim Sang Ong-Van-Cung, L’objet de nos pensées. Descartes et l’intentionnalité, Paris, Vrin, 2012, 203 pages[Record]
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Christian Leduc
Université de Montréal