Disputatio

Bessone sur la race et la culture[Record]

  • Chike Jeffers

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La publication du livre de Magali Bessone, Sans distinction de race ? constitue une étape importante dans le développement de la philosophie des races [philosophy of race] en tant que domaine de recherche spécialisé. Bessone n’est pas la première philosophe à écrire sur les races en français — après tout, le célèbre Voltaire appartient à ces penseurs des Lumières qui permit de faire émerger le discours sur la race que nous connaissons. Plus récemment, des philosophes français comme Étienne Balibar, Pierre-André Taguieff et Elsa Dorlin ont aussi écrit sur les races. Cependant, si je ne me trompe pas, le livre de Bessone est le premier livre en français à traiter en profondeur du large corpus — et en continuelle expansion — de la philosophie anglo-saxonne [anglophone] sur la race. Ce point est important, car c’est seulement dans le monde anglo-saxon [anglophone], et pour l’essentiel aux États-Unis, que la philosophie des races est devenue un champ d’étude dynamique et reconnu par les philosophes professionnels contemporains. Bessone s’appuie habilement sur le travail qui a été fait en anglais et offre une perspective proprement française sur ce travail, ce qui conduit à une extension du domaine de la philosophie des races particulièrement utile et bienvenue. Tout comme Albert Atkin, un philosophe britannique établi en Australie, et qui a récemment publié un livre intitulé ThePhilosophy of Race (Acumen, 2012), Bessone contribue à l’entreprise importante qui consiste à rendre la philosophie des races moins américaine, tout en apportant à son contexte nonaméricain les bénéfices du travail d’ampleur qui a été fait en Amérique. Bien sûr, équilibrer ces deux réorientations est un défi intéressant. L’introduction du livre de Bessone montre d’ailleurs clairement son désir de parler à partir et à l’endroit du contexte français, mais les traits distinctifs de la France comme lieu de réflexion sur la race n’apparaissent peut-être pas de manière suffisamment claire avant le dernier chapitre qui porte sur les moyens d’atteindre la justice. La plupart du livre est si profondément engagée dans les débats et la plus récente littérature en anglais que l’on peut presque oublier qu’il est français, si ce n’est qu’il est en français. Et je ne dis pas cela pour dénigrer le livre : je crois au contraire que Bessone rend un grand service à la philosophie française et francophone en discutant aussi bien les différentes positions classiques que le travail de pointe qui se fait en anglais. Cela étant dit, la façon dont le livre est à la fois très français et, à d’autres moments, à travers les débats où il s’engage et la littérature qu’il mobilise, très américain, rend sa lecture d’autant plus fascinante, ici, dans le contexte canadien, et tout particulièrement le contexte francophone. Les commentaires critiques sur le livre que je voudrais maintenant exprimer peuvent être liés, me semble-t-il, à certains aspects du contexte canadien, même si je ne m’attarderai pas davantage sur cette relation. Comme Bessone, je défends le constructivisme social dans le débat en philosophie sur la métaphysique de la race. Selon cette position théorique, les races ne sont pas des sous-ensembles biologiques de l’espèce humaine comme on les a traditionnellement comprises, mais elles correspondent néanmoins à des clivages sociaux réels. Bien que Bessone et moi soyons d’accord pour dire que les races sont une réalité sociale, nous nous séparons sur le rôle que joue la différence culturelle dans la réalité sociale de la race. Bessone nous dit qu’une race est « un groupe fluctuant déterminé par des traits visibles fonctionnant comme des étiquettes faillibles associés à des traits déterminés sociologiquement et correspondant à …

Appendices