Disputatio

Constructivisme, anti-essentialisme et racisme[Record]

  • Nestor Capdevilla

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  • Nestor Capdevilla
    Département de philosophie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
    n.capdevila@wanadoo.fr

Le livre de Magali Bessone propose une défense puissante et convaincante d’une conception constructiviste du concept de race et de son objet dans une perspective antiraciste. Elle s’oppose d’abord aux antiracistes qui fondent leur combat sur l’absence de contenu biologique. Les classes existent parce qu’elles sont socialement construites. Du coup, elle s’oppose également au raciste qui croit à leur substrat biologique. Il faut donc utiliser le terme de race pour décrire une société où la discrimination raciale existe, et la combattre. Les questions de l’étendue de cet usage légitime, de ses conditions concrètes et de son pouvoir critique restent cependant posées. Le livre est écrit en pensant au contexte français (p. 193) alors que la littérature utilisée et discutée est largement anglo-saxonne. Ce décalage est principalement expliqué par un aveuglement du républicanisme français qui frappe d’interdit le mot « race ». Mais cela veut également dire que les différences historiquesont un effet sur notre manière de penser : ce qui est désigné comme « race » dans un pays est nommé « nation », « nationalité, « ethnie », « groupe ethnique », dans d’autres (p. 13). Le contexte américain est « paradigmatique » (p. 204) pour la race. « Ce n’est pas la culture noire que méprise le raciste, mais les Noirs » remarque Appiah (p. 202). On pourrait même interroger les limites de cette distinction de la culture et de la race. La valorisation antiraciste du jazz a souvent racialisé ce qui semble être un produit essentiellement culturel. Il est une musique noire, inséparable de l’histoire et de la condition présente des Noirs aux États-Unis qui, selon une dialectique souvent décrite, n’a pu être acceptée par les Blancs qu’en étant édulcorée ou « blanchie ». Quand elle aborde le contexte français, le vocabulaire de Magali Bessone est plus souple. Le républicanisme a permis que les immigrés soient discriminés « sur la base de l’affiliation raciale ou religieuse » ; il a perpétué le racisme et les inégalités en refusant de reconnaître « la dimension ethnique des relations sociales » (p. 219). Ces formulations suggèrent que les mots « nation », « nationalité, « ethnie », « groupe ethnique » qui sont souvent des euphémismes ne le sont pas toujours. Quand cessent-ils de l’être ? La référence à la religion est le meilleur indice de la difficulté. Si une masse de « Français de souche » se convertissaient à l’islam le plus rigoriste, plus ou moins théocratique, comment réagirait la République ? Si la conversion ne suscitait aucune difficulté, alors les problèmes actuels apparaîtraient comme raciaux. S’ils persistaient, la question pourrait-elle être traitée en termes raciaux ? L’équivoque n’est pas due au hasard, car ce qui importe pour le racisme biologique n’est pas la biologie pure, mais ce qui dans la biologie est censé avoir une portée non biologique, indésirable pour la vie sociale, morale, culturelle, religieuse, etc. C’est pourquoi les termes non raciaux ne sont pas nécessairement des euphémismes. Ils peuvent aussi toucher à l’essentiel. Il en résulte également que la race peut devenir un euphémisme. La conquête de l’Amérique (p. 29) relève de la définition donnée du racisme (p. 178-184), et les Indiens sont une race au sens constructiviste (p. 87). Elle est néanmoins un exemple de « racisme sans race » qu’il est discutable de penser en termes de races, même si l’on est prêt à faire un usage rétrospectif du terme à partir du moment où il touche un point crucial. Ce vocabulaire occulte, comme un euphémisme, le scandaleux pouvoir discriminant de l’humanisme. Le journal …

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