Constitué des actes d’un colloque tenu à Paris et à Poitiers en juin 2009, Hegel au présent s’étend sur 460 pages et comporte 24 collaborations dont la longueur varie de 10 à 34 pages, partagées en deux sections : l’une portant sur des analyses internes du propos hégélien, l’autre sur des approches comparatives. Le titre rappelle celui d’une contribution antérieure au corpus des études hégéliennes, à laquelle avaient participé Jean-François Kervégan et Emmanuel Renault, parue en 1995 sous la direction de H. Maler, intitulée Hegel passé, Hegel à venir. L’enjeu de ce précédent recueil — « faire travailler le texte de Hegel sur les chantiers actuels de la pensée » — trouve un écho dans le présent ouvrage, qui spécifie davantage la question posée : à tenter d’actualiser la pensée hégélienne, ne la priverait-on pas de sa substance, c’est-à-dire de son caractère métaphysique ? Le caractère hégélien de cette reprise, dans laquelle est incorporée une différence, semble marqué par le sous-titre où le substantif « relève » évoque la traduction derridienne de Aufhebung. La différence ci-incorporée peut être identifiée à l’importance qu’a acquis pour la philosophie hégélienne, depuis 1995, le courant pragmatiste et néo-pragmatiste. Le numéro 99 de la revue Philosophie paru en 2008, Hegel pragmatiste ? où étaient traduits des textes d’auteurs anglo-saxons, confirma et nourrit la présence de l’interprétation pragmatiste et néo-pragmatiste de certaines thèses hégéliennes hors du contexte analytique dont elles ont émergé. Le volume s’inscrit donc dans une problématique déjà commentée ponctuellement, mais reste le premier du genre en langue française. La présentation écrite en commun par Jean-François Kervégan et Bernard Mabile combine leurs deux positions et porte essentiellement sur le traitement de l’hégélianisme nécessaire au renouvellement des recherches sur le lien entre philosophie hégélienne et métaphysique. Ce traitement consiste à présenter l’histoire des études hégéliennes comme la division, non entre jeunes et vieux hégéliens, mais entre l’identification du système spéculatif à la métaphysique et, au contraire, sa rénovation hors d’elle. Au-delà de l’opposition entre conservation et transformation, les interprétations contemporaines sont ainsi plutôt à répartir entre une reprise dynamique de la philosophie hégélienne d’inspiration pragmatiste et une interprétation soucieuse de préserver le caractère théologique et ontologique de la lettre du texte hégélienne — bien que les auteurs manifestent (à raison) de l’hésitation à ranger dans cette dernière catégorie les travaux de Bernard Bourgeois, Hans Friedrich Fulda et Dieter Henrich. En effet, le souci interprétatif de rendre le caractère systématique de la philosophie hégélienne n’est pas nécessairement une défense de ce dernier. L’unité partagée par les textes est thématique, les articles n’ayant d’autre point commun que de répondre à la même question. Ainsi, rarement a-t-on pu observer une telle diversité de traitements et de méthodologies. À titre d’exemple, les textes d’Emmanuel Cattin et de Pirmin Stekeler-Weithofer diffèrent en leur démarche comme en leur forme, et leur lecture contiguë crée l’impression d’une fascinante divergence d’interprétation. Cette diversité donne une idée de l’étendue, de la fertilité et de l’actualité philosophique des études hégéliennes. Cela dit, elle fait également en sorte que je ne pourrai traiter que de quelques-unes des contributions présentées, même si elles sont toutes importantes. Afin de donner l’éventail le plus large, je procéderai en quatre temps en traitant de l’analyse d’un point de vue méthodologique, du lien entre critique et dialectique, de l’interprétation néo-pragmatiste, et enfin de la question de la philosophie première chez Hegel. En premier lieu, eu égard à la méthode, le texte de Fulda figurant dans le volume constitue une analyse où la prise de position se limite chirurgicalement à la précision du sens de la relation …
J.-Fr. Kervégan et B. Mabille (dir.), Hegel au présent : une relève de la métaphysique ? CNRS Éditions, Paris, 2012, 460 p.[Record]
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Jeanne Allard
Université de Montréal