Jamais auparavant un recueil consacré à Deleuze n’avait paru au Québec. L’initiative était donc louable, mais le résultat est malheureusement mitigé. Issu d’un colloque tenu à Trois-Rivières en 2007, ce collectif regroupe en effet douze contributions de valeur très inégale. Divisé en trois sections, le recueil veut ouvrir de nouvelles perspectives sur cette oeuvre à la fois vaste, multiforme et d’une technicité élevée. Cependant, il souffre de deux handicaps. Le premier, c’est qu’on y trouve à la fois des chercheurs confirmés et des étudiants de deuxième et troisième cycles, de sorte que les niveaux se croisent sans toujours s’accorder. Le second, c’est que, afin d’ouvrir ces horizons inédits, seules quatre personnes travaillant en philosophie ont été conviées à participer. Les autres collaborations proviennent de domaines variés : politique, études cinématographiques, arts visuels et création littéraire. Or l’oeuvre de Deleuze propose un vocabulaire riche, elle développe des argumentations serrées et crée des concepts complexes, bref, elle constitue un massif d’un abord malaisé. Aussi, malgré un caractère parfois original, certaines contributions peinent-elles à s’élever à la hauteur de leur sujet. Ces deux limites sont parfaitement illustrées par le fait qu’aucune des têtes dirigeantes de l’ouvrage ne travaille en philosophie ; toutes trois sont issues du domaine politique, et une seule est enseignante (Université d’Ottawa), les deux autres étant des doctorants. Conscients du second écueil, les responsables de la publication ont voulu tabler sur la fécondité de la pensée deleuzienne. Aussi les deuxième et troisième sections du recueil cherchent-elles à montrer l’usage que l’on en peut faire dans divers domaines. Bref, au lieu de remonter à la source pour proposer de nouvelles interprétations de l’oeuvre de Deleuze ou des angles originaux, comme dans la première partie, ces praticiens venus d’horizons divers ont plutôt privilégié ses prolongements en aval, ce qui est bien illustré par le choix du titre, le terme « contr’hommage » constituant, de la part de ces familiers de Deleuze, un clin d’oeil volontaire au Contr’un de La Boétie, ami indéfectible de Montaigne. On a voulu, dit la préface, « mettre à l’oeuvre Deleuze » (p. 14 ; italique dans le texte). Bref, nous sommes ici en présence d’un objet culturel intéressant et, en un sens, inédit, mais hybride à plus d’un titre. Cela dit, ce pari présente tout de même des mérites certains et, parmi les textes notables du recueil, il faut tout d’abord souligner l’analyse solide d’Alain Beaulieu (« La pratique deleuzienne de l’histoire », p. 3-21), spécialiste reconnu de Deleuze, qui ouvre la première partie de l’ouvrage : « Lectures ». On sait que la philosophie entretient un rapport privilégié à sa propre histoire. Or, en ce domaine, l’approche de Deleuze est restée unique dans le monde européen. Il se penchait en effet, avec une rare pénétration, sur les systèmes philosophiques du passé, tout en en déplaçant subtilement l’architectonique, afin de montrer leur parfaite actualité. Après avoir brièvement mis en lumière cette pratique très originale, Beaulieu aborde la conception deleuzienne de l’éducation, un domaine connexe encore en friche, et il montre comment elle refuse toute normalisation de la discipline, parce que Deleuze croit à une philosophie expérimentale, hors institution. La jonction entre histoire et éducation se réalise grâce à la « perspective microscopique » (p. 11-12), un rejet des usages macroscopiques de l’histoire de la philosophie, comme ceux de Heidegger, Derrida, Adorno ou Husserl. L’avenue empruntée par Deleuze mène à une philosophie transhistorique, inséparable d’une dramaturgie de l’histoire, par quoi il faut entendre une partition du champ historique entre héros de la pensée authentique (par exemple Nietzsche, Hume, Spinoza, Foucault), opposants (Hegel, Freud, Wittgenstein) et représentants d’une sorte …
Giroux, Dalie, Lemieux, René, et Chénier, Pierre-Luc (dir.). Contr’hommage pour Gilles Deleuze — Nouvelles lectures, nouvelles écritures, Québec, PUL, 2009[Record]
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Jean-Claude Simard
Collège de Rimouski