Ce livre de David M. Armstrong, destiné aux enseignants et aux étudiants, est sans doute la meilleure introduction aux débats contemporains sur le problème des universaux par un auteur qui a joué un rôle primordial dans le renouvellement de ces débats et le regain d’intérêt de la communauté philosophique pour ce thème classique. La traduction française de ce classique de la métaphysique analytique par Stéphane Dunand, Bruno Langlet et Jean-Maurice Monnoyer respecte fidèlement le style clair et lucide de l’auteur. La structure de l’ouvrage est la suivante. Le premier chapitre est une brève introduction au problème des universaux dans laquelle Armstrong critique les formes dites « extrêmes » du nominalisme : celles qui n’admettent pas de division objective entre des classes naturelles de particuliers et des classes de particuliers qui ne sont pas naturelles. Ce chapitre introductif est suivi de deux chapitres critiques portant chacun sur une version du nominalisme austère « modéré » : le nominalisme des classes naturelles (chapitre 2) et le nominalisme de la ressemblance (chapitre 3). Les deux chapitres suivants sont consacrés à des variétés du réalisme des universaux : le chapitre 4 discute et critique la conception des particuliers comme faisceaux d’universaux attribuée à Bertrand Russell ; dans le chapitre 5, Armstrong expose, après avoir critiqué une conception platonicienne du réalisme des universaux, sa conception des universaux comme manières d’être des particuliers. Le chapitre 6, qui précède un récapitulatif final, est consacré à la théorie des tropes, forme libérale du nominalisme, qu’Armstrong rejette. Le livre d’Armstrong est suivi en annexe de deux articles récents de l’auteur qui fournissent une réelle valeur ajoutée à l’édition en français par rapport à l’édition originale en anglais. Le premier de ces articles, « Quatre disputes sur les propriétés », prend une perspective plus générale sur la métaphysique des propriétés. L’apport principal de cet article est selon moi la discussion portant sur le débat entre les conceptions catégoriques des propriétés et les conceptions des propriétés comme pouvoirs ou dispositions. Ce débat, qui est aujourd’hui l’un des plus vivants en métaphysique des propriétés, est en effet absent de l’introduction d’Armstrong et méritait d’être intégré à l’ouvrage. Le second article en annexe, « Les particuliers ont leurs propriétés par nécessité », montre judicieusement en quoi le réalisme d’Armstrong a évolué ces dernières années. Dans cet article, Armstrong présente une conception provocante et stimulante de l’instanciation des universaux par les particuliers comme identité partielle entre un universel et un particulier — sur laquelle je reviendrai plus bas. Des particuliers numériquement distincts semblent appartenir à un même type. « Le » et « le » sont deux occurrences du même type de mot (p. 13-14) ; différentes particules appartiennent au type des électrons ; Bucéphale et Rossinante sont des chevaux, etc. Le problème des universaux nous est posé par le fait que des choses numériquement distinctes semblent avoir quelque chose en commun, semblent appartenir à un même type. Y répondre, c’est donc, selon Armstrong (chapitre 1), prendre une position philosophique à propos de cette apparente communauté de type par des choses distinctes : est-elle authentique et objective ? Et comment en rendre compte ? L’introduction d’Armstrong se concentre sur des solutions qui répondent positivement à la première de ces questions : la communauté de type par des particuliers distincts est authentique et objective (voir en particulier la page 27 du chapitre 1). On peut reprocher ce parti pris d’emblée réaliste, car il existe des solutions anti-réalistes au problème des universaux qui mériteraient d’être présentées dans une introduction au problème. Les forces en présence admettant toutes que des particuliers distincts peuvent objectivement appartenir à …
Armstrong, David M. Les Universaux. Une introduction partisane, trad. de l’anglais par Stéphane Dunand, Bruno Langlet et Jean-Maurice Monnoyer, Paris, Les éditions d’Ithaque, coll. « Science et Métaphysique », 2010, 208 p.[Record]
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Ghislain Guigon
Université de Genève