Disputatio

Réalisme contextuel et perception sensible. Commentaires sur Sens et sensibilité de J. Benoist[Record]

  • Denis Fisette

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  • Denis Fisette
    Université du Québec à Montréal

Le premier chapitre porte sur la théorie de la perception du jeune Husserl, et Benoist s’appuie sur quelques-uns des écrits du philosophe de Halle rédigés entre 1893 et 1899, et publiés à titre posthume. Rétrospectivement, je dirais qu’il s’agit du chapitre le plus original et le plus important. On remarque, comme dans ses derniers ouvrages, une certaine ambivalence de la part de Benoist face à la phénoménologie husserlienne. D’un côté, il semble vouloir défendre Husserl contre certaines critiques insistantes depuis Merleau-Ponty, qui lui reprochent son intellectualisme (perception ? jugement). Elles font valoir avec raison que plusieurs des idées qu’on oppose à un certain Husserl, principalement celui des ouvrages publiés de son vivant, se retrouvent dans les écrits d’un autre Husserl, qui est demeuré dans l’ombre du premier et qu’ont exploité depuis quelques années de nombreux philosophes se réclamant aussi de Merleau-Ponty. Mais d’un autre côté, il lui reproche son « intentionnalisme », c’est-à-dire une conception de la perception sensible se réduisant à une « forme d’intentionalité » (p. 17) qu’il critiquera dans les chapitres suivants. Contre l’intentionnalisme, Benoist soutient qu’une théorie viable de la perception doit reconnaître « la part du non-intentionnel dans l’intentionnel », c’est-à-dire, comme il est précisé à la fin de la première partie (p. 101), que l’on doit rendre compte du fait que la perception est sensible « au » monde ou « à » certains aspects du monde, ce qui implique en retour que l’agent soit « réellement » en relation avec les choses de son monde environnant. La question sous-jacente à ce premier chapitre est de savoir si et comment une théorie de la perception, notamment celle du jeune Husserl, peut satisfaire à ces exigences. Les textes de Husserl analysés dans ce premier chapitre suggèrent non seulement qu’il avait bien vu ce problème, mais qu’il propose une solution semblant répondre aux exigences que Benoist impose à une théorie de la perception sensible. Partons de la fameuse distinction entre « contenu réel » et « contenu intentionnel » d’un acte de perception. Cette distinction s’est imposée à Husserl dans le contexte d’une critique de la théorie de l’intentionalité de Brentano et de son étudiant K. Twardowski, et Benoist a bien vu (p. 30) que la théorie de l’intentionalité élaborée par Husserl au milieu des années 1890 est aussi redevable des travaux de son maître C. Stumpf à Halle sur la notion d’attention, laquelle est conçue dans sa Psychologie du son comme intérêt ou « Lust am Bemerken ». La notion de « contenu réel » de la perception tire son origine de la critique que Husserl adresse à la doctrine brentanienne des phénomènes physiques dans ses premiers travaux à Halle, et elle correspond à ce qu’il appelle les contenus primaires. En effet, dans le chapitre III de Philosophie de l’arithmétique, Husserl propose de remplacer la notion brentanienne de phénomène physique par la notion centrale de « contenu primaire » sur laquelle repose sa propre conception des sensations dans les Recherches logiques. Husserl soutient que ces contenus primaires sont des touts structurés par des relations (les relations fondatrices de Stumpf), notamment par les relations de fusion et les relations méréologiques, lesquelles sont au coeur de la théorie des touts et des parties qu’il élabore dans sa troisième Recherche. Cette distinction cardinale entre contenu primaire et acte psychique, quoique marginale dans Philosophie de l’arithmétique, représente un acquis dans les ouvrages ultérieurs de Husserl, et elle joue un rôle central dans la phénoménologie des Recherches logiques. On la retrouve notamment dans ses deux études publiées en 1894 sous le titre « Études psychologiques …

Appendices