Dans un article paru voilà une dizaine d’années et intitulé « Le retour des sceptiques », Jean-Pierre Cavaillé brossait à grands traits l’état actuel des recherches sur le scepticisme et évoquait alors l’engouement qu’elles suscitaient. Une décennie plus tard, force est de constater que cet intérêt ne s’est pas démenti, loin de là. Les études sur le sujet n’ont cessé de paraître à un rythme soutenu, les colloques de se succéder sans relâche et la recherche de se poursuivre, en balisant des chemins déjà largement foulés ou en ouvrant sans cesse de nouvelles perspectives à partir d’objets d’investigation inédits tels que le scepticisme médiéval ou le scepticisme clandestin. Mais s’il est un domaine qui a connu un développement sans égal, c’est celui du scepticisme propre à l’âge classique. Rarement un champ de recherche en histoire de la philosophie aura fait naître autant de commentaires érudits dans un délai si court. Car, à dire vrai, si l’on excepte quelques travaux anciens qui évoquaient le scepticisme moderne, la recherche sur la question est largement tributaire des travaux de Richard Popkin, véritable pionnier en la matière, et donc relativement récente. C’est en effet Popkin qui, le premier, a fourni une étude détaillée de l’histoire du scepticisme moderne, augmentée au fur et à mesure de ses rééditions, et qui constitue toujours un point de départ incontournable pour tout chercheur intéressé par la question. Si la lecture proposée par Popkin peut être sur certains points contestée, notamment en ce qui concerne la place qu’il attribue au fidéisme dans son oeuvre, sa reprise trop fidèle d’études plus anciennes, celles de Busson et Villey par exemple, ou encore son manque de clarification conceptuelle concernant la notion même de pyrrhonisme, il n’en reste pas moins que son travail apparaît aujourd’hui encore comme fondateur pour l’étude du scepticisme moderne. Certes, on peut encore lui reprocher de privilégier en premier lieu l’oeuvre de Sextus Empiricus et de s’en tenir particulièrement à une forme spécifique de scepticisme, qui consiste à voir dans ce mouvement avant tout un arsenal d’arguments censé miner les édifices dogmatiques philosophiques (scolastique d’abord, cartésien ensuite) et religieux, et donc de centrer son analyse sur les rapports entre pyrrhonisme et dogmatique en insistant tout particulièrement sur la question fidéiste, et ce aux dépens du contexte historique et des corpus autres que celui de Sextus. Mais comment ne pas lui attribuer malgré tout une fonction de guide, même si les chemins qu’il aide à parcourir ne sont pas réellement sûrs et sa boussole pas toujours fiable ? Figure tutélaire quoique problématique, Popkin ne pensait pas connaître, dans les années 1960, le succès qui fut le sien par la suite. Et l’on peut légitimement s’intéresser aux raisons qui expliquent l’importance sans cesse croissante de la recherche sur le scepticisme en général, et sur le scepticisme moderne en particulier. La première est sans doute historique : le scepticisme est une philosophie pour temps troublés, fille de l’inquiétude et de la perte des repères traditionnels. Ce constat vaut à la fois pour le scepticisme ancien, témoin de l’effondrement du monde antique, pour sa réactualisation à l’âge classique, époque marquée par la dislocation de l’aristotélisme scolastique confronté à une pluralité de doctrines hétérogènes, et pour notre temps, gagné lui aussi par des considérations relativistes et une pluralité philosophique indépassable qui rappellent étrangement le dixième mode d’Énésidème (sur l’irréductible pluralité des moeurs, des coutumes et des lois). La seconde tient peut-être plus à l’objet d’étude lui-même, délaissé par le passé, et qui apparaît donc comme potentiellement inépuisable. Il est vrai que, en ce qui a trait par exemple aux grands auteurs qui scandent …
Appendices
Bibliographie
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