Comptes rendus

Joëlle Proust, La nature de la volonté, Paris, Gallimard, 2005, 363 pages.[Record]

  • Benoît Dubreuil

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  • Benoît Dubreuil
    Université libre de Bruxelles

Avec ses collègues de l’Institut Jean Nicod, Joëlle Proust a contribué plus que quiconque à introduire dans la philosophie française les thèmes et les méthodes de la philosophie de l’esprit. Se réclamant depuis déjà plusieurs années d’une approche «naturaliste», Joëlle Proust souhaite «mettre en harmonie l’explication philosophique et les données de l’expérience humaine dans son ensemble» (p. 11). Sans tomber dans le réductionnisme ou le positivisme vieille école, ce naturalisme se démarque par une volonté de mettre la philosophie à niveau avec les sciences dures. L’accent est mis sur les neurosciences et la psychologie, et c’est bien de ces disciplines que s’inspire une philosophie qui ne prétend plus à aucun exceptionnalisme. Après avoir consacré ses travaux précédents au problème de la conscience animale (Comment l’esprit vient aux bêtes? Gallimard, 1997; Les animaux pensent-ils? Bayard, 2003), Joëlle Proust reprend ici avec puissance un thème classique: qu’est-ce que l’action? À quel moment une action peut-elle être dite volontaire? Moins connu que son questionnement sur la conscience animale, ce thème est cependant loin d’être nouveau chez Joëlle Proust, qui a consacré de nombreux articles à la question de la subjectivité, à celle des actes mentaux, puis à celle des pathologies de l’action, notamment à travers ses travaux sur la schizophrénie. Le point de départ de la réflexion est le problème de Malebranche quant à la causalité de l’action: comment pouvons-nous savoir que c’est notre volonté qui permet à notre bras de bouger, alors même que nous ignorons les mécanismes physiques et neuronaux qui font que ce mouvement est possible? Joëlle Proust trouve le premier élément de réponse dans la théorie du «monisme anomal», par laquelle Donald Davidson a cherché à expliquer la manière dont un état mental pouvait causer un événement dans le monde (chapitre 2). Cette théorie affirme qu’il existe une identité stricte entre les états mentaux et les états cérébraux (monisme), sans pour autant qu’il soit possible d’établir des lois strictes permettant de dériver les états mentaux des états cérébraux (anomalisme). Le monisme anomal permet ainsi d’expliquer comment une propriété émergente, par exemple une attitude propositionnelle, peut jouer un rôle causal dans le monde. De même que l’élasticité permet d’expliquer la rupture du pont, une raison peut expliquer l’occurrence d’un événement dans le monde physique, dans la mesure où la propriété émergente garantit l’existence d’un état physique ou cérébral sous-jacent. Mais l’approche causaliste de Davidson fait face à certaines difficultés. Par exemple, elle ne permet pas d’expliquer le problème classique de la «faiblesse de la volonté» et, plus grave encore, celui de la «causalité déviante», où un individu commet bel et bien un acte qu’il a l’intention de commettre, mais sans que son action ne soit directement le fruit de sa volonté. L’exemple classique est le suivant: Jean renverse et tue par accident un piéton en s’en allant tuer son banquier. Or il se trouve que le piéton est son banquier. Jean a-t-il commis un meurtre? Pour résoudre ce problème, Proust se tourne (chapitre 3) vers les travaux de John R. Searle sur l’intentionnalité et, plus précisément, vers sa distinction entre l’intention préalable et l’intention en action. Cette distinction permet d’opposer la représentation du but de l’action (intention préalable) et les représentations motrices de l’action (les intentions en action), telles qu’elles s’inscrivent dans le lexique moteur de l’agent. Proust construit sur l’analyse de Davidson et celle de Searle une «théorie de la volition» (chapitre 4) qui donne à la volonté une «structure sémantique réflexive», dans laquelle la représentation conceptuelle du but se superpose à des représentations motrices non conceptuelles. Cette théorie a l’avantage d’expliquer les pathologies de l’action. Par …