Ce livre réunit les textes d’une série de six conférences diffusées en 1948 sur les ondes de la BBC, qui avait invité Bertrand Russell pour inaugurer son programme annuel des Reith lectures. Le but de l’auteur est ici de répondre à la question suivante: «Comment pouvons-nous combiner le degré d’initiative individuelle qui est nécessaire au progrès avec le degré de cohésion sociale nécessaire à la survie?» (p. 1). Russell propose de répartir le pouvoir selon un modèle qui s’apparente au socialisme de guilde, une approche qui allie certains éléments de l’anarchisme au socialisme. À cet égard, ce livre s’inscrit dans la lignée des Principles of Social Reconstruction et des Roads to Freedom. Mais, quoique la possibilité d’établir un tel système, de même que les présumés bienfaits de ce dernier soient justifiés par des considérations sur la nature humaine, l’auteur s’abstient de recourir abusivement à la psychanalyse et demeure muet quant à ses prescriptions antérieures qui voulaient que l’éducation des dirigeants puisse modérer leurs visées de domination. Ainsi, sans aller jusqu’à démentir l’opinion selon laquelle Russell était, en fait de politique, plus doué pour l’action que pour la théorie, L’autorité et l’individu présente néanmoins une réflexion qui est moins empreinte de ce que certains ont qualifié de naïveté. Toutefois, en plus d’un certain manque de systématicité, l’ensemble souffre de nombreuses répétitions et de ce que la plupart des idées avancées demeurent au stade de l’ébauche, conséquences presque inévitables du format original de ce qui est livré ici. Par ailleurs, tout en étant très précise, la traduction de Michel Parmentier a su préserver une articulation naturelle à la prose russellienne. La première conférence, «La cohésion sociale et la nature humaine» traite autant des conditions favorables à la coopération que des causes possibles d’effondrement d’une organisation. Prenant appui sur les travaux d’Arthur Keith, Russell soutient que malgré l’évolution de l’humain sur les plans social, politique et technique depuis le paléolithique, nous demeurons pratiquement inchangés sur le plan biologique. Or la coopération avec nos semblables et la violence envers ceux qui ne font pas partie de notre communauté seraient des instincts, et donc des composantes biologiques qui nous animeraient toujours (p. 5). Russell en veut pour preuve que ces instincts se sont toujours manifestés d’une façon ou d’une autre dans les communautés humaines, quelles qu’en soient les formes d’organisation (pp. 6-8). Ainsi, notre famille et les autres familles, notre tribu et les autres tribus, les conquérants et les conquis, les membres de notre religion et ceux qui ne le sont pas, notre nation et les autres nations et, finalement, les pays communistes et les pays capitalistes sont autant de façons de démarquer les «amis», «ceux envers qui nous pratiquons une morale de coopération», des «ennemis», «envers qui nous pratiquons une morale de compétition» (pp. 8-9). Cependant, la coopération n’étant vraiment naturelle qu’envers la famille, la cohésion parmi les organisations plus vastes ne se maintient que par la conviction, fondée ou non, d’avoir un ennemi commun (p. 6). Aussi Russell, qui par ailleurs a cru à la possibilité de la paix mondiale, ne prévient-il pas néanmoins que cette dernière ne pourra être instaurée que si l’humain trouve un exutoire à ses pulsions agressives qui soit aussi satisfaisant que la guerre. À cet effet, il propose que les sports, la politique et la rivalité dans le domaine des arts aient plus d’importance dans la vie quotidienne (p. 12), et précisera à plusieurs occasions que ce qu’il entend ici est que les gens doivent avoir l’occasion de s’impliquer activement dans ces domaines, de sorte que leurs idées et leurs projets influencent sensiblement leurs semblables. Bien …
Bertrand Russell, L’autorité et l’individu, trad. de l’anglais par Michel Parmentier, Québec, Les Presses de l’Université Laval, coll. «Zêtêsis», 2005, 119 pages.[Record]
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Isabelle Martineau
Université de Montréal