On aura décidément dû s’armer de patience avant de lire la première biographie de Hegel dans la langue de Molière, le célèbre Hegels Leben de Karl Rosenkranz publié en 1844. C’est ce que nous permet enfin Pierre Osmo, 160 ans après que l’ouvrage fut initialement livré en allemand. Ceux qui sont familiers avec la version originale remarqueront que le traducteur a décidé de ne pas reproduire les documents inédits de Hegel que le biographe avait présentés en appendice de son livre, hormis deux Oraisons funèbres prononcées par des amis de Hegel lors de son inhumation. Le traducteur a plutôt choisi de joindre la traduction d’autres textes à sa version de Hegels Leben, à savoir: l’Apologie de Hegel contre le docteur Haym publié par Rosenkranz en 1858 ainsi qu’un Portrait de Hegel écrit par Hotto en 1835. L’une des raisons de ce choix est clairement exprimée par Osmo dans la Présentation du livre et une autre se laisse deviner à la lecture de l’entièreté de cette partie de texte. En effet, on précise d’abord qu’il était inutile d’inclure dans la traduction française les textes hégéliens inédits présentés dans Hegels Lebens étant donné qu’ils sont maintenant publiés «dans une multitude d’éditions séparées – établies, présentées, annotées par des spécialistes toujours plus instruits et plus minutieux» (p. 14). Osmo affirme aussi avoir inclu le texte de Hotto dans sa traduction parce que Rosenkranz «le cite dans la Vie de Hegel et dans l’Apologie» (p. 7). Or, à la lecture de ces précisions, on sent que c’est un dessein beaucoup plus profond qui l’a motivé à agir de la sorte: celui de prouver l’objectivité du biographe en nous invitant implicitement à conclure que le philosophe décrit par Hotto est bien le même dont Rosenkranz nous relate la vie. On ne peut qu’arriver à cette conclusion lorsqu’on prend en considération l’excellent portrait de Rosenkranz dressé dans des pages qui ne manquent pas d’expliquer que ce dernier fut mal jugé par les disciples du défunt et qu’il deviendra, malgré lui, à leurs yeux, «le «réformateur» de la philosophie hégélienne» (p. 42) et non son continuateur. Rosenkranz a-t-il trahi la philosophie hégélienne et l’image de son instigateur dans sa biographie comme certains le pensent? Osmo ne répond pas clairement à la première partie de cette question mais nous convainc de la justesse du livre de Rosenkranz en relevant que ce dernier s’est lui-même inspiré du concept de biographie que nous a légué Hegel et qu’il s’est donc attardé à «la restitution du «monde historique» qui est «à l’arrière plan» de ce cours si individuel des choses qu’est l’histoire d’une vie» (p. 60) dans Vie de Hegel. Voyons maintenant comment cette vision hégélienne des choses se révèle effectivement dans les quatre grandes parties de l’ouvrage que nous présente Pierre Osmo. Dans sa Préface, Rosenkranz s’attarde principalement à éclairer trois choses. Premièrement, il nous informe de sa conception de l’idéalisme allemand en affirmant que Hölderlin se présente comme «la préface poétique à Schelling et Hegel» (p. 67). Ce faisant, on prépare le lecteur à faire la connaissance d’un Hegel fasciné par l’Un et le Tout comme son ami poète. Deuxièmement, le biographe éclaire la nature du lien qui le lie à Hegel en affirmant, entre autres, ce qui suit: «Je me limite donc à rappeler que je n’ai jamais été un élève direct de Hegel, mais cependant, que je suis entré en contact avec lui et avec le cercle qui s’était formé autour de lui au point d’avoir pu graver en moi une représentation suffisante de sa personnalité et du rapport qu’il …
Karl Rosenkranz, Vie de Hegel suivi de Apologie de Hegel contre le docteur Haym, trad. de Pierre Osmo, Paris, Gallimard, 2004, 731 pages.[Record]
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Éric Guay
Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec