Les études ockhamistes ont connu un essor considérable ces vingt dernières années. Deux facteurs principaux, me semble-t-il, ont joué de concert à ce propos. D’abord, une excellente édition critique des écrits philosophiques et théologiques d’Ockham, achevée en 1988, a rendu l’oeuvre disponible aux chercheurs dans une version fiable, ce qui, malheureusement, reste exceptionnel en études médiévales : on n’a pas encore l’équivalent pour Abélard, Albert le Grand ou Jean Duns Scot, par exemple. Il faut en savoir gré au Franciscan Institute de l’Université Saint-Bonaventure (N.Y.), qui a consacré quarante ans à l’entreprise, et au Père Gedeon Gál, en particulier, qui l’a dirigée de main de maître pendant plus de vingt ans et qui l’a menée à terme. Deuxièmement, il y a eu une prise de conscience nette, ces dernières décennies, d’affinités frappantes entre la philosophie de la fin du Moyen Âge, celle du xive siècle surtout, et la philosophie analytique contemporaine. L’ouvrage qui l’a le mieux manifesté est le Cambridge History of Later Medieval Philosophy paru en 1982 sous la direction de Norman Kretzmann, Anthony Kenny et Jan Pinborg, qui a résolument mis l’accent sur l’intérêt du Moyen Âge tardif pour les discussions actuelles en philosophie analytique. Il n’est pas abusif de dire, de fait, que la via moderna de la fin du Moyen Âge – dont Guillaume d’Ockham est l’un des grands représentants – est, littéralement, une philosophie de type analytique : une pratique philosophique, c’est-à-dire, qui repose sur des théories logiques et sémantiques détaillées et sophistiquées, et qui utilise systématiquement ces appareils logico-sémantiques pour la discussion de tous les problèmes philosophiques. Les questions de philosophie de la physique, par exemple, sont en grande partie, chez Ockham, des problèmes de sémantique des termes comme « mouvement », « vide », « lieu », « temps », etc. La mise à disposition des textes mêmes d’Ockham, donc, et la prise de conscience de l’intérêt potentiel de ces textes pour les discussions en cours en philosophie du langage, en philosophie de l’esprit, en métaphysique analytique, etc., ont concouru à susciter de nombreux travaux sur Ockham depuis une vingtaine d’années, à commencer par l’exceptionnel William Ockham de Marilyn Adams en 1987. Et ce foisonnement de recherches a donné lieu, comme de raison, à d’importants débats d’interprétation au sujet de la doctrine ockhamiste. Il se trouve que les plus agités de ces débats, depuis 1990 surtout, ont tourné autour de la théorie des concepts. J’y ai contribué, comme plusieurs autres. Et j’ai senti le besoin, à un certain moment, de faire le point là-dessus d’une manière systématique. Tel est l’objet de ce livre, que j’ai fait en anglais pour rejoindre directement mes interlocuteurs anglophones, sans être inaccessible aux autres pour autant. Les trois premiers chapitres couvrent les notions de base de la théorie ockhamiste des concepts : J’ai essayé, chaque fois, de mener l’exposition en discussion avec les travaux récents – ceux, en particulier, avec lesquels je me trouve en désaccord. Mais j’ai voulu surtout que les enjeux en soient compréhensibles au non-initié. Les trois chapitres suivants abordent un thème qui est devenu central dans les discussions actuelles sur Ockham, celui des concepts connotatifs. Un terme connotatif, chez Ockham, est une unité signifiante dotée d’une structure sémantique hiérarchisée. Il a des signifiés premiers d’une part – une extension, si l’on préfère : « blanc », par exemple, a pour signifiés premiers toutes les choses blanches, et « cavalier » a pour signifiés premiers tous les cavaliers. Mais le terme connotatif, outre son extension, a aussi une référence oblique : il renvoie à d’autres individus du monde, qui ne font pas, …
Le nominalisme d’Ockham et la représentation mentale. Précis de Ockham on Concepts[Record]
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Claude Panaccio
Université du Québec à Montréal
panaccio.claude@uqam.ca