Dans le premier chapitre, j’élabore et défends la notion de contrainte pragmatique, à laquelle souscrivent plusieurs publications récentes sur la philosophie de l’art, dans la grande tradition analytique. Je suggère aussi qu’en vertu de la contrainte pragmatique, certains aspects de notre pratique artistique mettent en question des affirmations généralement partagées à propos de l’appréciation et de la valeur artistiques. Selon ce que je nomme la « théorie de l’art du sens commun », les oeuvres d’art sont le genre de choses dont des exemples sont accrochés sur les murs des galeries, projetés sur des écrans, joués dans des salles de concert, ou peuvent être achetés dans une librairie ; et apprécier une oeuvre d’art consiste à se livrer à l’expérience d’une rencontre immédiate avec un exemple de l’oeuvre. La valeur artistique réside alors dans la qualité des expériences ainsi obtenues. Cette vision des choses est largement « empiriste », si l’on tient compte du fait qu’une appréciation et une évaluation artistiques nécessitent une connaissance minimale des différents aspects de l’histoire de la production d’une oeuvre, qui ne peut être déterminée sur la base de l’examen d’un seul de ses exemples — voilà ce à quoi conduit la nature « immédiate » de l’expérience nécessaire de la rencontre. Les aspects de notre pratique artistique qui sont problématiques pour la théorie du sens commun comprennent : a) la matière dont l’oeuvre est faite, si la peinture est un faux, pour que, par exemple, nos jugements sur la valeur artistique se transforment lorsque nous découvrons que les Disciples d’Emmaüs est de van Meegeren et non de Vermeer ; b) notre intérêt, cultivé par les conservateurs de musée, pour la manière dont les objets d’art sont produits — par exemple, l’exposition, à côté des peintures, des premiers croquis des Demoiselles d’Avignon de Picasso, et l’attention portée au fait que Vermeer a utilisé une camera obscura pour plusieurs de ses toiles ; et c) les difficultés que rencontrent ceux qui possèdent quelque chose comme la théorie du sens commun lorsqu’ils tentent de comprendre et d’apprécier plusieurs oeuvres de l’art moderne tardif. Ces questions se posent non seulement pour l’art visuel, mais aussi pour le théâtre, la danse, le cinéma, la littérature, la musique, et les autres formes d’art. Pour les « empiristes esthétiques » qui adhèrent à la vision appréciative du sens commun, notre pratique est simplement erronée lorsqu’elle considère que de tels aspects de l’histoire de la production d’objets d’art sont eux-mêmes susceptibles d’être appréciés en tant qu’oeuvres : ils ne concernent que les éléments sociologiques, psychologiques et artistico-historiques des produits de la création artistique. Je réponds à ces questions de deux façons similaires. Premièrement, dans les chapitres 2 et 3, je donne un fondement plus solide aux récents travaux en épistémologie de l’art qui s’attaquent à la manière d’apprécier de l’esthétique empiriste. J’examine alors de quelle façon la connaissance historique de la création du produit d’une activité artistique repose sur l’appréciation de l’oeuvre créée. Ce faisant, j’introduis le terme de « centre d’appréciation » [focus of appreciation] pour renvoyer au produit d’une performance artistique créatrice, dans la mesure où ce produit est considéré comme pertinent pour l’appréciation de l’oeuvre ainsi créée. M’appuyant sur les travaux de Currie, Dutton, Danto, Levinson, Wollheim, Blinkley et autres, je soutiens que le centre d’appréciation devrait être considéré comme ayant une certaine structure, et que nous pouvons comprendre cette structure sans situer le véhicule artistique dans le contexte de l’histoire de sa production. Des oeuvres d’art sont créées parce que quelque chose est fait dans un contexte où cette action est vue comme produisant autre chose …
Précis de Art as Performance[Record]
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David Davies
McGill University
david.davies@staff.mcgill.ca