Les querelles métaphysiques classiques opposent les réalistes aux autres — les anti-réalistes, les irréalistes, et autres quasi-réalistes. Malgré la relative nouveauté du terme « anti-réaliste », de tels débats existent depuis les présocratiques. Michael Dummett, à travers l’ensemble de ses écrits, fut le premier à proposer un cadre conceptuel permettant de regrouper les différentes disputes sous un thème unificateur : la philosophie du langage. Selon Dummett, en effet, la « base de la métaphysique » se situe dans l’analyse de la logique qui gouverne les énoncés types du discours à analyser. Si le discours en question est régi par le concept de vérité, alors il respecte la logique classique et il est réaliste. Si au contraire il est régi par le concept d’assertabilité, alors la logique du discours est intuitionniste, et il sera anti-réaliste. Pour Dummett, le concept central du réalisme est celui de la vérité : un discours dont tous les énoncés pourvus de sens sont, de façon déterminée et indépendamment de nos facultés cognitives, vrais ou faux sera un discours réaliste. Crispin Wright est d’accord avec Dummett sur deux points centraux : l’utilité d’unifier les débats métaphysiques et l’importance de l’analyse des énoncés. Toutefois, dans son séminal Truth & Objectivity, il propose de séparer le lien que Dummett fait entre vérité et réalisme. Selon Wright, les énoncés de tous les discours dignes de ce nom sont capables d’être vrais ou faux, et cela inclut l’éthique, le discours scientifique, l’esthétique, la politique, et même l’humour. Ce qui différencie potentiellement ces domaines, c’est la nature du concept de vérité qui leur est accordé. Plus le concept de vérité approprié à un discours est substantiel, plus ses énoncés seront à comprendre dans un sens réaliste. À l’opposé, si le concept de vérité approprié est minimaliste, alors ce discours en sera un qui sera davantage anti-réaliste. Pour Wright, il y a plusieurs concepts de vérité, et chacun possède ses caractéristiques propres et détermine la façon dont on peut concevoir le discours comme étant réaliste ou plutôt anti-réaliste. Il n’y a donc pas, en tant que tel, des conditions nécessaires et suffisantes pour le réalisme : c’est plutôt un spectrum, qui va d’un concept minimal de vérité (anti-réalisme) à des concepts de plus en plus robustes et substantiels (dont le plus robuste correspond nettement à un réalisme). On voit bien que dans cette perspective, la distinction entre réalisme et anti-réalisme en est une de degré, contrairement au cadre dummettien où les énoncés d’un discours sont ou bien gouvernés par le concept de vérité (réalisme), ou bien ne le sont pas (anti-réalisme). Le volume qui fait l’objet de la présente étude, Saving the Differences, contient les essais de Wright qui développent ces thèmes. Tous les essais, à l’exception de deux qui annoncent la nouvelle plateforme développée plus en détail dans Truth & Objectivity, ont été écrits depuis la publication de ce dernier. Les essais approfondissent et élargissent les idées centrales de Truth & Objectivity. Cela en fait le volume d’accompagnement idéal pour le lecteur avide de s’initier à la problématique du réalisme telle qu’elle est discutée actuellement. Le contenu du livre se divise en deux parties. Il y a en premier lieu des raffinements du cadre conceptuel proposé dans Truth & Objectivity. Ce sont les sections sur le réalisme en général (sections I et II) et sur la vérité (section IV). Ils constituent ce que j’appelle les « débats de fond », c’est-à-dire qu’ils portent sur la structure même que doivent prendre les débats métaphysiques. La deuxième partie du livre consiste en des applications du cadre conceptuel mis de …
Appendices
Bibliographie
- Dennett, D. (1987). The Intentional Stance, Cambridge, Cambridge University Press.
- Dummett, M. (1991). The Logical Basis of Metaphysics, Cambridge, Harvard University Press.
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