Ce livre plein de sagesse, de modération, de bon sens donne au lecteur le sentiment agréable de participer à un dialogue philosophique avec l’auteur. Dans l’esprit d’une telle conversation, j’aimerais poser ici quelques questions suscitées par certains des essais colligés dans Le rasoir de Kant. Elles ont pour but de poursuivre le dialogue avec Ruwen Ogien que ses réflexions dans le livre semblent solliciter. Ogien lie le rationnel à la partialité et le raisonnable à l’impartialité. Ce premier article du recueil soulève donc la question de la relation entre la partialité et l’impartialité. J’aimerais souligner une remarque importante de l’auteur à ce sujet. Bon nombre de critiques de l’impartialité en éthique sont en fait dirigées contre l’idée d’un « principe substantiel » (32) d’impartialité qui nous ordonnerait de traiter chaque personne de la même façon. Mais, comme le mentionne Ogien, ce n’est pas le seul rôle que peut jouer l’impartialité dans un système éthique ; et il est frappant de constater que peu de théories morales courantes contiennent un tel principe de premier ordre. Passons donc à l’idée que l’impartialité est plutôt un point de vue à partir duquel il est possible de choisir, d’adopter, d’endosser ou de justifier des principes de premier ordre. Ogien remarque que le fait d’occuper une telle perspective n’implique pas que les principes choisis seront forcément impartiaux : « Il est parfaitement concevable que des principes partialistes soient recommandés à partir d’un point de vue impartial » (33). J’admets que ceci est concevable, mais j’aimerais savoir s’il y a des raisons concrètes de penser que c’est effectivement le cas. J’ai l’impression qu’Ogien croit qu’il y en a, car il parle à plusieurs reprises de « dériver » le rationnel (le partial) du raisonnable (l’impartial), et ce mot semble indiquer un rapport plus étroit entre les deux qu’une simple absence d’incompatibilité. (Dériver un théorème de certaines prémisses, ce n’est pas montrer que celui-là est compatible avec celles-ci, c’est montrer que celui-là est une conséquence logique de celles-ci.) Cette formulation suggère plutôt que la perspective impartiale exige l’adoption de principes partialistes, que ceux-ci seraient des conséquences ou des corollaires de toute procédure impartiale de sélection. Certaines formes de l’utilitarisme réclament que cela soit le cas, mais à part ces tentatives, je vois mal les raisons pour lesquelles on aurait le droit de parler de dériver le partial de l’impartial comme le fait Ogien. Ogien présente trois arguments en faveur de la proposition que la faiblesse de la volonté n’est pas nécessairement irrationnelle. Il dit trouver le troisième argument dans Davidson, mais personnellement je ne trouve pas d’argument pour cette conclusion dans « How is Weakness of the Will Possible ? ». L’argument que décrit Ogien établirait, au plus, que la faiblesse de la volonté n’implique aucune contradiction logique (à moins que l’agent ait adopté le principe de continence). Mais ceci n’équivaut pas à dire que la faiblesse de la volonté n’est pas forcément irrationnelle. Ogien semble assimiler les deux quand il dit « qu’il n’y a aucune contradiction logique, aucune irrationalité intrinsèque » (64 ; voir aussi 70) dans le fait d’agir pour une raison tout en croyant que les raisons pour agir autrement sont meilleures. Mais ce n’est que si on suppose que la contradiction logique constitue la seule forme d’irrationalité que ces deux formulations sont équivalentes. Selon moi, Davidson (même le Davidson de « How is Weakness of the Will Possible ? ») n’endosserait pas cette proposition. Je ne la trouve pas très plausible, d’ailleurs. Je passe donc aux deux premiers arguments présentés par Ogien dans cet article. Comme il le remarque, …
Rationalité, humanité, normativité[Record]
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Sarah Stroud
McGill