Comptes rendus

Roger Pouivet, L’oeuvre d’art à l’âge de sa mondialisation. Un essai d’ontologie de l’art de masse, Bruxelles, La Lettre volée, collection Essais, 2003, 113 pages.[Record]

  • Mélissa Thériault

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  • Mélissa Thériault
    Université du Québec à Montréal

Cet essai de Roger Pouivet — qui est en quelque sorte l’application d’une réflexion amorcée dans un ouvrage précédent sur l’ontologie de l’art — porte sur une question souvent laissée de côté. En effet, la question de l’art de masse n’est pas le parent pauvre de la réflexion en philosophie de l’art : elle y fait plutôt figure d’enfant illégitime. L’objectif de cet ouvrage clair et concis n’est pas tant de discuter de la valeur de l’art de masse sur le plan culturel et artistique, mais plutôt de tenter de cerner ce qui est propre à l’art de masse. Assumant au départ que l’art de masse n’appartient pas à la culture au sens classique du terme, l’auteur cherche à montrer que l’art de masse a substantiellement modifié le statut ontologique de l’oeuvre d’art : ce qui en fait l’originalité (par rapport à l’art moderne et contemporain qui ont surtout renouvelé les formes d’art), c’est qu’il substitue au culte de l’original la multiplicité systématique (p. 11). Les deux thèses (soit celle de l’art de masse comme « art de l’ubiquité » et celle qui concerne la valeur de l’art de masse) autour desquelles l’ouvrage est articulé seront brièvement présentées ici, pour mettre ensuite en évidence certaines de leurs implications. La première thèse concerne la spécificité ontologique de l’art de masse, et pose que le mode de diffusion massive de certaines formes d’art est la nouveauté radicale du vingtième siècle. L’auteur fait remarquer que c’est à tort que les philosophes, à quelques exceptions près, ont ignoré la question (p. 15), et que ceux qui s’y sont intéressés commettent fréquemment l’erreur de réduire la particularité de l’art de masse à la facilité de reproduction et de diffusion des oeuvres (p. 19). Selon Pouivet, l’art de masse a un caractère mondial, non humaniste, « indifférent à toute tradition » et individualiste (p. 16) ; il doit « être intelligible et appréciable à Paris, Bombay, Johannesburg ou Manille » et n’existe que par sa diffusion (p. 23). C’est en fait l’accessibilité des oeuvres d’art de masse qui contribuerait à leur spécificité ontologique (p. 26), spécificité qui fait en sorte que le statut de l’oeuvre d’art de masse est subordonné aux questions juridiques telles que celle des droits d’auteurs et de diffusion (p. 41). L’auteur tient pour acquis que les oeuvres d’art de masse sont, par opposition aux oeuvres du grand art, d’abord des objets commerciaux qui ne nécessitent aucun complément d’information pour être appréciées (p. 45). Par conséquent, il ne peut être question, en ce qui concerne ces oeuvres, que de promotion. On peut ici se demander si cela est réellement une différence qui oppose art de masse et grand art, puisque s’il est vrai qu’il n’est pas toujours nécessaire de posséder une vaste culture pour apprécier une oeuvre d’art de masse, il en est de même pour l’art classique. À l’inverse, pour prendre un exemple banal, on apprécie d’avantage la musique populaire noire des années cinquante lorsqu’on sait quel rôle elle a pu jouer sur le plan socio-politique. Contrairement à ce que soutient l’auteur, elle n’est peut-être pas faite uniquement « pour nous faire danser et passer le temps » (p. 101). D’autre part, la notion d’accessibilité sur laquelle repose en partie l’analyse de Pouivet apparaît donc problématique, si on tient compte des thèses d’auteurs tels que David Novitz, qui montrent que l’opposition entre « grand art complexe » et « art de masse accessible » n’est pas si nette qu’il y paraît à première vue. En fait, si la « massification » de l’art (phénomène qui touche d’ailleurs de plus en plus le …

Appendices