Comptes rendus

Bernard Baertschi et Kevin Mulligan (dir.), Les nationalismes, Paris, Presses Universitaires de France, collection Éthique et philosophie morale, 2002, 251 pages.[Record]

  • Martin Blanchard

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  • Martin Blanchard
    Université de Montréal

Cet ouvrage propose quelques pistes pour remédier aux conflits ethniques et nationaux tout en rejetant la solution, jugée inadéquate, qui consiste à éliminer les particularismes de l’espace politique public. Il s’agit d’un recueil rassemblant des textes écrits durant la décennie précédente. L’équilibre recherché est celui d’un « amour du pays » qui ne reconduit pas les tares du « préjugé national », pour reprendre un mot d’Adam Smith (p. 4). Le recueil est divisé en trois parties. La première, intitulée Les forces du nationalisme, contient les textes de Philip Gerans, qui compare diverses formes historiques de nationalisme ; de David Miller, qui défend la « nationalité » et de Bernard Baertschi, sur « Le charme secret du patriotisme ». La seconde, Les faiblesses du nationalisme, contient ceux de Daniel M. Weinstock, sur une défense morale du nationalisme ; de Ninad Miscevic, sur les difficultés à justifier le nationalisme et d’Elmar Holeinstein sur le concept de Kulturnation. Enfin, la dernière, Quelques remèdes, regroupe les textes de Markus Haller sur le multiculturalisme, de Barry Smith, qui analyse la nation à partir de sa « spatialité » et enfin, de Murray N. Rothbard, sur une conception libertarienne de la nation. Cette élégante tripartition vise à déployer à la fois les forces et les faiblesses du nationalisme en proposant, finalement, des solutions qui s’inspirent d’une réflexion sur les arguments des sections précédentes. Dans ce qui suit, je m’intéresserai aux contributions les plus prometteuses, soit celles de Miller, Weinstock et Smith. Ce parcours me conduira à conclure que, malgré la qualité de ces textes et de quelques autres, les objectifs que les responsables du recueil se sont donnés n’ont pas été entièrement atteints. Dans la première section, la contribution de David Miller, « Une défense de la nationalité », reproduit un article publié en 1993, mais qui demeure toujours d’actualité. Miller y défend l’idée d’une identité nationale — la « nationalité » — qui, parce qu’elle constituerait l’attachement politique le plus significatif et le plus contraignant, se distinguerait de toute autre identité collective. Ce type d’attachement engagerait tout citoyen à conduire ses réflexions sur la justice en se rapportant à son identité nationale, bien que cela ne l’empêche pas de reconnaître une valeur intrinsèque possédée par tout être humain. Miller cherche ainsi à trouver un équilibre entre deux tendances qu’il nomme le quotidien (se référant ici à Hume) et le philosophique. La nationalité est une identité collective singulière qui se réfère à « une communauté constituée par une croyance mutuelle, étendue dans l’histoire, de caractère actif, liée à un territoire particulier, et estimant être séparée des autres communautés par des traits distincts » (p. 39). Ces éléments distinctifs expliquent en partie ce qui rend la nationalité si importante aux yeux de Miller ; par exemple, l’autorité d’un groupe national sur un territoire est un aspect essentiel de l’autodétermination politique, au sens où le rapport d’une nation à un territoire particulier fonde le contrôle légitime de ce même territoire par un État. Mais un autre élément important distingue la nationalité. Toujours selon Miller, la nationalité est une identité préphilosophique qui échappe en partie à la raison. L’identité nationale dépendrait ainsi du « sens préréflexif » que tout individu éprouve d’appartenir à un « certain groupe historique » (p. 40). La nationalité serait alors constitutive de l’identité personnelle, donnant un sens au devoir moral des individus, en outre, par l’intermédiaire des obligations mutuelles entre co-nationaux. Cependant, il ne faudrait pas concevoir les identités nationales comme étant exclusives (p. 44). Contre ce préjugé, Miller nous enjoint de prendre acte du monde tel qu’il …