Abstracts
Résumé
Cet article défend la thèse suivant laquelle le républicanisme de Machiavel doit être pensé dans le cadre théorique des tumulti, c’est-à-dire des conflits entre les grands — qui veulent dominer— et le peuple — qui veut être libre. Cela signifie d’abord que le républicanisme de Machiavel ne présuppose aucune conception compréhensive de la liberté politique ni de quelque vision du bien que ce soit. La valeur normative de la thèse du conflit tient en ce que les dissensions entre les groupes sociaux sont garants de la liberté politique et de la neutralité axiologique des institutions qui favoriseront cette liberté. Cela signifie ensuite, mais il s’agit en réalité de la même affirmation, que la pensée politique de Machiavel ne doit pas être interprétée en fonction des paramètres de l’humanisme civique, qui est une forme de néo-aristotélisme sur le plan politique et éthique et dont on associe trop souvent et trop facilement les thèses au républicanisme sous prétexte qu’il en est une des origines.
Abstract
This article defends the claim that Machiavelli’s republicanism should be approached via the theoretical framework of tumulti, that is, the conflicts among the powerful “who want to dominate” and the people “who wants to be free”. It means that Machiavelli’s republicanism presupposes neither a comprehensive conception of political freedom, nor any vision of what the good is. The normative value of the conflict thesis lies in the fact that social dissent between the social groups secures the political freedom and the axiological neutrality of the institutions that promote this freedom. It means therefore — and it is in reality the same assertion — that Machiavelli’s political thought should not be interpreted as related to some form of civic humanism, that is, a neo-Aristotelian conception of ethics and politics, and which we too easily associate with republicanism.
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Appendices
Notes
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[1]
Je tiens à remercier ici Caroline Allard, Marie Gaille Nikodimov, Christian Lazzeri, Pierre-François Moreau, Martin Provencher, Jean-Fabien Spitz et Miguel Vatter pour leurs commentaires, M sur ce texte. Je remercie également les deux évaluateurs anonymes de la revue Philosophiques pour leurs commentaires. Une première version de ce texte a fait l’objet d’une conférence, en mai 2001, au département de philosophie de l’Université de Montréal, dans le cadre d’un stage d’études postdoctorales. Je remercie le FQRSC pour l’aide apportée à ma recherche.
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[2]
Leo Strauss, 1958, p. 255.
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[3]
Leo Strauss, 1954, p. 148-149.
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[4]
John G. A. Pocock, 1997.
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[5]
Voir Harvey C. Mansfield, 2001. Dans cet article, Mansfield s’attaque essentiellement aux thèses de Hans Baron, sur lesquelles s’appuie en partie Pocock. Voir Hans Baron, 1966. Pour une critique des thèses de Pocock et une lecture de Machiavel qui me semble sur plus d’un point correspondre à la mienne, voir aussi Marie Gaille-Nikodimov, 2001 et Thierry Ménissier, 2001. Je dois aussi beaucoup à l’article de Vickie B. Sullivan, 1992.
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[6]
Quentin Skinner, 1997.
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[7]
John Rawls, 1995, p. 250-251. Rawls dit reprendre une distinction faite par Charles Taylor, 1995, p. 334-335.
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[8]
Voir Jacques Krynen, 1981. Voir aussi Horst Dreitzel, 1991.
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[9]
Voir Michel Senellart, 1995, p. 47-59.
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[10]
Sauf exception, je cite tous les textes de Machiavel d’après la traduction française des Oeuvres de Machiavel par Christian Bec, 1996. Pour Le Prince, j’ai également utilisé l’édition bilingue établie par C. Bec, 1987 et la nouvelle édition bilingue établie par Jean-Louis Fournel et Jean-Claude Zancarini, 2000. Pour la suite du texte, à moins de références trop nombreuses, j’indiquerai directement dans le corps du texte les renvois à l’oeuvre de Machiavel. D : Discours sur la première décade de Tite-Liv ; P : Le Prince ;HF : Histoires florentines.
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[11]
[…] « e l’uno e l’altro ha vauto bisogno d’essere regolato dalle leggi ; perché un principe che può fare ciò ch’ei vuole è pazzo ; un populo che puo fare ciò che vuole non è savio »
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[12]
Voir à ce sujet l’étude de James M. Blythe, 1992.
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[13]
Voir D., I,II-IV ; I,VII ; HF, II,XXVI ; III,XV et IV,III.
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[14]
Traduction Bec, p. 195.
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[15]
Ibid., p. 300.
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[16]
Aristote, Politiques, (III,7) Polybe, Histoires, livre VI.
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[17]
Voir Anthony J. Parel, 1992, p. 35 et sq.
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[18]
Voir Hans Baron, 1966 ; John G. A. Pocock, 1997. Voir Anthony Grafton, 1997, p. 9-27. Pour une critique importante des limites de la lecture proposée par Baron, voir Quentin Skinner, 1978.
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[19]
Sur le bien commun, voir D., I, 9 ; II, 2 ; H. VII, 1.
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[20]
Voir Pierre Aubenque, 1963.
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[21]
Voir Le Prince, chap. VII, p. 124-129 pour la prévoyance contre les aléas de la Fortuna ; chap. XIV, p. 146-147 et chap. XX, pour les connaissances relatives à la guerre ; chap. XVI, p. 149-150 sur l’habilité dans l’usage politique de la libéralité ; chap. XVII, p. 151, chap. XIX et XXI, sur l’habilité à être aimé et craint par les sujets ; chap. XVIII p. 153-155, sur l’usage de la ruse ; chap. XXIII, p. 171 sur la discrétion et les raisons pour lesquelles la prudence oblige le prince au secret ; chap. XXV sur la manière dont prudence et virtù peuvent lutter contre la « malignité » de la Fortuna. On s’explique mal pourquoi la traduction de Christian Bec efface presque toujours le mot « prudence », qui est pourtant très présent dans le texte italien.
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[22]
Voir sur la prudence chez Machiavel, Eugene Garver, 1987. Pour une analyse des rapports entre virtù et Fortuna, voir Claude Lefort, 1972, chap. IV ; Thomas Flannagan, 1972. Voir aussi Pocock, 1972. Pour une approche différente de celle proposée par Pocock, voir l’interprétation « straussienne » de Harvey C. Mansfield 2001 et 1996 ; pour comprendre le décalage entre les thèses de Machiavel sur la Fortuna et la virtù et celles du Moyen Âge et de la Renaissance, voir l’étude de Gioacchino Paparelli, 1979.
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[23]
Voir p. 111 de l’édition Bec.
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[24]
Lettre à F. Vettori, 10 déc. 1513.
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[25]
Nous suivons ici l’interprétation proposée par Pocock, op.cit., 1972 et 1997.
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[26]
Traduction Bec p. 172
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[27]
Ibid., p. 172. La traduction Bec dit « sagesse » là où le texte italien dit « prudenzia » : E così arà duplicata gloria, di avere data principio a uno principato nuovo, e ornatolo e corroboratolo di buone legge di buone arme, di buoni amici e di buoni esempli ; come quello ha duplicata bergogna, che, nato principe, lo ha per sua poca prudenzia perduto ». Voir éd. bilingue du Prince établie par C. Bec, 1987, p. 426. La traduction de Fournel et Zancarini est plus juste, cf. p. 195.
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[28]
Discours, livre I, chap. XXVI, « Un nouveau prince, dans une cité qu’il a pris, doit tout faire à neuf », dans Oeuvres, op.cit., p. 237 et sq.
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[29]
Traduction Bec, p. 237-238.
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[30]
Ibid., p. 238.
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[31]
« Mais, et c’est ce qui paraîtrait inacceptable à saint Thomas, on peut dire indifféremment que, pour Machiavel, la sagesse est entièrement « descendue » dans la prudence ou que celle-ci s’est élevée au niveau de la sagesse. » Voir Christian Lazzeri, 1995.
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[32]
Voir Christian Lazzeri (éd. et introduction), 1995, p. 95-101.
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[33]
Voir Thierry Ménissier, 1999, p. 227 et 2001.
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[34]
Voir p. 196 de la traduction Bec.
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[35]
À la différence des théories classiques de la règle de la loi, Machiavel ne croit pas que les lois soient bonnes seulement si elles défendent le bien commun. Elles doivent résulter des discordes, sans quoi elles ne pourraient prétendre défendre un véritable bien commun.
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[36]
Ibid., p. 197.
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[37]
Ibid.
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[38]
Ibid., p. 196.
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[39]
Ibid., p. 201.
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[40]
Ibid., p. 204.
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[41]
Voir Miguel Vatter, 2000, p. 101-105.
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[42]
Voir Julian H. Franklin, 1997, p. 270- 297 et 1993. Voir aussi Jean-F. Spitz, 1998.
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[43]
Bruce Ackerman, 1998. La discussion proposée au début de l’ouvrage avec Louis Hartz et John Pocock témoigne de cette volonté de l’auteur d’en finir avec l’impasse des modèles où prédominent soit le droit individuel, soit la volonté du peuple.
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[44]
Chantal Mouffe, 2000.
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[45]
Gramsci par exemple, suivi en cela par Althusser. Sur la lecture de Machiavel par Gramsci et Althusser, voir Pierre-François Moreau, 2001. Mais on retrouve cette conception chez la plupart des commentateurs classiques de Machiavel (Renaudet, Burckhardt, etc.). Voir Jean-Fabien Spitz, 2001.
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[46]
Voir Pic de la Mirandole, 1993.
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[47]
Voir Garin, 1998, 2003.
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[48]
Philip Pettit, 1997 (1999)
Bibliographie
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