Comptes rendus

Platon, La République, introduction, traduction et notes de Georges Leroux, Paris, Flammarion, 802 p. [Record]

  • Benoît Castelnérac

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  • Benoît Castelnérac
    Université de Montréal

Depuis la fin des années quatre-vingt, la collection G.-F. propose au grand public et aux étudiants une mise à jour complète des traductions de Platon ; la plupart des dialogues sont déjà disponibles, entièrement retraduits et accompagnés d’une introduction et de notes faisant état de l’actualité des recherches sur Platon. Un petit nombre reste encore à paraître (dont l’immense Lois), mais la parution de La République (février 2002) comble un manque d’importance dans cette entreprise de renouvellement. La difficulté était de taille : faire tenir en format poche un commentaire, une traduction et des notes actualisant la pierre angulaire du système platonicien. G. Leroux l’a surmontée, d’une part grâce à un impressionnant travail de synthèse dans l’introduction, d’autre part par un appareil de notes pratiques, faisant ainsi l’économie d’une glose qui, sans des renvois précis à la littérature secondaire et aux dialogues de Platon, aurait été trop abondante. L’introduction mérite un commentaire étendu, car elle est captivante et détermine l’ensemble de cette édition. La collection G.-F. avait habitué les lecteurs à des introductions substantielles, voire copieuses. La présente édition rompt avec cette manière de faire, et cela pour d’évidentes raisons de volume (personne n’aurait voulu d’une République en deux tomes). Toutefois, aussi succincte soit-elle (60 pages pour 400 pages de texte), cette introduction mérite pleinement le nom de commentaire. Non seulement elle situe le texte dans l’histoire et fait voir la place centrale qu’il occupe dans les oeuvres de Platon, ce qu’on est en droit d’attendre d’une introduction, mais outre cela elle élucide la portée du dialogue par une analyse profonde et personnelle de son contenu et de son plan, ce qui confère à cette introduction la qualité principale du commentaire : donner à voir le sens d’une oeuvre, et le faire comprendre. Pour G. Leroux, commenter La République, c’est refuser une « position trop courante aujourd’hui, la dépolitisation de l’oeuvre » (p. 14). Ce refus est conforme au texte de La République, réunion mouvementée et conflictuelle de deux théories de la justice qui s’opposent violemment dans le décor effervescent et enfiévré de la politique athénienne à la fin du Ve siècle. Si le débat sur la justice autorise une lecture qui prend « la métaphysique comme foyer principal » (id.), le cadre dramatique du dialogue et ses allusions continuelles à l’histoire politique d’Athènes et de la Grèce classique commandent par ailleurs « une lecture centrée sur l’histoire » (id.). La présentation de G. Leroux renouvelle ces deux lectures, d’abord en insistant sur la portée politique du dialogue, ensuite en proposant un découpage inédit de sa structure. L’introduction recentre La République dans le cadre qui la détermine le mieux : la philosophie politique. Ce faisant, elle révèle un Platon homme de son temps, soucieux des problèmes politiques de son époque (comme en témoigne la Lettre VII). Il s’engage, se révolte, défend ses convictions (p. 13-14) en procédant à « une dramatisation du dialogue philosophique et [à] une illustration de la distance qui sépare l’effort philosophique de l’engagement dans l’histoire » (p. 18). Grâce à une lumineuse mise en contexte socio-politique et dramatique du dialogue, ironie et critique apparaissent à l’horizon de l’oeuvre. Une fois soulignée la nature engagée de La République, il semble impossible d’en donner une lecture uniquement individualiste ou spéculative. Quoiqu’elle restera toujours célèbre pour l’effort théorétique qui s’y déploie, il est d’emblée nécessaire d’en saisir la teneur polémique : « la priorité du politique par rapport à la psychologie morale a toujours constitué une position argumentée sur la base de l’ensemble de l’oeuvre » (p. 56). G. …