Comptes rendus

Jean-Claude Guillebaud, Le principe d’humanité, Paris, Seuil, 2001, 380 p. [Record]

  • Ryoa Chung

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  • Ryoa Chung
    Université de Montréal

Jean-Claude Guillebaud est une figure familière dans le monde intellectuel de langue française dont le parcours impressionnant mérite d’être brièvement rappelé. Ancien grand reporter, devenu éditorialiste pour le quotidien Sud Ouest, il fut également journaliste pour Le Monde et le Nouvel Observateur ainsi que président des Reporters sans frontières. De nombreuses distinctions ont ponctué sa carrière journalistique ainsi que son oeuvre d’essayiste dont le prix Jean-Jacques Rousseau (La Trahison des Lumières, 1995) et le prix Renaudot-essai (La Tyrannie du plaisir, 1998). L’auteur est le plus récent lauréat du prix Européen de l’essai Charles Veillon pour son dernier ouvrage, Le Principe d’humanité, paru en septembre 2001 chez Seuil. Essayiste polémique, Guillebaud incarne la figure de l’intellectuel engagé aux conviction morales inébranlables, ce qui lui a d’ailleurs valu le sobriquet de l’« abbé Guillebaud » dans certains cercles intellectuels français ayant plus ou moins bien accueilli ses propos critiques au sujet des avatars de la révolution sexuelle portée par ses contemporains de la génération mai 68 (La Tyrannie du plaisir). Revendiquant l’héritage humaniste des Lumières à son propre compte, Guillebaud avait déjà commencé à aborder la question des dérives moralement perverses du développement des technosciences dans certains ouvrages précédents (La Trahison des Lumières, La Refondation du monde). Mais c’est dans son plus récent essai que sa critique des dangers et des écueils inhérents au progrès foudroyant des sciences et des technologies biomédicales est des plus virulentes. La thèse de Guillebaud (exposée dans le premier chapitre du livre) consiste à affirmer que le développement sans frein des technosciences, dont l’essor remarquable est tributaire des révolutions génétique et informatique du XXe siècle, conjugué à la logique néolibérale de la mondialisation économique, ouvre la porte aux pires dérives idéologiques mettant en péril le principe d’humanité. Ce que l’auteur appelle ainsi n’est, à vrai dire, jamais systématiquement défini mais la notion renvoie à une conception déontologique, d’inspiration kantienne et judéo-chrétienne, de la dignité inaliénable de la personne humaine. En dernière analyse, le principe d’humanité revêt une dimension sacrée qui sous-tend la critique de l’auteur contre l’instrumentalisation de l’embryon humain pour les fins de la recherche expérimentale par exemple (pp.122-128), ainsi que la célébration de l’apport moral du monothéisme en conclusion de l’ouvrage. Bien que l’hypothèse finale d’une « alliance retrouvée  » entre science et religion ne parvient pas à convaincre, Guillebaud a raison de décrier les courtes vues et d’analyser l’aspect multidimensionnel des enjeux éthiques reliés au développement des technosciences dans le contexte d’une « révolution globale  » (p.316) caractérisée par l’imbrication complexe des conséquences des trois révolutions économique, numérique et génétique. De ce point de vue, il faut effectivement encourager une lecture plus englobante et proprement politique des enjeux bioéthiques pour rendre compte des intérêts économiques et idéologiques qui pervertissent les intérêts strictement scientifiques. La controverse au sujet de la brevetabilité des gènes ainsi que l’exploitation commerciale des organismes génétiquement modifiés dans les pays en voie de développement (p. 105-118) sont autant d’exemples patents de l’alliance dangereuse entre science et pouvoir dans le contexte d’une concurrence économique mondiale tous azimuts. La première partie du livre veut illustrer comment certaines interprétations contemporaines du naturalisme et du matérialisme scientifiques ont pour effet d’assiéger l’irréductible humanité de l’homme. Guillebaud s’en prend donc contre le discours écologique qui tend à assimiler le statut moral des espèces animales à celui de l’espèce humaine, s’attaquant en premier lieu au philosophe australien Peter Singer, pionnier notoire du mouvement de libération animale des années ’70. L’auteur livre ensuite une bataille sans merci contre le cognitivisme, accusant celui-ci de réduire …