Comptes rendus

Alain Boyer Hors du temps. Un essai sur Kant, coll. « Problèmes et controverses », Vrin, Paris, 2001, 309 pages. [Record]

  • Marceline Morais

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  • Marceline Morais
    Collège Jean-de-Brébeuf

Alain Boyer, qui de son propre aveu, n’est pas un spécialiste de Kant, s’aventure sur le chemin des études kantiennes avec un livre dont la vocation polémique est évidente. L’auteur entend s’inscrire en faux contre la thèse communément admise selon laquelle Kant serait un penseur typique des Lumières, un humaniste et un libéral. Contre cette idée reçue, l’auteur soutient que Kant est avant tout un métaphysicien, tenant de l’absolutisme et de l’ordre, dont le but manifeste n’est pas de saborder toute spéculation métaphysique, mais d’assigner des limites au savoir théorique afin de protéger la religion et la morale des fléaux qui la menacent : le matérialisme et l’athéisme. Le titre, Hors du temps, rappelle l’hypothèse heuristique qui oriente toute la recherche, à savoir que l’on ne peut comprendre Kant sans tenir compte de l’opposition métaphysique fondamentale qui traverse tout l’oeuvre et lui donne son sens, soit celle du sensible et de l’intelligible. L’auteur tient également à nous informer des présupposés herméneutiques qui ont guidé sa recherche et d’un certain nombre de postulats incontournables au sujet de la pensée de Kant. Bien que l’on puisse discuter de l’utilité réelle de cette mise au point d’ordre méthodologique, on doit reconnaître que certains de ces présupposés sont en rapport direct avec les thèses que défend l’auteur. Par exemple, la remise en question d’une lecture strictement humaniste de la pensée de Kant correspond chez lui à l’esprit du présupposé 1 qui dénonce précisément les lectures particularistes qui découpent l’oeuvre d’un auteur en passant sous silence les passages qui paraissent démodés ou contraires à la thèse principale que l’on veut défendre. Le livre se divise en trois parties, intitulées respectivement : Le projet critique, La solution critique et La vérité critique. La première partie consiste en un résumé et un commentaire de la Critique de la raison pure qui cherche à démontrer que le but visé par Kant dans cet ouvrage n’est pas la destruction de la métaphysique mais, au contraire, sa sauvegarde. L’argumentation peut se résumer ainsi : a) L’esthétique transcendantale et la logique transcendantale ont pour but de circonscrire les limites à l’intérieur desquelles un savoir théorique légitime est possible. Cependant, limitée aux seuls phénomènes, la connaissance théorique demeure muette à propos de la chose en soi, de l’être, qui, échappant aux conditions spatio-temporelles, n’est rien d’autre que le suprasensible, hors du temps. b) La Dialectique transcendantale démontre qu’il est impossible de connaître et de démontrer l’existence de Dieu, la simplicité et l’immortalité l’âme, la possibilité de la liberté. Ces concepts pourront néanmoins faire l’objet d’une connaissance pratique. c) En limitant la connaissance théorique au phénoménal, Kant sauve le domaine du suprasensible des hardiesses désastreuses de la spéculation, qui conduisent inévitablement au scepticisme, et de toute réfutation empirique, réservant ce domaine pour la seule détermination pratique. La métaphysique renouvelée s’élève donc tel un rempart dont le but est la protection de la morale et de la religion. Il est plus difficile de cerner le rôle que joue la deuxième partie à l’intérieur de la stratégie argumentative de l’auteur. Il semble que l’auteur ait voulu démontrer à travers la discussion de certains problèmes (la réfutation de l’idéalisme, le statut de la chose en soi et de l’ego transcendantal) que les développements obscurs et souvent complexes de Kant sur ces questions ne peuvent nous devenir pleinement intelligibles que si nous les replaçons à l’intérieur de la différence métaphysique qui sépare le sensible de l’intelligible chez Kant et qui est constitutive de l’idéalisme transcendantal. Il n’y aurait donc pas d’idéalisme transcendantal sans la séparation du sensible et de l’intelligible et ceux qui préfèrent …