Abstracts
Mots-clés :
- théâtre français,
- Nouvelle-France,
- personnages autochtones,
- imaginaire colonial
C’est un véritable cabinet de curiosités que nous donne à voir cet ouvrage, second volume d’un diptyque de théorie et de corpus dont Rêver le Nouveau Monde : l’imaginaire nord-américain dans la littérature française du XVIIIe siècle, paru en 2022 aux Presses de l’Université Laval, représente le volet analytique. On savait déjà que le trésor des oeuvres publiées depuis les origines de la Nouvelle-France jusqu’à la fin du XVIIIe siècle regorgeait de perles étranges et de bijoux excentriques, en marge de la production consacrée et la plus souvent commentée, mais il fallait quelqu’un pour les exhumer. Sébastien Côté, dans son introduction générale, rappelle à point nommé la question jadis soulevée par Andreas Motsch et Grégoire Holtz : « Qu’est-ce qu’un texte sur la Nouvelle-France, au-delà des seuls récits de voyage? Mais surtout comment comprendre la Nouvelle-France » dans la mesure où, faute de presses à imprimer, plusieurs manuscrits produits par la colonie canadienne n’ont jamais été diffusés, alors que d’autres ont été publiés en Europe, souvent au retour d’un voyage? Peuvent-ils alors être considérés comme faisant partie du corpus des écrits de la Nouvelle-France? On en sait gré au directeur de l’ouvrage d’avoir su rassembler une pareille moisson de textes oubliés, dont une quinzaine de pièces de théâtre montées en France – la plupart du temps à Paris – avant le début du XIXe siècle. Elles ont partie liée avec la Nouvelle-France soit par l’action, le contexte ou les personnages, mais sont demeurées dans l’ombre pour toutes sortes de raisons, dont l’interdiction « [t]ouchant les comédies et autres déclamations » promulguée par Monseigneur de Saint-Vallier en 1694 est sans doute responsable en grande partie. Le·la lecteur·trice moderne y découvrira avec profit des représentations fantasmées de la colonie qui n’ont guère à voir avec celles que l’on retrouve dans le corpus canonique (quoique celui-ci ne soit pas exempt d’affabulations, c’est le moins que l’on puisse dire). Il faut dire que Côté n’en est pas exactement à ses premières foulées dans ce domaine de recherche et qu’on lui doit une série de contributions substantielles sur le théâtre de la Nouvelle-France qui en font l’un des plus grand·es spécialistes canadien·nes. C’est donc avec une autorité certaine qu’il aborde ce corpus peuplé de personnages autochtones singuliers et qu’il entreprend d’emblée d’en découdre avec une question des plus délicates : « Qu’est-ce qu’un Sauvage dans la France du XVIIIe siècle? » (10; souligné dans le texte.) À première vue, la prise de position d’un spécialiste de la Nouvelle-France dans une polémique d’actualité pourrait sembler étrange, voire déplacée, surtout en tête d’une anthologie, mais elle est devenue incontournable dans la mouvance idéologique du postcolonialisme où les sensibilités individuelles doivent désormais être prises en compte. Ainsi, Côté consacre un long développement au vocable « sauvage » afin de mieux le contextualiser et pour recadrer le débat comme il se doit, ne serait-ce que pour légitimer l’emploi du mot sans guillemets et affirmer qu’il ne faut y voir aucune velléité de provocation, puisqu’il n’a absolument rien de problématique ou de péjoratif à l’époque de la Nouvelle-France. Certes, il a raison d’affirmer qu’« il ne suffit plus de dire que l’origine du mot “sauvage” est salvaticus » (11), au sens de « qui vit dans les forêts », et qu’il est désormais nécessaire de mettre en perspective son usage à travers le temps pour bien départager les significations diverses qu’il revêt, mais le degré d’investissement de la démarche étonne aussi bien qu’il suscite l’adhésion, puisqu’au terme de sept pages d’une introduction qui en comporte dix-neuf, plus du tiers donc, on ne peut que se …