Abstracts
Mots-clés :
- deuil périnatal,
- grossesse,
- documentaire,
- témoignage,
- représentation
On dénombre vingt-trois-millions de grossesses arrêtées par année dans le monde, ce qui représente quarante-quatre grossesses perdues chaque minute. Selon l’étude « Misacarriage Matters: The Epidemiological, Physical, Psychological, and Economic Costs of Early Pregnancy Loss » (2021), publiée par The Lancet et menée par la professeure Siobhan Quenby et son équipe de l’Université de Warwick, la fausse couche est généralement définie comme la perte ou l’arrêt d’une grossesse avant la viabilité de l’enfant à naître. Parmi les arrêts naturels de la grossesse, on distingue les fausses couches dites précoces, qui interviennent avant quatorze semaines d’aménorrhée, ou dites tardives, qui se produisent jusqu’à vingt-deux semaines d’aménorrhée. Si la grossesse cesse d’évoluer après ce stade, on ne parle plus de fausse couche, mais de mort foetale in utero. Il s’agit ici d’évoquer les questionnements que ce projet en cours de développement soulève, exposant quelques-uns des premiers jalons théoriques et éthiques de cette recherche-création. Il s’agit aussi et surtout de s’interroger sur la pertinence de porter un tel sujet au plateau, de le défendre sous une forme plastique et poétique autant que documentaire. Puisque c’est un sujet dont les données scientifiques échappent au grand public, nous nous proposons de commencer par donner quelques éléments concrets et chiffrés sur la réalité des grossesses arrêtées. Ensuite, nous prendrons quelques exemples issus des arts de la représentation (théâtre, arts visuels) pour tenter d’en saisir les enjeux esthétiques. Enfin, nous exposerons nos premiers partis pris artistiques. Après avoir redéfini les facteurs de risque, l’étude publiée par TheLancet s’intéresse prioritairement aux effets physiques (saignements hémorragiques ou infections, complications à plus long terme comme des risques cardiovasculaires plus élevés que la moyenne), aux périls psychologiques (augmentation du niveau d’anxiété, dépression, trouble de stress post-traumatique, suicide), mais aussi aux conséquences sociétales, en termes financiers et économiques. Au Royaume-Uni, on estime par exemple à 471 millions de livres sterling par an les coûts liés à la fausse couche. L’étude insiste : puisque la morbidité psychologique est courante après une perte de grossesse, et tout particulièrement dans le cas des fausses couches à répétition (à partir de trois occurrences successives), ses auteur·trices recommandent que des instruments de dépistage et des options de traitement efficaces pour les conséquences sur la santé mentale des femmes concernées soient disponibles et que les grossesses ultérieures bénéficient d’un suivi dit « de haut risque ». Or ces risques sont réduits au silence : un silence de mots, un silence d’images. On n’en parle pas, comme pour prévenir le mauvais sort, pour ne pas gêner son interlocuteur·trice et ne pas révéler ce qui pourrait être considéré comme trop intime, en vertu de la pudeur donc, ou de la honte. C’est ce que décrit Judith Aquien dans son ouvrage Trois mois sous silence : le tabou de la condition des femmes en début de grossesse, paru en 2021. Ce livre dénonce la non-prise en charge des femmes – sur les plans professionnel, médical et psychologique – pendant le premier tiers de la grossesse, à la faveur de l’injonction à ne pas en parler. L’ouvrage consacre un large chapitre aux grossesses arrêtées et invite à prendre en compte les conséquences de ce silence : « Si l’on ne parle pas de la fausse couche, la fausse couche n’existe pas. Si un fait, même partagé par une immense partie de la population, n’est pas inscrit dans le récit collectif, il n’y a pas sa place » (Aquien, 2021 : 103). La fausse couche du premier trimestre reste encore un irreprésentable : sans forme, sans contour, sans matérialité, sans durée, sans mot. Elle intervient au coeur d’un vide : …
Appendices
Bibliographie
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