Du désir complexe de la maternité au refus d’enfanter, en passant par les liens ténus entre la naissance et la mort, jusqu’aux fictions constituantes de la mise au monde, ce numéro interroge les modalités de figuration et de représentation de la gestation, de l’accouchement et du post-accouchement, les formes et les dispositifs adoptés par les artistes – femmes et hommes – pour dire, montrer, mettre en scène les théâtres multiples de la naissance sur les scènes contemporaines. Bien qu’encore minorés par et dans le champ universitaire, comme si le corps enceint et plus encore celui accouchant relevaient tous deux d’un faible capital symbolique – pour reprendre la terminologie de Pierre Bourdieu (1994) – au sein de la sphère intellectuelle comme artistique, ces théâtres soulèvent des enjeux poétiques, poïétiques, esthétiques, éthiques et politiques majeurs, dont il importe de rendre compte. Si les études littéraires et la recherche en arts plastiques se sont déjà aventurées sur ces territoires, force est de constater que les théâtres de la naissance demeurent un angle mort des études théâtrales, si ce n’est l’ouvrage collectif de Georges Banu, L’enfant qui meurt : motif avec variations (2010), ou l’essai « L’enfant qui nous regarde : persistances de l’enfance dans les écritures textuelles et scéniques contemporaines » (2022) de Sandrine Le Pors, dont certaines pistes ouvertes et réflexions nourrissent et rejoignent les préoccupations des contributrices et contributeurs de ce numéro. Précisons également que nos investigations prolongent des recherches entamées en France à l’Université d’Artois et à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 autour de créations insérant des scènes de mise au monde ou leur étant consacrées – oeuvres et processus d’abord examinés dans le cadre d’une journée d’étude intitulée Naître et faire naître : la mise au monde dans les écritures et sur les scènes contemporaines (axée sur le théâtre, la danse et la marionnette), puis dans le colloque international Théâtres de la naissance et poétiques de l’accouchement (sous le prisme des arts scéniques, visuels et de la littérature), qui ont respectivement eu lieu en 2018 et en 2022 et qui ont été organisés par les deux coordinatrices de ce numéro. Le dossier ici proposé, donc, s’inscrit dans la continuité de ces manifestations scientifiques (non publiées) sans pour autant en constituer une synthèse. Il est une autre étape de la réflexion qui accorde une place privilégiée aux dialogues et regards portés à l’embryon, à l’examen des récits de maternité et aux histoires de naissance, ou de leurs impossibilités, aux fantasmes de l’enfant à naître et de son accouchement, mais aussi aux poétiques scéniques de la venue au monde et aux états de crise et de montée en crise qui y sont associés, en particulier lorsque la mise au monde dialogue avec la mise à mort. Sous quelles formes, mais aussi à partir de (ou contre) quels modèles, se déploie un récit de naissance ou une scène d’accouchement? À quelles contraintes spécifiques s’associent les représentations de la mise au monde dans les arts de la scène? Quels sont les détours ou libertés inédites qui peuvent alors surgir? Quelle place y occupent le corps (vivant ou mort, naturel ou artificiel), le rituel, la mémoire ou encore le témoignage? Comment les questions relatives au refus de l’enfantement, à l’impossibilité d’enfanter, aux grossesses arrêtées et au deuil périnatal se trouvent-elles placées sous silence ou au contraire au coeur des propositions artistiques? Les collaborateur·trices, dont certain·es ont pu participer à nos recherches collectives quand d’autres nous rejoignent, inscrivent majoritairement leurs recherches et leurs pratiques dans les écritures dramatiques et scéniques européennes – théâtre, danse, performance et marionnette principalement, création pour les jeunes publics incluse. Leurs articles, …
Appendices
Bibliographie
- BANU, Georges (dir.) (2010), L’enfant qui meurt : motif avec variations, Paris, L’Entretemps, « Champ théâtral ».
- BOND, Edward (1994 [1985]), « Rouge noir et ignorant », dans Les pièces de guerre, trad. Michel Vittoz, Paris, L’Arche, tome 1, p. 7-46.
- BOURDIEU, Pierre (1994), Raisons pratiques : sur la théorie de l’action, Paris, Seuil.
- CHRÉTIEN, Jean-Louis (2017), Fragilité, Paris, Minuit, « Paradoxe ».
- DIOUF, Penda (2019), La grande ourse, Rosny-sous-Bois, Quartett, « Théâtre ».
- GAILLARD, Julien (2022), Sommeil du fils, précédé de La maison, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, « Bleue ».
- HARAWAY, Donna J. (2016), Staying With the Trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press.
- HILLING, Anja (2011), Mousson, suivi de Tristesse animal noir, trad. Henri Christophe et Silvia Berutti-Ronelt, Montreuil, Éditions théâtrales, « Répertoire contemporain ».
- LE PORS, Sandrine (2022), « L’enfant qui nous regarde : persistances de l’enfance dans les écritures textuelles et scéniques contemporaines », Études théâtrales, no 71.
- LEVEY, Sylvain (2020), Gros, Montreuil, Éditions théâtrales.
- MAYENBURG, Marius von (2001), Visage de feu, suivi de Parasites, trad. Laurent Muhleisen, Mark Blezinger et Gildas Milin, Paris, L’Arche, « Scène ouverte ».
- MELQUIOT, Fabrice (2010), Bouli année zéro, Paris, L’Arche, « L’Arche Jeunesse ».
- NÉGRIÉ, Laëtitia et Béatrice CASCALES (dir.) (2016), L’accouchement est politique : fécondité, femmes en travail et institutions, Paris, L’Instant Présent, « Sciences humaines ».
- OLIVIER, Anne-Marie (2017), Venir au monde, Montréal, Atelier 10, « Pièces ».
- POMMERAT, Joël (2015 [2008]), Pinocchio, Arles, Actes Sud, « Babel ».
- POMMERAT, Joël (2013), La réunification des deux Corées, Arles, Actes Sud-Papiers.
- POMMERAT, Joël (2006), Les marchands, Arles, Actes Sud-Papiers.
- POMMERAT, Joël (2005), D’une seule main, suivi de Cet enfant, Arles, Actes Sud-Papiers.
- POMMERAT, Joël (2004), Au monde, suivi de Mon ami, Arles, Actes Sud-Papiers.
- POMMERAT, Joël (2003), Qu’est-ce qu’on a fait? Théâtre (à partir d’une rencontre avec un groupe d’habitantes d’Hérouville-Saint-Clair), Caen, Caisse d’Allocations Familiales du Calvados.
- PYNE, Stephen J. (2021), The Pyrocene: How We Created an Age of Fire, and What Happens Next, Berkeley, University of California Press.
- SARRAZAC, Jean-Pierre (1999 [1981]), L’avenir du drame, Belval, Circé, « Poche ».
- VASSE, Denis (1974), L’ombilic et la voix : deux enfants en analyse, Paris, Seuil, « Champ freudien ».
- ZASK, Joëlle (2019), Quand la forêt brûle : penser la nouvelle catastrophe écologique, Paris, Premier Parallèle.