Les 18, 19 et 20 novembre 2021 s’est tenu à Montpellier (France) un colloque international en recherche-création : L’atelier en acte(s) : espace de création, création d’espace, organisé par le programme transversal pluridisciplinaire en recherche-création (2021-2025) du laboratoire de recherche RIRRA 21 de l’Université Paul-Valéry. La manifestation scientifique s’est accompagnée, pendant toute une semaine, d’ateliers ouverts à tous publics, notamment étudiants : l’un animé par la chorégraphe Germana Civera, artiste en résidence à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier; l’autre conduit par l’écrivaine et chorégraphe invitée Sabine Macher. Les enjeux épistémologiques, historiques, méthodologiques et pédagogiques du projet visaient à penser le « commun » de l’atelier, dans la pluralité et la diversité mêmes des pratiques artistiques. C’est pourquoi le programme de la manifestation s’est efforcé de rendre perceptible l’entrecroisement des champs artistiques en associant les disciplines au sein d’une même session, rendant ainsi sensible, grâce à l’extraordinaire fécondité de la notion d’atelier, la convergence des pratiques, des positionnements et des réflexions. Pourquoi avoir choisi de consacrer la première année d’un programme en recherche-création au lieu qui héberge la création? Il nous paraissait tout d’abord opportun, pour des raisons à la fois historiques et sociologiques, de faire le point sur cette réalité essentielle du travail artistique afin de comprendre ce que recouvrait une dénomination spatiale, l’atelier, dont l’étymologie et le fonctionnement métonymique n’avaient cessé d’engendrer des valences sémantiques connexes et néanmoins distinctes : local professionnel d’un·e artisan·e; lieu où des ouvrier·ères exécutent en commun des travaux manuels; local aménagé où travaille un·e artiste; lieu où plusieurs élèves travaillent sous la direction d’un·e artiste (Centre national de ressources textuelles et lexicales, s.d.). Toutefois, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, l’ère industrielle, en dévaluant l’être humain au profit de la machine, met en quelque sorte fin à l’artisanat, aliénant l’ouvrier·ère en l’assujettissant à des tâches mécaniques et répétitives. Tandis que la compétence technique de la main-d’oeuvre s’organise dans l’objectif d’une performance globale autour de l’établi (Linhart, 1978), l’atelier, en tant que lieu de fabrication et de partage des savoirs, est remplacé par la manufacture et perd sa signification première. Le capitalisme florissant s’approprie la maîtrise de la transmission, celle par laquelle l’ouvrage façonné rassemble tout à la fois le·la maître d’oeuvre et l’apprenti·e (Sennett, 2010 [2008]), et engendre une véritable mutilation. Les philosophes Karl Marx et Simone Weil évoquent l’un comme l’autre dans leurs écrits cette dépossession graduelle que subit l’ouvrier·ère d’usine privé·e d’une continuité essentielle, celle du geste qui allie la pensée à la main et la main à l’outil, du tâtonnement aveugle à la précision du fini. Du point de vue des arts, on pourrait croire que l’atelier a réchappé de cette logique mercantile. L’atelier des sculpteur·trices et des peintres, tel qu’il a été, par exemple, immortalisé par Frédéric Bazille (L’atelier de Bazille, 1870, Musée d’Orsay), était simultanément le lieu de conception de l’oeuvre (Strasser, 2006) et, faisant office de cénacle, celui de toutes les tractations relatives à son placement et à sa diffusion. Toutefois, selon Daniel Buren, il ne s’agissait là que d’une « sorte de gare de triage » (Buren, 1979)… Seul l’atelier reconstitué du sculpteur Constantin Brâncuși trouve grâce à ses yeux, comme à ceux de Richard Serra qui y ressent « l’évidence d’un processus de travail total où il n’existe pas de séparation (ni d’aliénation) entre lieu de travail et lieu de vie […]. On ne perçoit pas seulement l’engendrement du travail d’invention de Brâncuși, mais aussi le développement d’une méthode de travail » (Serra, 1990 [1975] : 41), confie-t-il. Or, si les avant-gardes, …
Appendices
Bibliographie
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