Mot de la direction

L’atelier, toutes portes ouvertes[Record]

  • Catherine Cyr and
  • Louise Frappier

Depuis quelques années, l’atelier d’artiste fait l’objet d’une attention ponctuelle en études des arts. Dans son ouvrage intitulé L’atelier du danseur, paru en 2004, l’essayiste Guylaine Massoutre fait de son incursion dans le studio de Paul-André Fortier l’amorce d’une réflexion sur la pratique créatrice du chorégraphe et danseur – et, plus largement, sur la danse. Dans le silence de l’atelier, le mouvement du corps de l’artiste fait ricochet chez l’observatrice, entraîne à son tour un autre mouvement : celui de l’écriture, du déplié quasi chorégraphique de la pensée sur la page où la réflexion sur la danse se mêle, fluide, à d’autres observations – sur la peinture, le théâtre, le silence, la vie vacillante et fuyante. Habiter jour après jour le studio, y déposer, en retrait, son corps, tout en lui imposant écoute et attention soutenue aux affects et sensations qui le traversent, a ainsi irrigué l’écriture. De l’observation d’une pratique d’atelier a émergé une pratique seconde, scripturaire. Celle-ci, tout à la fois, fait connaître et poursuit, autrement, une démarche créatrice, ouvre grand les volets de l’espace qui la contient – tout en préservant, intacte, une petite part d’ombre ou d’indicible. Plus récemment, des chercheur·euses et artistes-chercheur·euses se sont, de leur côté, attaché·es à réfléchir à la pratique et à la représentation de l’atelier d’artiste au Québec et au Canada du XIXe siècle à aujourd’hui. Organisé par les professeurs d’histoire de l’art Laurier Lacroix et Dominic Hardy (Université du Québec à Montréal) et la conservatrice Sandra Fraser (Remai Modern), le colloque L’expérience de l’atelier d’artiste au Québec et au Canada a fait s’entrecroiser des réflexions où l’atelier s’est vu saisi au prisme de méthodologies et d’approches théoriques diversifiées. Ce tressage a fait surgir un portrait composite et mouvant de cet espace « [s]ouvent décrit par les artistes comme une pièce à soi, un laboratoire ou même une caverne » et que les coorganisateur·trices de l’événement proposent de définir comme « un espace permettant d’observer la condensation des matériaux, des intuitions, des idées qui y prennent forme et deviennent oeuvre ». Mobilisant surtout des perspectives historiques et anthropologiques, les communications présentées ont mis au jour les singularités, mais aussi les résonances observables du côté de la pratique de l’atelier en arts visuels : la peinture, la sculpture, la photographie ou encore le vitrail ont ainsi été abordés depuis les différentes modalités de leur espace d’émergence. L’absence d’une « pièce à soi » pour créer a aussi été l’objet de réflexions autour de ce manque comme mise à l’épreuve de la pratique artistique (et de la figure de soi comme artiste). Ces quelques exemples, bien qu’ils témoignent de la richesse et de la dimension protéiforme du champ d’observation sur l’atelier, s’attachent à des sphères disciplinaires (la danse, les arts visuels) et géographiques (le Québec, le Canada) circonscrites. La dimension proprement poïétique du lieu – sa force agissante sur la création et la recherche-création – s’y trouve, par ailleurs, rarement convoquée. Avec ce dossier thématique intitulé « L’atelier : espace de création, création d’espace(s) », la revue Percées entend participer à cette conversation en marche en y ajoutant une dimension pluridisciplinaire et transdisciplinaire : ce sont les communs de l’expérience de l’atelier que l’on cherche ici, malgré leur dimension mouvante, à épingler – la réflexion sur les arts vivants, qui constitue le coeur du numéro, se trouve ainsi augmentée par le regard porté sur d’autres pratiques, par exemple musicales, saisies de façon transversale. Dirigée par Alix de Morant et Marie Joqueviel-Bourjea (Université Paul-Valéry Montpellier 3), cette publication fait donc s’effriter les frontières, disciplinaires comme géographiques, d’ailleurs, et propose une saisie plurielle …

Appendices