Number 36-37, Spring–Fall 2022 Femmes et archives en Acadie Guest-edited by Isabelle LeBlanc
Table of contents (15 articles)
Introduction
Partie I – Femmes et archives : construction et traitement à partir des collections acadiennes
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Femmes et archives : une approche auto-ethnographique
Phyllis LeBlanc
pp. 15–33
AbstractFR:
Nous proposons un regard auto-ethnographique sur les rapports entre le sujet femme, les traces retenues de la mémoire à son sujet dans les archives et la représentation des femmes dans le récit historique acadien. Pour les fins de notre étude, les archives sont examinées comme lieux de dépôt et de conservation du patrimoine, alors que le récit historique est défini comme une lecture globale, consensuelle et représentative des grandes lignes du passé d’une collectivité. Or, dans la constitution du récit historique comme dans la collecte et la conservation des archives, des valeurs sont assignées à ce qui est retenu, préservé et représenté. Ces valeurs assignées aident à expliquer le retard dans la construction d’un traitement historien effectif sur le sujet femme en Acadie.
EN:
This study takes an auto-ethnographic approach in assessing the relationships between women as a subject of historical study, traces of women’s historical experience judged as deserving archival preservation, and the representation of women in the Acadian historical narrative. For the purposes of this study, archives are defined as the collection and preservation of patrimonial heritage, whereas the historical narrative is defined as the construction of a consensual, representative, and global reading of a collectivity’s past. This paper argues that, in the case of both the archives and the historical narrative, values have been assigned to what is deemed worthy of collection, preservation, and representation. These values have affected researchers’ ability to construct an effective historical narrative on the subject of women in the Acadian context.
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Invisible dans l’histoire : réflexions sur les femmes acadiennes dans les collections du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson et du Musée acadien de l’Université de Moncton
Estelle Dupuis, Jeanne-Mance Cormier and Christine Dupuis
pp. 35–55
AbstractFR:
« Invisible dans l’histoire » propose une réflexion multidisciplinaire sur la représentation des femmes acadiennes dans les archives et les objets historiques. Sous l’impulsion du Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA), le Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson (CEAAC) et le Musée acadien de l’Université de Moncton (MAUM) ont constaté la faible représentation des femmes dans leurs collections. Les intervenantes font part de leurs réflexions et des défis rencontrés quant à la documentation, à la description et à l’interprétation des archives et des objets historiques dans cette nouvelle perspective. Elles s’interrogent également sur le rôle de l’archiviste et du conservateur dans ce processus de valorisation des femmes et sur la dichotomie du genre en vigueur dans les collections. Les initiatives entreprises par le CEAAC et le MAUM pour contrer l’invisibilité des femmes acadiennes dans leurs collections marquent le début d’une ère nouvelle d’inclusion et de diversité dans la pratique archivistique et de conservation. Afin de mieux saisir les récits individuels de femme, il importe en première instance d’en assurer la représentation dans les établissements de conservation.
EN:
“Invisible in History” proposes a multidisciplinary reflection on the representation of Acadian women in archives and historical objects. Under the impetus of the Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA), the Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson (CEAAC) and the Musée acadien de l’Université de Moncton (MAUM) have noted the poor representation of women in their collections. The authors share their thoughts and challenges on documenting, describing, and interpreting archives and historical objects from this new perspective. They also question the role of the archivist and curator in this process of valuing women as well as the gender dichotomy in the collections. The initiatives undertaken by CEAAC and MAUM to address the invisibility of Acadian women in their holdings mark the beginning of a new era of inclusion and diversity in archival and curatorial practice. In order to better capture individual women’s narratives, it is important, first and foremost, to ensure their representation in curatorial institutions.
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« Dans ce temps-là […] les petites filles n’avaient pas le droit de faire comme les petits garçons » : analyse genrée des archives de folklore du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson
Mathieu T. Martin
pp. 57–81
AbstractFR:
Cet article propose de réfléchir au constat réalisé par le Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA) selon lequel les femmes acadiennes y sont peu représentées. En 2020, le GRAFA demandait aux chercheuses et chercheurs de revisiter les fonds d’archives pour dégager la parole des femmes acadiennes. Nous nous sommes intéressés aux archives de folklore du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson. Par l’entremise d’une grille d’analyse du genre, nous avons analysé un échantillon des archives de folklore sur divers thèmes, telles la religion, la vie familiale et la naissance. Au fil d’une analyse de la classification et du contenu des diverses collections de folklore, nous avons mis en évidence un grand constat : bien que les archives de folklore ne soient pas construites pour représenter la parole des femmes, il est possible de dégager leur voix pour rendre compte de leur expérience.
EN:
This article proposes to reflect on the observation made by the Groupe de recherche sur les archives et les femmes en Acadie (GRAFA) that Acadian women are poorly represented in archives. In 2020, the GRAFA asked researchers to revisit archival fonds to find out what Acadian women have to say. We turned our attention to the folklore archives of the Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson. Using a gender analysis grid, we analyzed a sample of the folklore archives on various themes such as religion, family life, and birth. Through an analysis of the classification and content of the various folklore collections, a major finding emerged: although folklore archives are not constructed to represent the voice of women, it is possible to identify their path so as to capture the lived experience of Acadian women.
Partie II – Affects et intersubjectivité dans les archives de femmes en Acadie
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Le travail domestique, les recettes et la reproduction de l’identité ethnique acadienne
Katie K. MacLeod
pp. 85–107
AbstractFR:
La place des femmes a été systématiquement effacée de la mémoire acadienne, particulièrement lorsque sont pris en compte le silence, la marginalisation et la création d’identités collectives. Cet article explore la place centrale qu’occupe la nourriture dans la reproduction de la culture acadienne et comment les femmes prennent en charge le travail relatif à l’alimentation. M’appuyant sur des études de terrain ethnographiques menées à Pomquet, en Nouvelle-Écosse, je soutiens que les identités acadiennes ne découlent pas d’une construction d’identité collective basée sur le nationalisme acadien, mais sur la reproduction sociale de la culture, de la langue et du patrimoine, alimentée par les efforts des femmes à l’échelle locale. Tandis que le discours acadien dominant est masculin et véhicule des conceptions désuètes des femmes, les identités locales trouvent davantage leur source dans les espaces domestiques, où les femmes sont influentes et construisent une communauté. J’examine les rassemblements locaux, les espaces de cuisine, les recettes, ainsi que le travail relatif à la nourriture, pour démontrer comment les membres de la communauté perçoivent et expérimentent la nourriture à la fois au quotidien et dans les situations formelles. L’article explore le travail domestique formel et informel, l’organisation sociale des femmes ainsi que les soins donnés aux proches. Je combine l’enquête de terrain ethnographique et la recherche d’archives pour démontrer la façon dont ces recettes et le travail relatif à la nourriture racontent les histoires des femmes et permettent à leurs voix d’émerger au sein du discours culturel, de contribuer au développement communautaire et de générer des sentiments de collectivité. Il ressort de cette analyse qu’en dépit de leur marginalisation, les femmes ont joué un rôle crucial dans la production et la reproduction d’éléments d’identité ethnique dans un contexte local.
EN:
Women have been systematically removed from the Acadian past, particularly when considering silence, marginalization, and the creation of collective identities. This article explores how food has a central place in the reproduction of Acadian culture and how women primarily undertake food-related labour. Drawing on ethnographic fieldwork conducted in Pomquet, Nova Scotia, I argue that Acadian identities do not derive from collective identity construction based within Acadian nationalism but from the social reproduction of culture, language, and heritage as sustained through the efforts of women at the local level. While the dominant Acadian narrative is masculine and promotes outdated constructions of women, local identities are more founded in domestic spaces where women were more impactful and built community. I examine local gatherings, kitchen spaces, and recipes to demonstrate how community members view and experience food in both the everyday and formal settings. The paper explores formal and informal domestic labour, women’s social organization, and care work. I combine ethnographic fieldwork and archival research to demonstrate how recipes tell women’s stories and allow their voices to emerge within the cultural discourse, contribute to community development, and generate feelings of collectivity. In this analysis, I highlight that despite their marginalization, the work women accomplished in a strong juxtaposition between the local and the collective narratives that highlight vital elements of ethnic identity reproduction in an Acadian community.
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Féminisation d’un discours public sur la langue à Moncton entre 1947 et 1965 : les traces archivistiques d’une honte linguistique
Isabelle LeBlanc
pp. 109–132
AbstractFR:
Dans ce texte, je m’intéresserai à l’existence de traces archivistiques attestant de la féminisation d’un discours public sur la langue dans la région de Moncton dans la période précédant l’adoption du bilinguisme officiel par la province du Nouveau-Brunswick. En mobilisant un petit corpus d’archives de presse datant de 1947 à 1965, je propose une réflexion sur la mise en discours par les femmes d’une honte linguistique. En effet, Annette Boudreau (2021) développe amplement la notion de « honte sociale » dans son plus récent ouvrage qui s’intitule Dire le silence : insécurité linguistique en Acadie 1867-1970. Elle conçoit la honte comme participant à l’insécurité linguistique et identitaire d’un groupe, source de silence collectif (apprendre à se taire). Pour ma part, je m’appuierai sur Boudreau afin de mener une réflexion théorique sur la honte à partir de paroles de femmes. L’objectif sera d’examiner comment les archives de femmes permettent de penser la honte linguistique au-delà du silence pour s’intéresser au discours d’émancipation linguistique.
EN:
In this paper, I will examine the existence of archival evidence of the feminization of a public discourse on language in the Moncton area in the period preceding the adoption of official bilingualism by the province of New Brunswick. By mobilizing a small corpus of press archives dating from 1947 to 1965, I propose a reflection on women’s discourse on language shame. Indeed, Annette Boudreau (2021) develops the notion of “social shame” at length in her most recent book entitled Dire le silence : insécurité linguistique en Acadie 1867-1970. She conceives shame as integral to linguistic and identity insecurity, as well as a source of collective silence (learning to keep silent). For my part, I will draw on Boudreau’s work to examine how women process linguistic shame. The goal will be to reflect on how women’s archives allow us to think about linguistic shame not through the prism of silence, but through the act of speaking out as a form of language emancipation.
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Incarner les récits de la Boîte aux lettres : mettre en oeuvre des archives personnelles pour se raconter
Eugénie Tessier
pp. 133–160
AbstractFR:
Le trio musical acadien Les Hay Babies lançait en 2020 leur troisième album, Boîte aux lettres, un projet né de la découverte d’une collection de lettres personnelles datées de 1965 et signées par une mystérieuse Jackie. À travers la manipulation de ces objets de mémoire, le projet des Hay Babies mène à une exposition singulière et intime du récit de cette Acadienne originaire de Moncton et déménagée à Montréal pour y faire sa vie. Dans ce texte, je m’interroge sur la dimension performative de l’archive en tant qu’objet sous le prisme du concept de reenactment, une réflexion étayée par les interventions médiatiques des Hay Babies ainsi que des critiques et journalistes dans la presse musicale. En prenant principalement pour cas la chanson Les vieilles filles, j’observe ensuite comment les représentations historiques suscitées par les pratiques de mises en oeuvre déployées par le groupe donnent lieu à un processus réflexif et intersubjectif par lequel ces dernières en viennent à se raconter.
EN:
In 2020, the Acadian musical trio Les Hay Babies launched their third album, Boîte aux lettres, a project born of the discovery of a collection of personal letters dated 1965 and signed by a mysterious Jackie. Through the manipulation of these objects of memory, the Hay Babies’ project leads to a singular and intimate depiction of the story of this Acadian woman from Moncton who moved to Montreal to make a life for herself. In this paper, I examine the performative dimension of the archive as an object through the prism of the concept of reenactment, a reflection supported by the media interventions of the Hay Babies as well as critics and journalists in the music press. Using the song “Les vieilles filles” as a case study, I then observe how the historical representations generated by the group’s performance practices give rise to a reflexive and intersubjective process through which the latter come to narrate themselves.
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DÉ-GÉNÉRATION-ELLES – trauma et transmission intergénérationnelle : un projet photographique artistique à partir des archives des rescapées du génocide arménien
Lucia Choulakian
pp. 161–187
AbstractFR:
L’expérience des femmes arméniennes lors du génocide arménien de 1915 reste largement méconnue et écartée des discours courants. L’artiste Lucia Choulakian, née en Acadie et descendante de la quatrième génération des rescapées du génocide arménien, cherche à comprendre et à exprimer ce trauma qui lui a été transmis. C’est alors par un projet photographique, de nature autobiographique, Dé-génération-elles, qu’elle aborde ce trauma transgénérationnel. Le projet se base sur des photographies de femmes tatouées arméniennes, rescapées du génocide arménien, trouvées dans les archives. Cet article présente le processus de création de l’oeuvre Dé-génération-elles afin de démontrer comment les dispositifs théoriques et pratiques se sont entrecroisés et souligner l’apport des théories et des archives dans l’élaboration de son travail artistique sur la transmission du trauma. Suite à une mise en contexte historique et méthodologique, son processus créateur est présenté de façon chronologique.
EN:
The experience of Armenian women during the Armenian Genocide of 1915 remains largely unknown and out of the mainstream. The artist Lucia Choulakian, born in Acadia and descendant of the fourth generation of Armenian genocide survivors, seeks to understand and express this trauma that has been transmitted to her. It is then through a photographic project, autobiographical in nature, Dé-génération-elles, that she expresses this transgenerational trauma. This project is based on photographs of Armenian tattooed women, survivors of the Armenian genocide, found in the archives. This paper presents the process of creating Dé-génération-elles in order to demonstrate how theoretical and practical devices intersected in her creative process while highlighting how the theoretical and archival aspects allowed her to develop her artwork that addresses the transmission of trauma. Following a historical and methodological contextualization, her creative process is presented chronologically.
Partie III – Traces littéraires et sources mémorielles de femmes au Canada
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Hétérogénéité, transgressions et hospitalité. Des frontières de l’étrange(r) chez Antonine Maillet
Corina Crainic
pp. 191–213
AbstractFR:
Cet article propose une analyse des déplacements forcés et de l’immigration ainsi que la tristesse et l’inquiétude des exilés dans l’univers littéraire d’Antonine Maillet. Les deux romans retenus semblent de prime abord avoir peu en commun, tant l’époque et le contexte décrits sont différents. Il s’agit de Pélagie-la-Charrette et Madame Perfecta, oeuvres phares de la littérature acadienne, rendant compte de destinées féminines toutes particulières. Dans la première, une femme hors norme mène son peuple dispersé à partir de 1755 vers l’Acadie originelle, quitte à traverser des frontières de manière illicite. Dans la deuxième, c’est d’une rencontre singulière qu’il s’agit, de femmes ayant élu domicile à Montréal, à l’époque contemporaine. Originaires respectivement du littoral acadien, au Nouveau-Brunswick, et de l’Espagne, celles-ci font également preuve d’un courage inouï même si leurs déplacements n’enfreignent aucune loi. Cela dit, les transgressions qu’elles opèrent rendent compte de réalités qui mobilisent, même de manière ambivalente, des sensibilités postmodernes. Il faut alors se référer au propos de Bertrand Westphal selon lequel « l’individu postmoderne ne peut se projeter dans un univers autre que celui du métissage absolu ». En effet, chaque personnage doit composer avec l’altérité lors de traversées de territoires et de frontières où les multiples aspects de la diversité interpellent, menacent ou attendrissent. C’est de la conscience de cette altérité, de l’Autre qu’on refuse, vers qui l’on va également et que l’on est par moments contraints de devenir, qu’il sera question, de manière à saisir quelques acceptions de la frontière en ce qu’elle peut circonscrire ou encore proposer comme alternative au familier ou à l’intime.
EN:
This article proposes an analysis of forced displacement and immigration, as well as the sadness and anxiety of exiles in the literary universe of Antonine Maillet. The two novels selected seem at first sight to have little in common, so different are the times and the contexts depicted. They are Pélagie-la-Charrette and Madame Perfecta, both landmark works of Acadian literature, and both portray very particular female destinies. In the first, an extraordinary woman leads her dispersed people from 1755 onwards towards the original Acadia, even if it means crossing borders illegally. In the second, there is a singular encounter between women who have made Montreal their home in contemporary times. Originally from the Acadian coast in New Brunswick and from Spain, respectively, they also show incredible courage even though their movements do not break any laws. That said, the transgressions they commit do reflect realities that mobilize, even in an ambivalent way, postmodern sensibilities. It is then necessary to refer to the comment of Bertrand Westphal according to whom “the postmodern individual cannot project herself into a universe other than that of absolute métissage.” Indeed, each character must deal with otherness when crossing territories and borders where the multiple aspects of diversity create challenges, threats, or feelings of tenderness. It is the awareness of this otherness, of the Other that one refuses, towards whom one also goes and that one is at times forced to become, that will be discussed, in order to grasp some of the meanings of the border in what it can circumscribe or propose as an alternative to the familiar or the intimate.
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De Sillery à l’Acadie : la trajectoire de l’écrivaine acadienne Huguette Légaré. Poèmes de jeunesse et lettres de sa mère
Benoit Doyon-Gosselin and Isabelle Blais
pp. 215–235
AbstractFR:
Dans les années 1970 en Acadie, outre Antonine Maillet, une seule autre femme écrit et publie des oeuvres littéraires. Plus précisément, entre 1973 et 1985, Huguette Légaré fait paraître un roman et cinq recueils de poésie dans des maisons d’édition québécoises, françaises et acadiennes. Le dépouillement du fonds d’archives Huguette-Légaré (231) au Centre d’études acadiennes constitue le meilleur moyen pour décrire la trajectoire d’une jeune femme issue de la bourgeoisie de la ville de Québec qui, après plusieurs étés à travailler au camp Ectus de Petit-Rocher, décide de s’installer définitivement en Acadie et de s’en inspirer pour écrire un oeuvre peu connu de nos jours. Cette contribution souhaite répondre aux questions suivantes : Comment l’arbre généalogique et la scolarité ont-ils été déterminants dans la carrière littéraire d’Huguette Légaré ? En quoi la filiation maternelle agit positivement sur le destin de la fille ? Pour décrire cette trajectoire, il s’agira de « faire parler » le fonds d’archives de l’écrivaine. Les documents qu’on y trouve permettront tout d’abord de mettre en lumière la situation familiale de Légaré. Par la suite, nous nous intéressons à deux aspects précis du fonds. D’une part, les poèmes et les compositions écrits pendant ses études secondaires au Collège Jésus-Marie de Sillery serviront à montrer les dispositions de l’adolescente pour la littérature. D’autre part, les lettres de Lucette Lemieux envoyées à sa fille aînée dans les années 1970 attesteront des encouragements et de la bienveillance maternelle.
EN:
In the 1970s in Acadia, besides Antonine Maillet, only one other woman wrote and published literary works. More specifically, between 1973 and 1985, Huguette Légaré published one novel and five collections of poetry with Quebec, French and Acadian editors. The analysis of the Huguette-Légaré archives (231) at the Centre d’études acadiennes is the best way to describe the trajectory of a young woman from the bourgeoisie of Quebec City who, after several summers working at camp Ectus in Petit-Rocher, decided to settle permanently in Acadia and to be inspired by it to write her books which are little known today. This contribution aims to answer the following questions: How were her family tree and schooling decisive in Huguette Légaré’s literary career? How does maternal filiation have a positive impact on her personal development? To describe this trajectory, we shall let the archives speak for themselves. The documents will first of all shed a light on Légaré’s family situation. Subsequently, we are interested in two specific aspects of the archives. On the one hand, the poems and compositions written during her high school studies at the Collège Jésus-Marie de Sillery will be used to show the adolescent’s disposition for literature. On the other hand, Lucette Lemieux’s letters sent to her eldest daughter in the 1970s will attest to the former’s encouragement and maternal benevolence.
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Female Authorship, Incomplete Archives, and the Periodical Press in Nineteenth-Century Montreal: The Case of Rosanna Mullins Leprohon
Andrea Cabajsky
pp. 237–257
AbstractEN:
This article revolves around a case study of Montreal-based, Irish-Canadian author Rosanna Mullins Leprohon (1829-1879) who left behind little to no material archive after her death in 1879. Leprohon’s example serves to highlight the scholarly challenges that inhere in defining Canadian women’s authorship in the nineteenth century. The article is divided into two parts: focussing on the Journal of Education for Lower Canada (Montreal, 1857-1879), the first half argues that Leprohon’s periodical poetry played a greater role than previously understood in defining the terms of her authorship in Confederation-period Montreal. Examining archival documents belonging to her late husband and held in the Fonds Jean-Lukin Leprohon, the second half demonstrates the challenges that inhere in reconstructing women’s authorship through the archives of men-of-letters. Although they may never make up for the absence of private correspondence written in her own voice, Rosanna Leprohon’s periodical poems represent valuable resources for reconstructing the terms of her authorship and visibility in Montreal in the middle decades of the nineteenth century.
FR:
Cet article s’articule autour d’une étude de cas sur l’écrivaine montréalaise Rosanna Mullins Leprohon (1829-1879) qui n’a laissé que peu d’archives matérielles après sa mort en 1879. Le cas de Leprohon sert à illuminer des défis méthodologiques auxquels font face les chercheur·e·s qui visent à mieux comprendre la vie d’auteure de femmes canadiennes du dix-neuvième siècle. L’argumentaire se décline en deux volets : le premier propose que la poésie de Leprohon, parue dans la revue mensuelle The Journal of Education for Lower Canada (Montréal, 1857-1879), permet de mieux saisir les termes genrés de sa visibilité en tant qu’écrivaine montréalaise de la période de la Confédération. En examinant des documents d’archives appartenant à son défunt mari et conservés dans le Fonds Jean-Lukin Leprohon, le deuxième volet démontre l’ampleur des défis qui se posent aux chercheur·e·s quand ces derniers sont obligés de reconstruire les vies littéraires d’écrivaines par l’intermédiaire d’hommes de lettres. Bien qu’ils ne puissent jamais compenser l’absence de correspondances rédigées de sa propre main, les poèmes de Rosanna Leprohon parus dans The Journal of Education permettent de reconstruire les termes de sa visibilité en tant qu’écrivaine montréalaise et de sa réception littéraire au XIXe siècle.
Partie IV – Relations sociales et parcours migratoires de femmes (18e-20e siècles)
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Les mondes enfouis d’Anne Suzanne Richard. Une marge d’autonomisation féminine après la Déportation (1785-1789)
Adeline Vasquez-Parra
pp. 261–282
AbstractFR:
Au lendemain du traité de Paris (1763), une nouvelle génération d’Acadiens et d’Acadiennes voit le jour : celle des enfants de déportés. Nombre d’entre eux se trouvent en France à partir de 1758. Cette génération n’a pas beaucoup connu l’Acadie et a grandi dans des communautés de réfugié·es. Celle-ci se trouve tiraillée entre les sentiments de nostalgie de ses aîné·es et les nouvelles opportunités sociales et professionnelles offertes par la France des années prérévolutionnaires alors en pleine mutation politique et économique. Alors que se découvrent au XIXe siècle certains « destins » de femmes issues de la Déportation, cet article revient sur celui d’Anne Suzanne Richard, tailleuse et lingère acadienne à Morlaix, en Bretagne, pour rendre compte d’une « marge d’autonomisation ». Ce concept renvoie au façonnement d’un réseau de connexions sociales dans la poursuite d’un but propre échappant au contrôle total du pouvoir communautaire et/ou étatique. L’une de ces marges est ici étudiée en lui octroyant une orientation spécifiquement féminine : la relation épistolaire entre Richard et une aristocrate bretonne, la comtesse Marie Jeanne Jégou du Laz. Au cours de leurs échanges entre 1785 et 1789, l’autonomie féminine se dévoile loin de toute conception homogène et réifiée de la catégorie historique de « femme réfugiée ». Des relations sociales se nouent autour d’Anne Suzanne Richard pour la placer dans des interactions avec différents milieux sociaux et professionnels, de la sphère domestique à la sphère publique. En cela, la marge d’autonomisation ouvre sur un nouveau traitement archivistique des femmes acadiennes réfugiées par l’exploration de nouvelles dynamiques de réseaux entreprises entre agentes historiques, communautés marchandes et acteurs indépendants après la Déportation.
EN:
After the Treaty of Paris (1763), a new generation of Acadians was born: the children of deportees. Many of them were in France from 1758 on. This generation did not know much about Acadia and grew up in refugee communities. They were torn between the nostalgic feelings of their elders and the new social and professional opportunities offered by France in the pre-revolutionary years, which was undergoing major political and economic changes. While certain “destinies” of women from the Deportation were discovered in the 19th century, this article returns to the story of Anne Suzanne Richard, an Acadian tailor and laundress in Morlaix, Brittany, to account for a “margin of empowerment.” This concept refers to the shaping of a network of social connections in the pursuit of one’s own goal beyond the total control of community and/or state power. This article focuses on one of these margins by giving it a specifically feminine orientation: the epistolary relationship between Richard and a Breton aristocrat, the Countess Marie Jeanne Jégou du Laz. In the course of their exchanges between 1785 and 1789, female autonomy is revealed far from any homogeneous and reified conception of the historical category of “refugee woman.” Social relations are established around Anne Suzanne Richard to situate her in interactions with different social and professional milieus, from the domestic realm to the public sphere. In this way, the margin of empowerment opens up a new archival treatment of Acadian refugee women through the exploration of new network dynamics undertaken between historical agents, merchant communities, and independent actors after the Deportation.
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Vers une reconstitution de la mobilité des Acadiennes à l’époque de l’industrialisation : l’émigration familiale et l’exode rural vus à travers l’analyse longitudinale
Lauraly Deschambault, Noémie Haché-Chiasson and Gregory Kennedy
pp. 283–309
AbstractFR:
Cette analyse de type longitudinale expérimentale vise à retrouver les Acadiennes de la paroisse civile de Dundas, au sud-est du Nouveau-Brunswick dans la région de Kent, et à identifier leurs déplacements tout au long de leur vie afin de mieux comprendre les migrations effectuées par les femmes à l’époque de l’industrialisation. Une reconstitution des parcours de vie de quatre échantillons d’Acadiennes entre 1871 et 1921 est effectuée à partir d’une variété de sources historiques incluant des actes de mariage, des registres de baptême ainsi que les recensements canadiens et américains. Les résultats témoignent de l’ampleur de l’émigration aux États-Unis, mais également de la mobilité locale, régionale et interprovinciale. L’importance du réseau familial était primordiale. D’ailleurs, une proportion considérable des femmes sont restées sédentaires toute leur vie et il y a également une mobilité de retour à la campagne. Cette analyse préliminaire témoigne du potentiel d’utiliser les archives pour analyser la mobilité des femmes avant le mariage, dans le contexte d’une émigration familiale, et aussi après le décès de leurs conjoints. En fin de compte, une analyse approfondie des expériences des Acadiennes apporte beaucoup de nuances à notre compréhension des tendances migratoires et de la notion d’exode rural en Acadie du Nouveau-Brunswick à cette époque.
EN:
This experimental longitudinal analysis focuses on Acadian women originating in the civil parish of Dundas, part of the region of Kent in southeastern New Brunswick, and their movements throughout their lives in order to better understand mobility and migration during the period of industrialization. This reconstitution of the life course of four samples of Acadian women between 1871 and 1921 uses a variety of historical sources, including marriage records, baptismal registers, and Canadian and American censuses. The results confirm the importance of emigration trends to the United States, but also of local, regional, and interprovincial movements. The family social network proved to be of fundamental importance. In addition, a significant proportion of the women stayed put throughout their lives, and we also observed some return migration to Dundas communities. This preliminary analysis underscores the potential to use archives to analyze female mobility before marriage, as part of family migration, and after the passing of their spouses. In the end, a deeper consideration of the experiences of Acadian women adds considerable nuance to our understanding of migration patterns and the idea of rural exodus in Acadie of New Brunswick during this time.
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Les Acadiennes louisianaises de la Société du Sacré-Coeur de Jésus, entre interculturalité et mobilité interrégionale
Clint Bruce
pp. 311–342
AbstractFR:
Cette note de recherche fait état de quelques résultats d’une étude microhistorique visant à éclairer les dynamiques socioculturelles en Louisiane francophone, depuis l’époque coloniale jusqu’à la guerre de Sécession (1861-65) et la Reconstruction (1863-77). Le document qui se trouve au coeur de ce projet est l’autobiographie de Marie-Désirée Martin, intitulée : Les Veillées d’une soeur, ou le destin d’un brin de mousse (1877). Arrière-petite-fille d’Acadiennes et d’Acadiens déportés, l’auteure se réfère à l’expérience de ses ancêtres – féminines, surtout – pour donner sens à son propre vécu, notamment à sa décision de quitter l’ordre religieux qu’elle avait rejoint à l’âge de 16 ans, la Société du Sacré-Coeur de Jésus. Cette exploration préliminaire s’appuie sur un examen des collections pertinentes du centre d’archives du Sacré-Coeur à Saint-Louis (Missouri). La réflexion se décline en deux volets, le premier étant consacré aux interactions entre les religieuses et les personnes d’origine africaine tenues en esclavage par le Sacré-Coeur, le deuxième étant celui des rapports interculturels au sein de la congrégation. En tenant compte de la mobilité continentale et transnationale des religieuses, il s’agit de situer la trajectoire de Martin en la comparant à celles d’autres Louisianaises de la Société du Sacré-Coeur.
EN:
This research note reports on some of the findings of a microhistorical study aimed at illuminating the sociocultural dynamics in French-speaking Louisiana from the colonial era through the Civil War (1861-65) and Reconstruction (1863-77). The document at the heart of this project is the autobiography of Marie-Désirée Martin, entitled Evening Visits with a Sister, or The Destiny of a Strand of Moss (1877). The great-granddaughter of Acadian refugees, the author evokes the experience of her ancestors—especially women—to make sense of her own life, particularly her decision to leave the religious order she had joined at the age of 16, the Society of the Sacred Heart of Jesus. This preliminary exploration draws from an examination of relevant collections at the Sacred Heart’s archives in St. Louis, Missouri. The article is divided into two parts, the first focusing on the interactions between nuns and people of African descent held in slavery by the Sacred Heart, and the second theme being that of intercultural relationships within the order. All while taking account of the continental and transnational mobility of the nuns, the analysis situates Martin’s trajectory by comparing it to those of other Louisiana women in the Society of the Sacred Heart.