Abstracts
Résumé
Attestée en France dès la fin du xive siècle, au moment du changement d’année, la quête d’(o)guilaneu ou (a)guiloneu a très tôt induit une interprétation fantaisiste par « au gui l’an neuf », en référence au cri supposé des druides cueillant le gui à l’aide de leur serpe d’or. Dès le début du xviiie siècle, certains avaient pourtant sans doute vu juste en interprétant le cri des quêteurs (eginane en breton) comme un dérivé du mot egin, germe, bien attesté dans différentes langues celtiques. Cette origine « celtique » pourrait trouver confirmation dans le fait qu’une quête du même type, et sous des appellatifs qui paraissent bien appartenir à une même famille linguistique, a existé sur toute la façade ouest de l’Europe, de l’Écosse au nord jusqu’à l’Espagne au sud. En Espagne, les mots Aguinaldo ou Aguilando désignent encore les étrennes et, en Écosse, Hogmanay a parfois pris la forme d’un grand événement festif pour le nouvel an. En France, cependant, on ne trouve plus guère de traces de l’ancienne quête que les colons ont introduite en Amérique du Nord : aux États-Unis, la Guiannée fait parfois encore partie des festivités du mardi gras; au Québec, la Guignolée a conservé l’aspect caritatif qui était souvent le sien en France, devenant même aujourd’hui une véritable institution qui, en décembre, mobilise médias et organismes publics ou privés. Après une réflexion sur l’origine, le sens et la fonction de la quête, l’intervention s’attache à analyser son évolution ou sa disparition en Europe, et son adaptation et sa diffusion dans les minorités franco-américaines.
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Appendices
Note biographique
Ingénieur d’études au Centre national de la recherche scientifique, Fañch Postic dirige depuis 1990 le Centre de recherche et de documentation sur la littérature orale, antenne située à Mellac du Centre de recherche bretonne et celtique. Étudiant l’histoire des collectes et des collecteurs en Bretagne, il a publié de nombreux articles sur l’émergence de la littérature orale comme champ d’étude scientifique. En 1997, il a entrepris l’édition exhaustive — huit volumes sont parus à ce jour — des oeuvres de François Cadic, collecteur breton auquel il avait consacré son mémoire de maîtrise en 1976. Depuis 1978, il s’intéresse aux traditions populaires liées aux grands cycles calendaires, ainsi qu’en témoignent les différents articles qu’il a publiés sur ce thème. Fañch Postic a également été, en 1986, l’un des fondateurs de la revue bretonne ArMen, à laquelle il continue de collaborer régulièrement.
Notes
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[1]
Cf. Fañch Postic et Donatien Laurent, « Eginane au gui l’an neuf – Une énigmatique quête chantée », ArMen, n˚ 1, février 1986, p. 32–56.
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[2]
Ibid. Témoignage recueilli en 1978 par Fañch Postic et Donatien Laurent.
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[3]
Notée par Fañch Postic et Donatien Laurent, publiée dans ArMen, n˚ 1, p. 52–53.
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[4]
« Troad ann eginane / La tournée de l’Aguilaneuf ou des étrennes », Barzaz-Breiz, Paris, 1867, p. 445–452; pour les manuscrits, cf. Fañch Postic et Donatien Laurent, ArMen, n˚ 1, p. 53–56.
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[5]
Cf. Yan Kerhlen [Jean-Mathurin Cadic], « L’Aguilaneuf ou la quête des étrennes », dans la Revue de Bretagne et de Vendée, 1891, p. 149–156.
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[6]
Notamment Lesneven, Morlaix, Landerneau et Saint-Pol-de-Léon dans le nord du département du Finistère.
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[7]
Fañch Postic, « Les cortèges urbains de l’Eginane dans le Finistère », dans Culture et divertissements dans la ville de Basse-Bretagne, numéro spécial de la revue Kreiz (à paraître), CRBC, UBO, Brest.
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[8]
Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique de la langue françoise ou Origines de la langue françoise, Paris, 1694, article « Guignannées », p. 382. Texte cité d’après l’édition de 1750, p. 719–720.
-
[9]
Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, Paris, Picard, tome I, volume 7, 1958, p. 2909.
-
[10]
Joseph-Charles Taché (1820–1894), médecin, écrivain, journaliste et homme politique.
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[11]
Cité par Ernest Gagnon dans Chansons populaires du Canada, Québec, Bureaux du « Foyer canadien », 1865, p. 238–239.
-
[12]
Id., p. 239.
-
[13]
Conrad Laforte, Le Catalogue de la chanson folklorique française, ii Chansons strophiques, Québec, Les Presses de l’Université Laval, « Archives de folklore » 20, 1981, tome ii, p. 343–345.
-
[14]
Adélard Boucher (1835–1912). Musicien, il fut également éditeur de musique pour les oeuvres d’Ernest Gagnon notamment.
-
[15]
Ernest Gagnon, op. cit., p. 241.
-
[16]
Id., p. 240.
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[17]
Léon Ladulfi [Noël du Fail], Propos rustiques, 1re édition, Lyon, 1547, chapitre x : « Mistoudin se venge de ceux de Vindelles qui lauoyent battu, allant a haguilleneuf ».
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[18]
Recueil des arrêts des paroisses, arrêt du 11 juillet 1670, sur la plainte du curé de Saint-Briac.
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[19]
Archives départementales du Morbihan, B.2194, cité par le chanoine Danigo, Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1973, p. 33.
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[20]
Cf. Van Gennep, op. cit., t. i, vol. 7, p. 2907–2908.
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[21]
Archives départementales du Morbihan, B.2126 reg. fol. 37, cité par le chanoine Danigo, Bulletin de la Société polymathique du Morbihan, 1972, p. 30.
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[22]
Abbé Guillotin de Corson, « Vieux usages du pays de Châteaubriant », Mémoire de l’Association Bretonne, t. 23, 1904, p. 23–25. La « vèze » est la cornemuse de la région de Nantes.
-
[23]
Ibid. Citant l’abbé Goudé, Histoire de Châteaubriant, p. 381–382.
-
[24]
Cité par Van Gennep, op. cit., t. i, vol. 7, p. 2883–2884.
-
[25]
Ibid.
-
[26]
Dictionnaire de la langue bretonne, manuscrit de 1716, publié par la Bibliothèque municipale de Rennes en 1975, p. 433–434. L’article sera partiellement repris dans l’édition imprimée en 1752 chez Delaguette à Paris.
-
[27]
Louis Le Guennec, « L’ancienne fête de l’Aguilané », dans Vieux souvenirs bas-bretons, Quimper, Amis de Louis Le Guennec, 1938, p. 49–53.
-
[28]
Le Pelletier propose de voir dans le mot eginane, l’expression « egin an ed », c’est-à-dire effectivement « le blé germe ».
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[29]
Cité par Hervé Peaudecerf, « Alexandre-Louis-Marie Lédan (1777–1855) – Un imprimeur breton au xixe siècle (1805–1855) », thèse dactylographiée, Rennes, 2002, tome iii, « les manuscrits », « Couplédic », p. 77.
-
[30]
Luzel, Soniou Breiz-Izel, Paris, Bouillon, 1890, ii, « Canomp ann Nouël », p. 168–169. Traduction française de Luzel.
-
[31]
« Comptine de Noël », Tud Ha Bro, supplément à la revue Ar Falz, 1952, p. 42.
-
[32]
Henri Pérennès, « Guinnanée et noëls populaires bretons », Annales de Bretagne, xxviii, 1928, p. 38.
- [33]
-
[34]
Van Gennep, op. cit., t. i, vol. 2, 1949, p. 1599
-
[35]
Marcel Mauss, Essai sur le don – Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Année de sociologie, seconde série, 1923–1924, t. i, p. 30–186.
-
[36]
Natalie Zemon Davis, The Gift in Sixteenth Century France, The University of Wisconsin Press, 2000. Traduction française, Paris, Le Seuil, 2003, p. 39–56.
-
[37]
En 1474, dans une lettre de Rémission qui concerne Saint-Maixent dans les Deux-Sèvres, on trouve déjà l’expression « chanter au guy l’an neuf ». Cf. Roger Vaultier, Le folklore pendant la guerre de Cent Ans, Paris, Guénégaud, 1965, p. 94–95.
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[38]
« Sunt qui illud au gui l’an neuf quod hactenus quot annis pridie kalendas januarii, vulgo publice cantare in Gallia solet ab Druidis manasse autumant; ex hoc forte Ovidii : ad viscum Druidae, Druidae clamare solebant. Solitos enim aiunt Druidae per suos adolescentes viscum suum cunctis mitterre, eoque quasi munere bonum, faustum felicum et fortunatum omnibus annum precari ». [Il y en a qui pensent que cet au gui l’an neuf, que l’on a coutume de chanter encore à présent en France le dernier jour de décembre, est venu des druides, peut-être d’après ce vers d’Ovide « au gui les druides, les druides avaient l’habitude de chanter ». On dit en effet que les druides envoyaient du gui à tout le monde par leurs jeunes gens et que, par ce présent, ils souhaitaient à tous une année bonne, heureuse et fortunée.] Citant ce passage de la Cosmographie (1605) de Paul Mérule (1588–1607), part. 2, liv. 3, chap. 11, Ménage, dans son Dictionnaire étymologique (mot « aguilanleu », 1694, p. 12) fait toutefois remarquer que le vers n’est pas d’Ovide. Ce vers dont on trouverait la première mention dans De prisca celtopaedia, publié à Paris, 1556, par Jean Picart, et qui est parfois également attribué à Pline (Dictionnaire Larousse universel du xixe siècle, t. 6, 1870, article « druide »), sera régulièrement repris par la suite.
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[39]
« La veille du premier janvier proclame-t-on le guy l’an neuf? Les enfans vont-ils, en criant ma guilanneu, demander des étrennes? », « Questions proposées par l’Académie celtique », Mémoires de l’Académie celtique, Paris, Dentu, 1807, p. 76.
-
[40]
Édition Ladvocat, 1826–1827, p. 71. Chateaubriand consacre un long passage à la cueillette du gui sacré et met le fameux cri dans la bouche de la prêtresse Velléda.
-
[41]
Instructions relatives aux poésies populaires de la France, 1853, « ii. Poésies populaires d’origine païennes. 1. souvenirs druidiques », p. 18 : « un refrain peut-être la seule trace de souvenirs qui remontent à l’époque druidique, tel est celui qui, dans plusieurs chants populaires, ramène le mot la guilloné, la guillona, la guilloneou suivant les dialectes; mot dans lequel il est impossible de ne pas reconnaître gui l’an neuf (neu), d’autant plus qu’on chante ce refrain à Noël, époque des anciennes cérémonies gauloises qui se rapportaient au solstice d’hiver… »
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[42]
Dictionnaire d’Émile Littré, 1867 : « Au gui l’an neuf, espèce d’exclamation qui paraît s’être conservée en mémoire de la cérémonie où l’on distribuait le gui, chez les Gaulois ». Le Grand Larousse, 1872 : « Au gui l’an neuf ou A gui l’an neuf, sorte de cri qu’on poussait autrefois au premier de l’an, à cause de la coutume gauloise de distribuer le gui ce jour-là. Des vestiges de cet usage ont longtemps subsisté en France, et surtout en Bretagne, où, la veille du premier de l’an, les pauvres allaient quêter leurs étrennes au cri de a gui l’an neuf. »
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[43]
Cf. par exemple : www.thecanadianencyclopedia.com/index; www.prologue.qc.ca/pedago/celebrons/guignolee.htm.
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[44]
Ernest Gagnon, op. cit., p. 248.
-
[45]
Cité par Ernest Gagnon, op. cit., p. 239–240.
-
[46]
Van Gennep, Manuel…, op. cit., t. i, vol. 8, Cycle des Douze Jours, rédigé par Bernadette Guichard, Paris, Picard, 1988, p. 3478–3482.
-
[47]
Barzaz-Breiz, 1867, p. 451–452.
-
[48]
Bernard Lauer et Bärbel Plötner, « Jacob Grimm und Th. Hersart de la Villemarqué ein briefweschel aus der frühzeit der modern keltologie », dans Jarhbuch der Brüder Grimm-Gesellschaft, Kassel, 1991, p. 57–61.
-
[49]
D’après les notes de Van Gennep, dans Arnold Van Gennep, op. cit., t. i, vol. 8, p. 3477. Van Gennep reprend l’interprétation de Lazare Sainéan dans Les sources indigènes de l’étymologie française, Paris, 1925, p. 278.
-
[50]
Cf. Juan Caro Baroja, El carnaval – Analisis historico-cultural, Madrid, 1965, édition française, Le carnaval, Gallimard, NRF, 1979, p. 219.
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[51]
C’est également la racine celtique *ak-ino que retient Albert Deshayes dans son Dictionnaire étymologique du breton (Douarnenez, Chasse-Marée, 2003) pour expliquer le mot egin (germe) et ses dérivés eginad (étrennes)…
-
[52]
Anne Postic, « Hogmanay in Edinburgh : a Scottish festival? », mémoire de master 1 d’anglais, dactylographié, Brest, 2005. Sur les développements actuels de Hogmanay en Écosse, voir le site officiel de Hogmanay à Édimbourg : http://www.edinburghshogmanay.org — ainsi que : http://www.hogmanay.net.
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[53]
Cf. le site officiel de « La Grande Guignolée des médias » : http://www.lagrandeguignoleedesmedias.com/.
-
[54]
Margaret R. Robertson, The Newfoundland Mummer’s Christmas House-visit, Ottawa, Centre canadien d’études sur la culture traditionnelle, collection « Mercure », n˚ 49, 1984, xvii-171 p.
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[55]
The Diggins – Les Piroches, Periodical of the Old Mines Area Historical Society, vol. 6, issue 4, automne 2000, p. 46. Document communiqué par Anne Postic.
-
[56]
« New year’s day in the olden time of St Louis », que l’auteur a écrit en décembre 1848 et publié en 1849 dans le St Louis Daily Reveillé. Manuscrit communiqué par Anne Postic. L’auteur reprend l’explication par « au gui l’an neuf » qui serait devenu « au gui la nouvelle année », puis « la guignolée ».
-
[57]
« French New Year Custom Survives in Old Towns. Early-Day Celebration of “Gaie-Annee” Described by 82-Year-Old Missourian », St Louis Post-Dispatch, 3 janvier 1938. Document communiqué par Anne Postic.
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[58]
Joseph-Médard Carrière, Tales from the French Folk-Lore of Missouri, Evanston and Chicago, Northwestern University, « Northwestern University Studies in the Humanities » 1, 1937, p. 6–7. Communiqué par Jean-Pierre Pichette.
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[59]
Ray Brasseur, « Living French Traditions of the Middle Missisippi Valley », Mississipi Heritage Fair 1993 Festival Program, p. 25–28. Document communiqué par Rocky Sexton.
- [60]
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[61]
Rocky L. Sexton et Harry Oster, « Une ‘Tite Poule Grasse ou la Fille Aînée? [A Little Fat Chicken or The Eldest Daughter] A Comparative Analysis of Cajun and Creole Mardi Gras Songs », Journal of American Folklore, vol. 114, p. 204–224.
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[62]
Étienne-Édouard Roussin dans l’article du St Louis Post-Dispatch laisse entendre que, dans certains endroits, on faisait effectivement chauffer les pieds de la fille aînée devant la cheminée.
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[63]
Cf. S. Trébucq, La chanson populaire en Vendée, Paris, Chevalier, 1896, p. 281 : « Si vous voulez ren nous donner, / Donnez la feille ainaye; / La cuisinière de la maison, / La beun’ aimaye… ».
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[64]
Cf. la version de « Canomp ann Nouël » recueillie par Luzel en 1889 et citée ci-dessus.
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[65]
« Si vous ne voulez rien nous donner / Donnez-nous la chambrière; / Nous la mènerons au pailler / Et lui ferons bonne chère / Et lui apprendrons le jeu… / Donnez-nous la guy-an-neuf ». Chanson recueillie au Pellerin, et publiée dans En Bretagne et Poitou, chants populaires du comté nantais et du Bas-Poitou recueillis entre 1856 et 1861 par Armand Guéraud, édition critique de Joseph Le Floc’h, Modal études/FAMDT éditions, 1972, vol. i, p. 117. Une autre version recueillie à Pornic propose une légère variante : « Si vous n’avez rien à donner / Donnez-nous la chambrière / Là, derrière le pailler / Nous lui f’rons bien son affaire / Nous l’arrang’rons pour le mieux / Ça vaudra la Guillaneux ».