Nouvelles perspectives en sciences sociales
Volume 13, Number 1, November 2017 Sur le thème de la recherche sur la recherche Guest-edited by Denis Martouzet
Table of contents (15 articles)
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Avant-propos : pistes d’exploration épistémologique de la réflexivité et de la distanciation critique
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La réflexivité et les géographes français au XXe siècle. D’une approche historique à une approche épistémologique
Isabelle Lefort and Laura Péaud
pp. 21–55
AbstractFR:
Au cours du XXe siècle, les géographes français ont fait leurs des démarches et explicitations réflexives qui corrélativement ont vu sensiblement évoluer leurs places et leurs statuts dans la production disciplinaire. Cessant d’en être un angle mort, ces démarches ont été dotées d’un outillage conceptuel et méthodologique, leur assurant aujourd’hui visibilité et reconnaissance dans le champ des études géographiques. Passant d’un projet d’histoire de la discipline à un projet plus explicitement épistémologique, les modalités de l’écriture réflexive géographique participent aujourd’hui d’une nouvelle forme d’habitus disciplinaire mobilisant de nouveaux objets, questionnements et méthodes.
EN:
During the XXth century, French geographers gradually adopted some reflexive approaches. Doing so, the importance, place and status of reflexive questions have deeply evolved. No longer being a neglected field in French geography, the reflexive perspective conquered a specific methodology as well as conceptual tools that assure its visibility and acknowledgement in the field of academic geography. From an historical project, which was thought to write the story of geography as a scientific discipline, to an epistemological one, the ways to build the geographical reflexivity substantially changed. Today, we observe a clear enthusiasm for that kind of researches, which is also accompanied by an enlargement of their themes, questions, and methods.
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Gymnastique épistémologique, critique et réflexive : la construction d’une recherche en « ex-Yougoslavie » face à la colonialité du savoir
Cyril Blondel
pp. 57–89
AbstractFR:
Cet article tente de retracer une histoire, celle de l’évolution de ma propre réflexivité durant le temps d’une thèse intitulée « Aménager les frontières des périphéries européennes. La frontière Serbie/Croatie à l’épreuve des injonctions à la coopération et à la réconciliation » (thèse de doctorat, Tours, Université François-Rabelais, 2016). Mon propos ici est de rendre compte d’une conviction, la nécessité de s’engager dans une démarche réflexive et critique avant, pendant et après la production de la recherche en elle-même. Cet article constitue ainsi une tentative de démonstration par l’exemple de l’intérêt d’une telle posture. Je vise, d’une part, à exposer comment j’ai construit mes réflexions épistémologiques, par une déconstruction progressive des cadres théoriques classiques (nationalistes, post-socialiste, post-yougoslave) choisis ou imposés. D’autre part, j’expose les aboutissements de cette réflexivité, c’est-à-dire principalement ma prise de conscience de la colonialité du savoir (et du mien en particulier). Cette gymnastique m’a permis de parfois dépasser certaines limites de mon travail, et plus souvent d’en rendre compte, mais aussi d’accepter l’indépassable lié à certains aspects de ma situation de recherche, de la manière dont je l’ai énoncée et conduite. Mener ce type d’exercice et en rendre compte contribuent alors à mieux préciser les conditions de validité scientifique de ces travaux, à mieux situer le propos et l’apport du chercheur, sa position et donc sa positionalité.
EN:
This article is a story narrating the evolution of my own reflections during my Ph.D.: “Planning at the Borders of European Peripheries: The Serbia/Croatia Borderland and the EU Cooperation and Reconciliation Injunctions” (Ph.D. thesis, Tours, Université François-Rabelais, 2016). Using auto-ethnographic methods, this article demonstrates a conviction, the necessity to engage with a reflexive and critical approach, before, during, and after the production of research. I show first how I built the thesis’ epistemological approach, by progressively deconstructing classical theoretical frameworks (nationalist, post-socialist, post-Yugoslav). I expose and discuss then the outcomes of such a reflexivity, in particular how I gradually became conscious of the coloniality of (my) knowledge. These mental gymnastics allowed me to occasionally overcome – but regularly report on – the limits of my research, but also to recognize the unsurpassibility of certain aspects of my work connected to the situation in which I stated and conducted it. Reflecting on epistemological reflexivity contributes to clarifying scientific (in)validity of research, and better situates researcher’s arguments, their position and positionality.
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Désir, conditions et politiques de reconnaissance du chercheur en sciences sociales : réflexions sur la performance de terrain et d’écriture
Florence Bétrisey
pp. 91–116
AbstractFR:
Dans cet article, nous proposons d’analyser la démarche de recherche et le comportement des sujets-chercheurs au prisme de la notion de reconnaissance. Nous questionnons notre propre démarche et notre propre comportement de sujet-chercheuse dans le cadre de notre recherche doctorale en Bolivie. Plus particulièrement, nous analysons deux dimensions clés de la recherche en sciences sociales : la performance du travail de terrain et l’espace académique (eurocentriste) dans lequel s’inscrit le chercheur.
L’analyse du travail de terrain (compris comme une performance sociale) au prisme de la notion de reconnaissance nous permet d’abord d’éclairer les tensions entre conformisme stratégique du chercheur et reproduction de normes sociales locales. Dans un deuxième temps, nous mettons en évidence le désir du chercheur d’obtenir une reconnaissance académique et la façon dont ce désir l’enjoint à reproduire la grammaire dominante de reconnaissance académique. Nous éclairons notamment le fait que ce désir d’obtention d’une reconnaissance, sociale ou académique est étroitement lié aux relations de pouvoir qui structurent l’espace académique (lequel n’est, au demeurant, pas considéré comme un espace neutre).
Enfin, nous montrons que, si la promesse de reconnaissance rend la contestation des normes de reconnaissance difficile, elle n’empêche pas leur contournement, par exemple par l’adhésion à des récits alternatifs de la qualité de la recherche (« slow science »). Ces derniers peuvent en effet agir comme des canaux alternatifs de reconnaissance, producteurs de nouveaux récits et nouvelles grammaires de reconnaissance. Or ces mécanismes de conformisme, résistance ou contournement des normes de reconnaissance, autant en ce qui concerne la performance de terrain que l’espace académique, se déroulent souvent dans le domaine de l’inconscient et du non cognitif.
EN:
In this paper, I propose to analyze the researcher-subjects’ behavior, during the research performance, through the prism of recognition, as a conceptual idea/notion. I question my own approach and my own subject-researcher behavior in the framework of my own doctoral research in Bolivia. In particular, I analyze two key dimensions of social science research: the fieldwork performance and the (eurocentrist) academic space in which I am enrolled.
Analyzing the fieldwork experience, understood as a social performance through the prism of recognition allows us first to clarify the tensions between the strategic conformism of the researcher and the reproduction of local social norms. Secondly, we highlight the researcher’s desire to obtain academic recognition and the way in which this desire enjoins her to reproduce the dominant grammar of academic recognition. In particular, this desire to obtain recognition, whether social or academic, is closely linked to the power relations that structure the academic space (which, moreover, is not considered as a neutral space).
Finally, we show that if the promise of recognition renders the contestation of recognition standards difficult, it does not prevent their circumvention, for example by adhering to alternative narratives of the quality of research (“slow science”). The latter can indeed act as alternative channels of recognition, producing new narratives and new grammars of recognition. However, these mechanisms of conformity, resistance, or circumvention of recognition standards, both in terms of field performance and academic space, often take place in the realm of the unconscious and the non-cognitive.
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De la désaffiliation du chercheur pour l’élaboration des connaissances : comment se positionner en tant que chercheur et acteur dans une école ethno-religieuse?
Souheil Essid and Yosra Essid Hamas
pp. 117–148
AbstractFR:
Quand le chercheur s’investit dans son action de recherche, il entretient un rapport cognitif et affectif avec son objet d’étude. Dans cet article, nous souhaitons aborder comment la question de l’implication du chercheur est un enjeu de la recherche et en quoi l’analyse des processus à l’oeuvre pour le chercheur peut devenir un objet de réflexion qui permet aussi une compréhension de l’objet d’étude. Dans le cadre d’une recherche doctorale sur le rôle de la religion et de l’école dans la construction identitaire des jeunes, notre immersion dans une école primaire au Québec nous place au coeur d’un processus réflexif sur la posture du chercheur, sur sa réflexivité et sur son positionnement par rapport à soi-même, à ses sujets de recherche et à ses outils de collecte de données. Dans cette étude, l’observation ethnographique comme outil de collecte de données nous a placé au coeur d’un processus conversationnel continu avec les sujets, avec les données et avec soi-même. Le processus a conduit le chercheur à une désaffiliation religieuse et à une réflexion sur les aspects intersubjectifs de la recherche.
EN:
When the researcher invests in his research, he maintains a cognitive and affective relationship with his object of study. In this article, we would like to address this relationship, and to present how the question of the involvement of the researcher is an issue of research and how the analysis of the processes at work can become an object of reflection, which also allows an understanding of the research subject. Our immersion in a religious primary school in Quebec (as part of a doctoral research on the role of religion and school in the construction of youth identity) places us at the heart of a reflexive process on the position of the researcher to himself, to research subjects, and to data collection tools. In this study, we find ourselves at the heart of a continuous conversational process affecting conversations with subjects, data interpretations, and with our own values. This conversational process actually leads to some sort of religious disaffiliation, and to live and reflect on the intersubjective aspects of our research.
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Système, rétroactions et recherche. Un triptyque à considérer?
Marion Bourhis
pp. 149–176
AbstractFR:
La restitution de récits d’enquête reste vécue comme une forme de « mise en danger » vis-à-vis de la crédibilité des recherches menées empruntant principalement aux méthodes de types qualitatives, sans qu’il existe de réelle cumulativité relative aux enjeux et questionnements issus de ces restitutions. Une telle situation laisse transparaître un besoin en termes d’outillage analytique auquel cet article se propose d’apporter un début de proposition. En effet, à partir du postulat de départ que tout chercheur fait partie de son cadre de travail, qu’il influence mais qui l’influence également en retour, l’article propose de considérer tout déroulé de recherche sous l’angle de la systémique, et donc d’envisager les glissements réalisés comme étant des transformations issues de boucles de rétroactions positives. En ce sens, cet article souhaite, partant d’une expérience effective de recherche, tendre vers une possible généralisation analytique.
EN:
To present an investigative report on how a research has been implemented remains a form of “endangerment” regarding the credibility of research mainly using qualitative methods. Moreover they did not carry out a real cumulativity related to the stakes and questions arising from them. Such a situation reveals a need in terms of analytical tools to which this article proposes to bring an initial proposal. Indeed, on the basis of the initial assumption that every researcher is part of his work environment – which he influences but also influences him in return – the article proposes to consider any research process from the point of view of systemic and to consider the slides realized as being transformations coming from loops of positive feedbacks. In this sense, this article wishes, starting from an actual research experience, to move forward a possible analytical generalization.
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Les défis de la réflexivité et de la collaboration recherche-pratique : le cas de l’implantation d’une nouvelle offre de services en santé mentale en première ligne
Julie Descheneaux, Denise Aubé, Clément Beaucage and Rodrigue Côté
pp. 177–209
AbstractFR:
L’évaluation d’implantation d’une nouvelle offre de services en santé mentale dans un centre de santé et de services sociaux démontre que le processus de changement doit être accompagné de la création d’espaces réflexifs au sein des équipes de travail afin de créer des conditions favorables à l’implantation. La complexité organisationnelle est un enjeu avec lequel il faut composer. Le rôle de la collaboration recherche-pratique dans ce processus d’implantation du changement est souligné afin de mieux comprendre les enjeux de la création d’espaces réflexifs dans une organisation. Alors que les espaces réflexifs prévus dans la planification initiale ne se sont pas concrétisés, l’interaction continue entre la recherche et la pratique a permis d’actualiser sous une forme inattendue les mécanismes réflexifs dans l’organisation en changement grâce aux espaces de collaboration mis en place et aux mécanismes d’application des connaissances portés par la posture épistémologique, la création d’alliances et le fonctionnement par cycle.
EN:
The evaluation of the implementation process of a new mental health service in a heath and social services center demonstrates that this process must be accompanied with the creation of spaces of reflection amongst the team of workers in order to create positive conditions for implementation. Organizational complexity is an issue that needs to be taken into account. The role of research-practice collaboration in this process of implementing changes has been documented in order to better understand the challenges of opening spaces of reflection within an organization. While the spaces of reflection scheduled in the initial planning did not materialize, the ongoing interaction between research and practice allowed the mechanisms of reflection of this team to renewed themselves in an unexpected way in the midst of a process of transformation. That was made possible thanks to the spaces of collaboration that were put in place, to the mechanisms of knowledge translation carried out by the epistemological posture, to the creation of alliances and the cycle operation method.
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Réflexivité et recherche-action en contrat CIFRE, quand les contraintes du terrain deviennent opportunités
Camille Rouchi
pp. 211–224
AbstractFR:
Cet article propose de communiquer sur un retour d’expérience et d’engager une réflexion sur la réalisation d’une recherche critique en sciences humaines financée par son terrain de recherche. L’ambition est ainsi d’adopter un double point de vue : celui de l’universitaire et du professionnel. Cette posture n’étant pas sans inconvénient puisqu’elle implique de se poser la question à la fois des attentes et des besoins du monde professionnel et scientifique dans le cadre de ce qui relève de la recherche-action. Être engagé par son terrain, c’est se confronter à la contradiction des temporalités et de multiples intérêts. Nous verrons que l’élaboration de l’objet de recherche, l’obtention des données et les modalités de restitution, interpelle la nécessité d’adopter un point de vue réflexif et pour le chercheur de transformer les contraintes en opportunités.
EN:
This article proposes a feedback and a reflection on a critical research in human and social sciences, financed by its own field of research. The aim is to get a double point of view: academic and professional. It is a delicate position to adopt as it implies understanding and questioning the expectations and needs of both the professional and scientific worlds, within the framework of an «action-research» project. Participant observation is to be confronted with contradictory temporalities and diverse interests. We will see that the development of the research object, the obtaining of data and the methods of restitution, calls for the need to adopt a reflexive point of view, and for the researcher to transform constraints into opportunities.
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Coming out
Nathalie Brevet
pp. 225–249
AbstractFR:
Je saisis l’opportunité du thème proposé par la revue pour questionner mon parcours personnel. Ce dernier s’articule autour de deux activités : celle d’enseignant-chercheur en urbanisme et en sociologie et celle d’artiste. Je suis effectivement maître de conférences depuis 2009 et, depuis le début des années 2000, période coïncidant avec le début de mon doctorat, je travaille en collaboration avec Hughes Rochette. Ensemble nous réalisons des installations in situ dans le champ de l’art contemporain privilégiant le rapport au lieu et à l’espace. Cet article est l’occasion de m’interroger sur la façon dont des objets de réflexion, des pratiques, ou encore des formes d’expression circulent d’un monde à l’autre. Il ne s’agit aucunement d’assimiler ces deux univers mais de comprendre ces « brèves rencontres » que décrit le scientifique Jean-Marc Lévy-Leblond. Je suivrais l’évolution de mon parcours à la fois d’enseignant-chercheur et d’artiste pour questionner les moments et les formes de cette rencontre. Ces propos seront aussi l’occasion d’ouvrir un questionnement sur la recherche en se demandant quelle est la place donnée à l’expérimentation dans un contexte où l’évaluation implique une normalisation des productions scientifiques.
EN:
The journal’s suggested topic in its call for papers gives me an opportunity to review my personal journey, which is based on two lines of work: as a teacher/researcher in urban planning and sociology, and as an artist. I’ve been a lecturer since 2009, and from the early 2000s – a time which coincides with the beginning of my thesis – I’ve also been working jointly with Hughes Rochette. Together we create site-specific installations in the field of contemporary art, giving precedence to place and space. This paper is an occasion for me to question the way objects of reflexion, practices, and even forms of expression move between one world and another. This is not about assimilating both domains into one, but rather about understanding their “brief encounters”, as described by the scientist Jean-Marc Lévy-Leblond. I shall take a closer at look at my personal and professional development as a teacher/researcher and as an artist so as to challenge when and how such encounters took place. This paper will also be an opportunity to reflect on research itself by asking how much importance is given to experimentation within a context in which assessment leads to a standardisation of scientific productions.
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Retour réflexif sur un cheminement
Dominique Loiseau
pp. 251–270
AbstractFR:
L’article est un retour réflexif sur le cheminement d’une chercheuse travaillant sur les rapports sociaux de sexe et le mouvement ouvrier, en histoire et en sociologie : réflexion sur l’évolution de ses supports de recherche (rapport aux sources orales, à l’image), sur les outils facilitant une transmission, sur la confrontation à de nouveaux langages pour rendre compte de la recherche, sur de nouvelles pratiques pour sortir de l’entre-soi universitaire, s’enrichir des réactions d’un public qui a été – ou pas – partie prenante de l’étude.
Et, en amont, faciliter la production d’une réflexion par les personnes enquêtées, pour qu’elles deviennent, dans une certaine mesure, sujets et pas seulement objets, s’approprient la démarche et participent, par exemple, à l’élaboration du contenu d’un texte théâtral sur la thématique des stéréotypes sexués.
En transversal, la question de la posture de la chercheuse, du rapport entre connivence, empathie et altérité.
EN:
The article is a reflexive return about the thought process of a researcher working on sex social relations and the working class movement, in history and sociology: reflection on the evolution of her research material (relation with oral sources, image), on the tools making easier a transmission on the confrontation with new languages in order to report on the research, on new practices to get out of the university microcosm, to enrich with the reactions of a public who was – or not – acting as stakeholder in the study.
And, up-stream, to facilitate the production of a reflection by the inquired persons so that they become, up to a certain point, subjects and not only objects, make the process their own and participate, for example, to the elaboration of the content of a theatrical text on the thematic of sex stereotypes.
Transversely, the question of the researcher’s position, of the relation between connivance, empathy, and alterity.
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Faire de la sociologie. Entre investissement relationnel, contraintes professionnelles et utilité sociale
Antoine Delporte and Lionel Francou
pp. 271–322
AbstractFR:
Confrontée à des processus de standardisation et de compétition, mais aussi en perte de légitimité dans l’espace public, la sociologie semble en difficulté malgré un nombre grandissant d’organisations et d’acteurs sociaux qui font appel à des chercheurs pour les aider à formuler des solutions à leurs problèmes. Les auteurs invitent à s’engager à la fois dans la sociologie, au moyen d’une pratique exigeante de cette discipline, et pour la sociologie, afin de défendre les spécificités scientifiques en matière de procédures d’enquête et de prises de parole dans l’espace public. Afin de dresser un état des lieux des difficultés rencontrées par la discipline et ceux qui la pratiquent, ainsi que de ses forces et atouts, l’article présente d’abord les mutations qui affectent le métier de sociologue, puis les formes de l’engagement du sociologue dans la relation avec les enquêtés et dans la société, que ce soit auprès d’organisations ou dans l’espace public.
EN:
Confronted with processes of standardization and competition, but also with a loss of legitimacy in the public space, sociology seems to be in difficulty despite a growing number of organizations and social actors asking researchers to help them solve their problems. The authors invite us to engage both in sociology, by developing a demanding practice of this discipline, and for sociology in order to defend the specificities of science, in terms of investigative procedures and speeches in the public space. In order to draw up an inventory of the difficulties encountered by the discipline and those who practice it, as well as its strengths and assets, the article first presents the changes affecting the profession of the sociologist, as well as the ways a sociologist can commit in relation whether with the social actors, in the society, with organizations and in the public sphere.
Articles hors thème
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Quelle sociologie relationnelle? Une perspective non relationniste
Pierpaolo Donati
pp. 325–371
AbstractFR:
Dans cet article, l’auteur présente sa version originale d’une sociologie relationnelle, laquelle repose sur un réalisme critique, qu’on appelle aussi « théorie relationnelle de la société ». Elle partage avec d’autres versions de la sociologie relationnelle l’objectif de comprendre les faits sociaux en tant qu’entités constituées relationnellement. Mais elle diffère des versions constructivistes radicales (ici nommées sociologies relationnistes) par la façon dont les relations sociales sont définies, les voies par lesquelles elles sont générées et elles changent (morphogénèse sociale), et la manière dont elles configurent les formations sociales. L’article met au clair les avantages qu’offre cette perspective originale pour l’explication des phénomènes sociaux émergents. En particulier, montre-t-il, cette perspective peut orienter la recherche sociale vers des réalités invisibles ou immatérielles. Empiriquement, elle peut montrer comment des formes sociales nouvelles sont créées, comment elles changent ou comment elles se détruisent en fonction de divers processus de valorisation ou de dévalorisation des relations sociales. Ultimement, cette approche offre la possibilité de mettre en lumière des processus relationnels qui peuvent permettre aux agents sociaux humains de mieux se réaliser et leur donner, en tant que sujets relationnels, l’occasion d’accéder au bien-vivre.
EN:
In this paper, the author presents his original version of relational sociology, based upon critical realism, which is also called ‘relational theory of society’. It shares with other versions of relational sociology the aim to understand ‘social facts’ as relationally constituted entities. But it differs from the radically constructivist and relativistic versions (here referred to as ‘relationist sociologies’) as regard the way in which social relations are defined, the kind of reality that is attributed to them, the paths through which they are generated and changed (social morphogenesis), and how they configure social formations. The paper clarifies the advantages that this original perspective offers in explaining social phenomena as emergent. In particular, it can orient social research toward unseen and/or immaterial realities. Empirically, it can show how new social forms are created, changed, or destroyed depending on different processes of valorization or devalorization of social relations. Ultimately, this approach points to the possibility of highlighting those relational processes that can better realize the humanity of social agents and give them, as relational subjects, the opportunity to achieve a good life.
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La communication au sein de foyers familiaux. Une nouvelle preuve de la pertinence d’une analyse relationnelle
Paul Jalbert and Simon Laflamme
pp. 373–401
AbstractFR:
Dans cet article, nous rappelons quelques éléments d’une analyse relationnelle en confrontant son appareil conceptuel à celui qui est à l’oeuvre dans les modélisations qui ont pour centre l’individu. Nous énumérons quelques travaux empiriques qui, entre autres, ont relativisé la pertinence de la catégorie d’intention, catégorie qui est prééminente dans la plupart des études qui se focalisent sur l’individu. Enfin, nous rapportons les résultats d’un nouveau travail empirique qui, dans le prolongement des précédents, met en valeur l’analyse relationnelle. Ce travail repose sur l’observation des échanges qui ont cours au sein de foyers familiaux.
EN:
In this article, we reiterate some components of a relational analysis by contrasting its conceptual apparatus to the one that operates in modelizations focusing on the individual. We enumerate some empirical studies which, among other things, have shown that the category intention is relevant only under very specific circumstances, although it is a basic concept in most analysis of the social actor. Finally, we present some results of a new study which, as an extension of the previous ones, highlights the relational analysis. This study is based on the observation of conversations that take place in family homes.
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Un petit monde en Ontario. Application d’un modèle relationnel trialectique à la vie d’une communauté canadienne
Claude Vautier
pp. 403–453
AbstractFR:
Face aux controverses encore vives entre les tenants du sujet et ceux des structures, entre ceux qui pensent que l’action est au centre de la sociologie et ceux qui sont convaincus que ce sont les systèmes sociétaux qui constituent la source de la dynamique sociale, nous pouvons ouvrir des voies nouvelles.
Dans cet article, je cherche à démontrer qu’il est possible de sortir des approches actionnistes, structuralistes, de même que phénoménologiques, pour comprendre les phénomènes sociétaux. Pour ce faire, j’essaie de réintroduire une catégorie oubliée, l’événement, comme une catégorie importante de la recherche en sociologie. Mais, plus important, je propose un modèle relationnel qui étudie, non les catégories, mais les relations entre les catégories. Il ne le fait pas à la façon des modèles de la théorie des réseaux en étudiant les « relations entre », mais en se concentrant sur le caractère hologrammatique des systèmes sociétaux, c’est-à-dire sur l’idée selon laquelle individu, système et événement sont simplement indissociables les uns des autres.
Le modèle repose sur l’étude des liens qui unissent de façon très intime les catégories en question. Ces liaisons sont telles que chaque catégorie est étudiée dans sa relation avec chacune des deux autres puis dans son rapport au rapport entre les deux autres. L’application empirique réalisée montre que l’on peut ainsi mieux comprendre les chemins ou histoires de vie de membres d’une petite communauté du nord-est de l’Ontario, leurs évolutions, voire leurs bifurcations, dans certains cas, qu’avec des modèles reposant sur les ressorts de l’action ou ceux des structures.
EN:
Faced with the still vivid controversies between those who support the approach by the subject and those who support the approach by the structures, between those who think that action is at the center of sociology and those who are convinced that societal systems are the source of social dynamics, we can open up new way.
In this article, I try to show that it is possible to break free of the actionist, structuralist as well as phenomenological approaches in order to better understand societal phenomena. To do this, I try to reintroduce a forgotten category, the event, as an important category of sociological research. But more importantly, I propose a relational model that studies not categories, but the relationships between categories. It does not do so as the models of the theory of networks by studying the «relations between», but by focusing on the hologrammatic character of societal systems, that is to say on the idea that individual, system and event are simply inseparable from one another.
The model is based on the study of the links that unite the categories in a very intimate way. Each category is studied in relation to the other two and then in relation to the relationship between the other two. The empirical application shows that we can thus better understand the pathways or life histories of members of a small community in northeastern Ontario, their evolutions and even bifurcations in some cases, than with the actionists models or structuralists or with the combined action of this two approaches.