Nouvelles perspectives en sciences sociales
Volume 11, Number 2, May 2016 Sur le thème : complexité et relation Guest-edited by Claude Vautier and Simon Laflamme
Table of contents (16 articles)
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Avant-propos
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Conférence inaugurale du colloque de Sudbury : la revue Nouvelles perspectives en sciences sociales et la sociologie contemporaine. Un programme de refondation
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Jeux d’acteurs, propriétés et dynamique d’un « système d’action complexe » : les relations internationales en Europe et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale
Philippe Garraud
pp. 43–80
AbstractFR:
La perspective systémique ne conduit pas à opposer une vision structurale ou systémique à une approche plus stratégiste, mais bien à les intégrer étroitement en mettant en évidence les interactions, les contraintes et les interdépendances qui conditionnent les différents choix politiques des acteurs, et circonscrivent et ferment progressivement le champ des possibles. Beaucoup plus que les intentions des acteurs, ce sont les propriétés du système qui déterminent sa logique, sa dynamique globale et ses effets. Dans cette perspective, on s’intéressera successivement aux stratégies des différents acteurs nationaux (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Pologne, URSS, Belgique) dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, puis aux propriétés du système liées aux interactions et à interdépendance des jeux d’acteurs et, enfin à la dynamique et aux effets de système : le chemin de la guerre.
EN:
The systemic perspective doesn’t lead to oppose a structural or systemic conception to a more strategic approach. But on the contrary to relate them closely showing the interactions, the constraints and the interdependences which condition the different political choices, confine and progressively close the fields of possibilities. Much more than actor’s intentions, these are the system’s properties which determine its logic, its global dynamic and its effects. In this way we will successively look after the strategies of different national actors (Germany, France, Great-Britain, USSR, Belgium) in the triggering of the World War II, and the properties of the system related to the interactions and interdependences of actor’s games. Finally, we will study the dynamic and effects of the system: the path of war.
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La pensée systémique analysée à l’aune de l’entropie
Marcienne Martin
pp. 81–104
AbstractFR:
Le courant de pensée appelé « pensée systémique » est en relation avec la complexité des structures qui sous-tendent toute organisation. En effet, cette approche cognitive de l’approche des objets du monde peut être abordée de multiples façons et ainsi générer des visions différentes de la réalité. La pensée systémique peut-elle intégrer l’entropie comme phénomène participant de la néguentropie dans le cadre d’une approche scalaire plus globale ?
EN:
The current of thought called “systemic thinking” is in relation to the complexity of the structures which underlie any organization. Indeed, this cognitive approach to the approach of world objects can be studied in multiple ways and thus generate different views of reality. Can systems thinking integrate entropy phenomena which participates in negative entropy as part of a scalar approach more global?
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Étude d’un cas abordé selon deux cadres de références : approches systémique et psychanalytique
Lahcène Bouabdallah and Ali Hamaidia
pp. 105–127
AbstractFR:
Dans la pratique de la psychologie clinique, l’approche systémique n’est utilisée que dans un champ très étroit : la thérapie familiale. Cependant, on pourrait en user dans d’autres champs d’application de la psychologie, ce que cet article souhaite prouver empiriquement, à travers la présentation d’un cas clinique abordé (étudié et analysé) par deux approches différentes représentées par deux cadres de référence différents : le premier est d’inspiration psychanalytique (adopté réellement dans la prise en charge qui a eu effectivement lieu), et le deuxième basé sur une approche systémique pour aboutir à soutenir une tendance qui vise à tirer profit de toutes les approches dans l’intérêt final du patient : l’approche intégrative et multi-théorique.
EN:
In the practice of clinical psychology, the systemic approach is worn only in a very narrow field: family therapy. While we can use in other fields of application of psychology, and this article is to prove it empirically, through the presentation of a clinical case discussed (studied and analyzed) by two different approaches represented by two different reference frames: the first is psychoanalytic, and the second based on the systemic approach, to lead to support this trend to take advantage of any approach in the interests in final of the patient: the integrative approach.
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Travail cognitif, communication et gouvernance des relations de travail par les règles. Éléments d’analyse pour une « économie politique de la relation »
Patrick Dieuaide
pp. 129–151
AbstractFR:
Le présent article s’interroge sur les perspectives ouvertes par le programme de recherche développé dans le cadre de la revue Nouvelles Perspectives en Sciences Sociales autour d’une « sociologie de la relation ». Mutatis mutandis, nous nous proposons de réfléchir à quelques propositions qui pourraient aider à cerner les contours de ce que l’on pourrait dénommer une « économie politique de la relation ». Pour ce faire, nous nous intéressons plus particulièrement à la place et au rôle de la communication dans les relations de travail dans les entreprises. Deux pistes de réflexion sont explorées : une première piste développe la notion de « travail cognitif » et souligne la diversité des modèles relationnels par lesquels la communication rend possible le rassemblement d’individus autour d’une vision partagée de l’organisation et de l’activité de travail. Cette réflexion conduit à caractériser la communication comme une activité productive de règles d’usage au fondement d’un agir collectif. Une seconde piste examine la question plus générale de la place et du rôle des règles dans la gouvernance des relations de travail au sein des entreprises. Les débats autour des dimensions implicite et explicite et des écarts entre la règle et son interprétation sont rappelés; de même l’opposition entre la dimension publique des règles développées au coeur des relations de travail et la dimension privée du contrôle et de son application par le management. Ces réflexions conduisent à proposer une approche élargie de la communication considérée comme le vecteur d’une relation d’ordre dans les savoirs et les apprentissages mobilisés dans le travail. L’article conclut brièvement les tensions que soulève cette forme de communication entre la liberté de jugement et d’action et les contraintes imposées aux niveaux de l’organisation et de la mise en oeuvre de l’activité de travail.
EN:
This article examines the prospects opened up by the research program developed as part of the journal New Perspectives in the Social Sciences around the theme of “sociology of the relationship”. Mutatis mutandis, it is proposed to reflect on some proposals that could help to identify the contours of what one might refer to a “political economy of the relationship”. To do this, it is particularly interested to the place and the role of communication in labour relations in enterprises. Two lines of thought are explored: a first track develops the idea of “cognitive labour” and stressed the diversity of the relational models by which communication makes it possible the gathering of individuals around a shared vision of the organization and work activity. This reflection leads to characterize communication as a productive activity of rules of use on the basis of an act collective. A second track examines the more general question of the place and the role of rules in the governance of corporate labour relations. The debates around the implicit and explicit dimensions and deviations between rules and its interpretation are recalled; similarly, the opposition between the public dimension rules in the heart of labour relations and the dimension private control and its application by the management. These reflections lead to propose a broader approach of communication considered an order relation vector in knowledge and learning mobilized in the work. The article briefly concludes the tensions raised by this form of communication between freedom of judgment and action and the constraints imposed on the organization and implementation of work activity levels.
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Quelle logique pour la complexité?
Yves Jamont JR Duplan
pp. 153–179
AbstractFR:
Nous qualifions d’orthodoxe tout type de logique qui repose entièrement sur l’axiomatique aristotélicienne, dite identitaire, et sur le principe de bivalence. Les logiques orthodoxes donnent lieu à un mode de raisonner analytique qui refuse la contradiction et dans lequel tout concept se distingue strictement et discrètement de tout autre concept.
Une manière de raisonner qui se veut une alternative à l’analytique est la dialectique. Celle-ci admet la contradiction comme principe fondamental. Dans le sillage de la dialectique, on trouve des systèmes logiques qui intègrent la contradiction, mais ont la particularité d’adopter le principe d’identité. Ce sont les logiques néo-orthodoxes formées de l’ensemble des logiques dites affaiblies, non triviales et paraconsistantes.
Eu égard aux phénomènes perçus complexes évoluant dans le temps et dans l’espace, nous remettons en question le caractère strictement absolu de l’identité et acceptons la contradiction comme forme particulière de la différenciation. Nous proposons trois principes de base pour établir une logique de la complexité : les principes d’idemité, de différentialité et de relationnalité. Ils n’excluent pas l’axiomatique aristotélicienne, mais reconnaissent sa pertinence seulement à un certain niveau d’abstraction. De plus, nous esquissons un modèle de différenciation des propositions ou énoncés en fonction de leurs valeurs de vérité.
EN:
We describe as orthodox all kinds of logic which absolutely are based on the Aristotelian axiomatics and the principle of bivalence. The orthodox logics give rise to a mode of reasoning which rejects contradiction and in which any concept is strictly and discretely distinguishable from any other concept.
A way of thinking presented as an alternative to analytics is dialectics. The latter admits contradiction as a fundamental principle. In line with dialectics, logical systems integrate contradiction. They are the neo-orthodox logics consisting of the set of non-trivial, weakened and paraconsistent logics.
With regard to phenomenon perceived as complex changing in time and space, we call into question the strictly absolute character of identity and accept contradiction. We propose three basic principles to establish the logic of complexity: the principles of sameness, differentiality, and relationality. They do not exclude the Aristotelian axiomatics, but only recognize its relevance at a certain level of abstraction. Furthermore, we sketch out a model of statement differentiation according to truth values.
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Vulgarisation scientifique, increasing knowledge gap et épistémologies de la communication
Bernard Ancori
pp. 181–232
AbstractFR:
Depuis sa naissance au XIXe siècle, la vocation affichée de la vulgarisation scientifique est de chercher à combler l’écart culturel entre « savants » et « ignorants » afin d’épauler une science longtemps considérée comme source de progrès de toutes natures. Au cours de la seconde partie du siècle suivant, elle se transforma en une médiatisation de masse, et elle se vit critiquée de toutes parts à partir du dernier quart du XXe siècle. L’une de ces critiques vise l’increasing knowledge gap qu’elle produit au sein de son public : son flux croissant d’information induit une appropriation différenciée au sein du système social, dont les parties dotées des statuts socioéconomiques plus élevés s’approprient cette information plus rapidement que celles qui ont des statuts plus bas, de sorte que le fossé entre les connaissances respectives des unes et des autres tend à s’accroître au lieu de diminuer.
Ce texte s’interroge sur le maintien paradoxal dans nos sociétés de dispositifs de vulgarisation scientifique dont l’increasing knowledge gap révèle cet effet pervers. Il montre que ce maintien tient à une forme de cécité épistémologique : contrairement à une opinion répandue, le modèle de communication pertinent pour penser la vulgarisation scientifique est celui proposé par Gregory Bateson, et non celui qui est issu des travaux de Claude Elwood Shannon. Nous présentons d’abord le modèle shannonien de la communication en tant que référent théorique du « modèle du déficit » qui inspire la vulgarisation scientifique, et nous soulignons sa totale inadaptation à la communication sociale. Nous résumons ensuite la conception batesonienne de la communication en la contrastant point par point avec le modèle précédent. Enfin, nous démontrons que, si l’increasing knowledge gap ne peut pas apparaître dans le cadre de la conception shannonienne de la communication, il s’explique en revanche très simplement dans le cadre de la conception batesonienne de celle-ci.
EN:
From its beginnings in the 19th century, the popularization of science (vulgarisation) has aimed to bridge the cultural gap between « scientists » and « the ignorant », in support of science long considered to be a source of all progress. During the second part of the 20th century, popularization of science became a mass media phenomenon, criticized from all sides in the last quarter of the century. One of these criticisms concerns the increasing knowledge gap within its audience : the growing flow of information induces differences in the appropriation of information within the social system. The audience of the highest socioeconomic levels is able to appropriate information more quickly than the lower one, so that the gap between their respective knowledge tends to grow rather than diminish.
This article addresses the paradox that our societies continue to adhere to the devices of popularization of science, although the increasing knowledge gap shows its pernicious effect. It argues that this persistence is due to a form of epistemological blindness : contrary to wide-spread opinion, the relevant model of communication required for analyzing popularization of science is that proposed by Gregory Bateson, rather than that put forth by Claude Elwood Shannon. First, I present the Shannon’s model of communication as the theoretical reference of the deficit model that inspired popularization of science. I stress that it is totally unsuited to explain social communication. Second, I summarize Bateson’s conception of communication, and contrast it point by point with the previous model. Finally, I argue that the increasing knowledge gap has no place in the framework of Shannon’s conception of communication, while it can be very simply explained by Bateson’s conception.
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L’émotion est ce qui nous relie. Éléments pour une approche relationnelle des phénomènes affectifs et des dynamiques socio-spatiales
Benoît Feildel
pp. 233–259
AbstractFR:
Cherchant à comprendre les mécanismes à l’origine du rapport affectif à l’espace, nous avons conçu et mis en oeuvre une enquête auprès d’habitants au sein de l’agglomération de Tours (France). Couplant récit et cartographie, l’enquête menée a permis de révéler l’importance de la dimension affective dans l’organisation spatiale des sociétés. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence comment les individus et les groupes sociaux, par le truchement de l’espace, gèrent la distance aux autres et à eux-mêmes, comment ils s’inscrivent et ils prennent place dans un réseau formé de lieux et de liens investis affectivement. Cependant, l’apport de cette recherche n’aura pas seulement été de contribuer à une critique du rationalisme et d’illustrer le poids des émotions dans les attitudes et les comportements des acteurs sociaux. La compréhension que nous avons tracée des phénomènes affectifs a également permis de révéler le caractère dynamique et complexe de l’évaluation des espaces, plaidant dès lors pour une approche attentive à la relation et à son évolution à travers le temps et les situations.
EN:
Seeking to understand the mechanisms of affective bonds to places, we have designed and implemented a survey of residents in the metropolitan area of Tours (France). Coupling narrative method and mapping, the investigation conducted has revealed the importance of the affective dimension in the spatial organization of societies. In that way, we have been able to show how individuals and social groups, through space, manage the distance to others and to themselves, how they operate and they take place in a network of sites and links emotionally invested. However, this research has not only contributed to a critique of rationalism and illustrated the weight of emotions in the attitudes and behaviors of social actors. The understanding that we have drawn of emotional phenomena has also revealed the dynamic and complex nature of space valuation, calling therefore a careful approach to relation and their changes over time and situations.
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Voisinage et injonction au vivre-ensemble : analyse relationnelle
Denis Martouzet
pp. 261–285
AbstractFR:
Cet article interroge la relation de voisinage à partir de l’analyse de la figure du voisin dans la culture populaire (dictons, littérature, bande dessinée…) : figure péjorative, elle est globalement contredite par les discours, beaucoup plus positifs, recueillis lors d’entretiens semi-directifs sur le rapport spatial et social à l’environnement de l’individu. Il en ressort que la relation de voisinage, en plus de la spatialité, a deux dimensions majeures : la temporalité et la potentialité. Le voisin, parce qu’il demeure à proximité, est potentiellement nuisible ou utile. Par cette simple potentialité, la relation de voisinage fait que l’individu n’est pas exactement ce qu’il est, il est aussi le résultat de la proximité du voisin et de la relation de voisinage en tant que triplet spatialité/temporalité/potentialité. L’article vise ainsi à proposer une définition du concept de relation.
EN:
This article questions the neighborhood relationship from the analysis of the figure of the neighbor in popular culture (sayings, literature, comic strip…). It is commonly considered as a pejorative figure, but this is globally contradicted by actual interviews (storytelling), much more positive, collected during semi-directive qualitative enquiries about spatial and social relationship to the environment of individuals. It emerges from it that the neighborhood relationship has three major dimensions: spatiality, temporality, and potentiality. By living nearby, the neighbor is potentially harmful or useful. By this simple potentiality, the neighborhood relationship makes the individual not exactly as he should be, as a result of the closeness of the neighbor, and the neighborhood relationship as a combination of spatiality/temporality/potentiality. The aim of this article is to propose a definition of the concept of relation.
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Au sein du foyer : une analyse relationnelle des interactions entre les membres d’une famille
Paul Jalbert
pp. 287–301
AbstractFR:
Le débat sur les théories de l’action et la modélisation relationnelle quant à sa capacité à comprendre les interactions entre individus est encore animé. Malgré les nombreux travaux scientifiques déjà réalisés qui démontrent que les théories de l’action ne sont pas de bons outils pour comprendre les interactions et que la modélisation relationnelle leur est supérieure, la notion d’un acteur intéressé guidé par son intention persiste. Cependant, la vérification en milieu naturel n’a pas encore eu lieu. Un travail de recherche a été effectué pour répondre à cette critique. Une saisie audiovisuelle a eu lieu auprès de cinq familles canadiennes au cours d’une semaine dans leur foyer. L’analyse de ces données montre que dans seulement 13,1 % des propos on a pu repérer une intention. Dans 9,3 % des propos, cette intention émerge de la dynamique en cours alors que dans seulement 3,8 % des propos observe-t-on que l’intention précède l’échange. Dans 2,3 % des propos, nous observons une non-intégration de l’information avec le discours qui a lieu et cette statistique diminue à 0,4 % des propos lorsqu’une nouvelle information entre en jeu. Ces résultats démontrent clairement que l’intention n’est pas le facteur absolu d’explication des interactions entre les membres d’une famille captées en milieu naturel, ce qui est conforme aux recherches antérieures.
EN:
The debate regarding the value of action theory and relational models for understanding human interaction still gives rise to heated debates. Although much rigorous scientific work has already been accomplished to debunk the idea that humans are interest driven individuals whose behaviours are the result of their intention, skepticism remains as to how well a relational model could effectively understand human behaviour in a real world setting. In order to answer this question, interactions between family members were recorded in their home over the course of a week. This presentation shared some of the findings and showed that, even in a real world setting, intention is not a determining factor when understanding interactions. Only in 13.1 % of cases were we able to find an intention as part of the interaction. In 9.3 % of the cases, intention emerges as a part of the dynamic that is taking place between family members and only 3.8% appear to be as a result of an intention that existed prior to the interaction. In 2.3 % of the cases, it appears that the intention does not integrate into the current interaction and only 0.4% of the cases demonstrate that the intention persists when new information is provided. These results clearly demonstrate that intention is not the dominant factor during interactions between family members in a real world setting and appears very consistent with prior research on the topic.
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Anthropocentrisme et sciences de l’humain
Simon Laflamme
pp. 303–321
AbstractFR:
Le postulat d’un acteur rationnel, autonome, conscient, intentionnel et intéressé a maintes fois été dénoncé, notamment par les approches relationnelles. Les critiques ont rappelé l’importance de l’inconscient et de l’émotion dans la psyché humaine, l’impossibilité de comprendre l’action humaine en dehors d’un rapport aux structures sociales, le caractère illégitime d’une subjectivité qui délibère de façon monadique. À elles seules, ces critiques auraient dû évacuer depuis longtemps l’axiomatique rationalisante. Pourtant, cette axiomatique ne perd rien de sa vigueur; elle continue à dominer les modélisations en sciences humaines. La question se pose de savoir comment elle fait pour s’éterniser. Il faut bien qu’elle justifie son existence.
Dans un travail récent, nous avons repéré sept manières par lesquelles les spécialistes des sciences humaines parviennent à légitimer cette axiomatique, qui est au mieux une demi-vérité (NPSS, 2015). Or, aucune de ces justifications ne représente réellement une réponse à la critique relationnelle. Et si l’on peut relever ces justifications et montrer qu’elles n’en sont pas réellement, c’est forcément qu’il y a quelque chose de sécurisant pour les spécialistes des sciences humaines à rester sourds à ces démonstrations.
Notre intention, dans ce texte, est de mettre en évidence cet aspect sécurisant des modélisations rationalisantes et ce qu’il y a de terrifiant dans les autres, qu’il s’agisse de celles qui n’ont pas d’acteur rationnel ou de celles qui ne se fondent pas sur l’acteur en lui-même. Nous montrons que les sciences humaines sont attachées à un anthropocentrisme qui nuit à leur aptitude à produire de l’abstraction, que cet anthropocentrisme est beaucoup plus un idéalisme que le résultat d’une analyse, ce qui accentue la difficulté à générer des abstractions opérationnalisables, et même à donner cours à un relationalisme empirique dans lequel les échanges ne seraient pas que les rapports entre les acteurs sociaux. Nous montrons en outre que l’anthropocentrisme agit comme obstacle au relationalisme dès lors que cette approche veut s’élever dans l’ordre de l’abstraction pour générer de la science de l’humain.
EN:
The premise that individuals act rationally, autonomously, consciously, intentionally, and in their own interest has been denounced umpteen times, especially in the relational approaches. These critiques have emphasized the following: importance of the unconscious mind and of emotion in the human psyche; the impossibility of comprehending human action without taking into consideration social structures; the illegitimacy of a subjectivity that deliberates in a monadic way. In and of themselves, these critiques should have evacuated a long time ago the rationalizing postulate. Yet, this postulate loses nothing of its force; it keeps dominating models in human studies. The question then arises of how it can perpetuate. It has to justify its existence.
In a recent work, we identified seven ways through which human studies specialists legitimate this postulate, which is, at best, a half-truth (NPSS, 2015). However, neither of these justifications really constitutes an answer to the relational critique. And if these justifications can be identified and proven as inadequate, it is necessarily because there is something comforting for specialists of human studies in ignoring these demonstrations.
Our intention, in this article, is to highlight that which is comforting in the rationalizing modelizations as well as that which is terrifying in others, whether they do not contain a rational actor or they do not rely on an actor per se. We intend to show that human studies are attached to an anthropocentrism which undermines their ability to produce abstractions; that this anthropocentrism is more an idealism than the result of an analysis, which exacerbates the difficulty to generate operationalizable abstractions, and even to perform an empirical relationalism in which exchanges would not only be the relationships between social actors. We furthermore intend to show that anthropocentrism represents an obstacle to relationalism when this approach wants elevate in the abstraction sphere to generate some science aiming to understand human being.
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De l’intérêt d’une approche relationnelle dans la modélisation des systèmes complexes
Claude Vautier
pp. 323–350
AbstractFR:
La sociologie, depuis son origine, s’est constituée sur quelques postulats qui furent des sources de querelles interminables et constituent aujourd’hui des limites à son développement. Le premier était que l’étude d’une société devait se faire, soit en étudiant le social comme source des situations individuelles (holisme méthodologique), soit en étudiant, au contraire, les individus, leurs caractéristiques, leurs choix et actions, pour rendre compte des caractéristiques observables de la société (individualisme méthodologique). Un autre postulat était que l’analyse scientifique supposait que soit banni tout hasard, toute imprévisibilité dans les mouvements de la société, le contraire impliquant que l’on ne puisse ni comprendre, ni se projeter dans le futur sociétal. Les développements contemporains de la sociologie rompent au moins partiellement avec ces positions. Les chercheurs en sciences humaines et sociales essaient de conjoindre les deux approches initiales (holisme et individualisme). Certains essaient aussi d’introduire la (ou les) temporalité(s) dans l’analyse afin de rendre compte de l’incontournable historicité des hommes et de leurs sociétés. Ce texte vise à proposer une approche « relationnelle » de la sociologie, permettant de conjoindre holisme et individualisme dans des modèles historicisés des systèmes complexes que sont les systèmes sociaux. Il insiste sur l’intérêt, voire la nécessité d’une modélisation relationnelle trialectique pour étudier les systèmes complexes.
EN:
The foundation of sociology rests on postulates which have, historically, been the source of endless quarrels and which have come to constitute limits to the very development of the discipline. The first of these postulates is that human societies are to be studied, to be understood, as either the result of individual situations (methodological holism) or, to the contrary, as that of individuals’ characteristics, choices and actions (methodological individualism). The second premise is that scientific analysis must be devoid of all randomness and unpredictability in the movements that occur within society in order to be able to understand and project ourselves into the future. Contemporary developments in sociology abandon, at least partially, these positions. Many researchers in social sciences adopt a joint methodology (holism and individualism). Some also attempt to introduce temporality (or temporalities) in the analysis in order to account for the inevitable historicity of humankind. This paper aims to offer a “relational” sociological approach, which combines holism and individualism within the historicized models of complex systems that are social systems. It stresses the interest, or better, the necessity of a trialectical relational model for the study of complex systems.
Comptes rendus de lecture
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Le changement personnel : histoire, mythes, réalités,Nicolas Marquis (dir.), Auxerre, Éditions Sciences humaines, 2015
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Maurice Blondel (1861-1949). Un sociologue arraché à l’oubli, Adrien Diakiodi, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2015
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La Maison du Sociologue. Projet de théorie sociologique générale, Guy Bajoit, Louvain La Neuve, Academia-L’Harmattan, 2015