Volume 5, Number 2, mai 2010 Sur le thème de la simulation
Table of contents (13 articles)
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Les sciences sociales et la simulation
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Les simulations computationnelles dans les sciences sociales
Franck Varenne
pp. 17–49
AbstractFR:
Les sciences sociales entrent résolument – quoique partiellement – dans l’ère computationnelle. Ce constat n’a pas encore de sens précis si on ne l’accompagne d’une analyse discriminante des fonctions épistémiques de la computation dans les différents recours aux ordinateurs pour la modélisation et la simulation en sciences sociales. De par l’introduction de ces nouvelles manières de formaliser (séduisantes car apparaissant comme plus directes et plus ergonomiques), la double question du réalisme des formalismes et de la valeur de preuve des traitements computationnels se pose à nouveaux frais. Cette expansion tous azimuts des simulations computationnelles conduit certains observateurs enthousiastes à penser que l’on a là un nouveau fondement commun pour toutes les sciences sociales. En clarifiant et en distinguant certains des usages épistémiques de différentes simulations computationnelles dans les sciences sociales, cet article montre cependant qu’il vaut mieux s’en tenir à une position médiane et soutenir que l’apport en est principalement méthodologique.
EN:
Since the 1990’s, social sciences are living their computational turn. This paper aims to clarify the epistemological meaning of this turn. To do this, we have to discriminate between different epistemic functions of computation among the diverse uses of computers for modeling and simulating in the social sciences. Because of the introduction of a new – and often more user-friendly – way of formalizing and computing, the question of realism of formalisms and of proof value of computational treatments reemerges. Facing the spreading of computational simulations in all disciplines, some enthusiastic observers are claiming that we are entering a new era of unity for social sciences. Finally, the article shows that the conceptual and epistemological distinctions presented in the first sections lead to a more mitigated position: the transdisciplinary computational turn is a great one, but it is of a methodological nature.
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La simulation : des déplacements de notre épistémologie
Pierre Livet
pp. 51–57
AbstractFR:
En sciences sociales, seules des simulations peuvent nous donner une idée de la manière dont des formes collectives résultent d’interactions complexes. Mais plus elles sont complexes – en particulier en intégrant les effets des représentations des formes collectives par les acteurs – plus les simulations peuvent diverger, d’où une indétermination. Or nous sommes plus sensibles à ce qui est pour nous reconnaissable (formes plus stables, mieux différenciées). Combiner ces deux tendances nous amène à privilégier non pas une correspondance avec une réalité elle aussi complexe, mais la capacité des simulations à permettre entre elles des comparaisons qui puissent nous offrir des moyens de les critiquer les unes par les autres. Nous conservons à l’esprit, en parallèle, les scénarios divergents qui restent les plus différentiables tout en restant attentif à des divergences d’abord négligées.
EN:
In social sciences, we need simulations in order to know how collective forms can result from complex interactions. The more complex they are – for example when integrating the effect of actors’ representations of collective forms on collective phenomena- the more divergent they can be, leading to indeterminacy. Moreover we are more sensitive to more stable, more differentiated forms, the recognition of which is easier. Combining these two trends leads us to substitute to the ideal of correspondence with social reality the comparability of simulations, in order to get means of criticizing and revising one simulation by the others. We keep in mind together the divergent scenarios that are the easier ones to be distinguished while paying attention to possible divergences that were neglected at first.
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Simulation informatisée en humanités et sciences sociales
Enrico Scalas
pp. 59–67
AbstractFR:
Ce texte court sur les simulations dans les sciences humaines et sociales est consacré aux simulations multi-agents. Les ingrédients d’une simulation multi-agents sont essentiellement au nombre de deux : agents et interactions. Les Agents avec leurs propriétés interagissent entre eux et les interactions peuvent être soit directes soit indirectes. Par analogie avec les systèmes physiques, la pertinence de l’équilibre statistique en économie peut être aussi analysée.
EN:
This short text on computer simulations in humanities and the social sciences is devoted to agent-based simulations. The ingredients of an agent-based simulation are essentially two: agents and interactions. Agents with their own properties interact among them and interactions may be indirect or direct. As a consequence of an analogy with physical systems, the relevance of statistical equilibrium in economics is also discussed.
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Construire des sociétés artificielles pour comprendre les phénomènes sociaux réels
Frédéric Amblard
pp. 69–77
AbstractFR:
Nous présentons ici rapidement l’approche de modélisation et de simulation multi-agent, ses principales caractéristiques ainsi que son intérêt pour les sciences sociales. En particulier, nous insistons sur la proximité de cette formalisation avec des cadres de pensées classiques en sciences sociales comme l’individualisme méthodologique et nous proposons un usage possible de cette approche comme outil permettant de formaliser et d’interroger les représentations des systèmes sociaux par le scientifique en sciences sociales.
EN:
We briefly summarize the agent-based modeling and simulation approach, its main characteristics as well as the interest for the social sciences. In particular, we insist on the proximity between such a formalization and some classical frameworks in the social sciences like the methodological individualism. We then propose a use of the agent-based approach as a tool enabling to formalize and investigate the representations of the social systems by the social scientist.
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Et si la coopération était un mythe? Un pilier des sciences sociales ébranlé par la simulation
Jean-Louis Dessalles
pp. 79–89
AbstractFR:
De nombreux auteurs voient dans la coopération le ciment des sociétés humaines. Plus que les autres animaux, les humains seraient capables de renoncer à des bénéfices immédiats pour en faire profiter autrui, dans l’espoir d’une réciprocité future. Or, cette hypothèse est mise à mal par la simulation : les agents qui ne coopèrent pas, ou qui coopèrent moins, en ressortent gagnants. J’explore une autre hypothèse, inspirée par la modélisation du langage. Les actes qui nous semblent coopératifs seraient en réalité des signaux. Les individus ne se montrent pas prosociaux par calcul, mais pour afficher des qualités qui se trouvent être essentielles, dans notre espèce, pour se faire accepter en tant qu’ami et ainsi constituer un réseau social.
EN:
Many authors consider cooperation as a binding force holding human society together. More than other animals, human beings would be able to abandon immediate benefits to others, in the hope of future reciprocity. This hypothesis is, however, refuted by simulation: less cooperative agents always prevail eventually. I consider an alternative hypothesis, inspired by the study and modelling of natural language. Seemingly cooperative acts would rather be signals. Showing prosocial attitudes is a way to advertise qualities that are crucial, in our species, to attract friends and thus build up one’s social network.
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La simulation à base d’agents en sciences sociales : une « béquille pour l’esprit humain »?
Arnaud Banos
pp. 91–100
AbstractFR:
L’un des intérêts de la simulation informatique est de nous permettre d’explorer et d’essayer ainsi de comprendre des phénomènes contre intuitifs. Ce faisant, elle comporte aussi des dangers que le modélisateurs/simulateur doit savoir maîtriser. Le propos de ce court texte est de montrer que danger et enrichissement de la recherche vont de pair dans l’exercice de simulation. Ainsi, l’utilisation d’un appareillage formalisé est tout autant de nature à appauvrir qu’à enrichir notre tentative de compréhension des phénomènes sociaux. Le modèle de simulation joue alors un rôle heuristique très utile pour susciter de la complexité (enrichissement de notre vision) à partir de la simplicité (pauvreté du modèle). La souplesse du modèle et de son utilisation, permettant de refaire plusieurs fois l’expérience, de varier les angles d’approche, d’ajouter ou retrancher des paramètres donne au chercheur une grande capacité à maîtriser la complexité qu’il est alors capable d’instiller dans son investigation.
EN:
Computer-assisted simulation allows us to explore and better understand phenomena which may at first appear counterintuitive. It also, however, entails certain risks which the modelization/simulation specialist must compose with. The object of this paper is to show that when it comes to simulation, dangers and virtues cannot be dissociated. Thus the use of a formalized model is as likely to empoverish as it is to enrich our understanding of social phenomena; the formalized model therefore plays a very important heuristic role in extracting complexity (enriching our vision) from simplicity (poorness of the model). The flexibility of the model as well as that of its use allowing to repeat the experience whilst varying the angles of approach and adding or modifying certain parameters of the experience, the researcher is given great opportunity to master the complexity which she/he may then instill in her/his investigation.
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Pourquoi un cadre ontologique pour la modélisation multi-agents en sciences humaines et sociales?
Denis Phan
pp. 101–133
AbstractFR:
En philosophie, l’ontologie est « la science de ce qui est, des types et structures des objets, propriétés, évènements, processus et relations »; En informatique et management des connaissances, une « ontologie » est la spécification de la conceptualisation d’un domaine de connaissance. Pour la simulation multi-agents, le domaine concerne les modèles et non les « données ». Pour répondre à la question « Pourquoi un cadre ontologique pour la modélisation multi-agents en sciences humaines et sociales? », cet article aborde d’abord trois dimensions: (1) ingénierie des modèles (2) aspects thématiques (disciplinaires) et épistémologiques (3) comparaison et évaluation de modèle (test ontologique). À la différence de nombreuses ontologies, cet article ne propose pas une unique représentation d’un domaine de connaissance, mais le maintien d’une possible pluralité, basée sur le concept de « cadre de connaissance », conçu pour permettre d’intégrer une pluralité de « point de vue » dans un cadre général qui nous permet de comparer et/ou combiner différents points de vue qui coexistent en sciences sociales. La dernière partie présente ainsi quelques exemples de points de vue ontologiques qui peuvent être dérivés à partir du modèle de ségrégation résidentielle introduit par Schelling.
EN:
From Philosophy, ontology is “the science of what is, of the kinds and structures of objects, properties, events, processes and relations”. In computer sciences and knowledge management an “ontology” is a specification of a conceptualization of a given knowledge domain. For multi-agent simulation, the domain is models rather than data. To answer the question “Why an ontological framework for the multi-agent modelling in the Social Sciences?”, this paper deals first with three dimensions: (1) model engineering, (2) thematical and epistemological issues and (3) model assessment and comparisons (ontological test). Contrary to several ontologies, this paper does not propose a single representation of the knowledge domain, but a possible plurality, based on the concept of “knowledge framework” building to integrate the plurality of “point of view” co-existing in the Social Sciences within a general framework. Accordingly, the last part presents some examples of ontological points of view on a model of residential segregation derived from the Schelling’s one.
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Modèles formels pour la reproduction des simulations à base d’agents
Christophe Sibertin-Blanc
pp. 135–149
AbstractFR:
Du fait de la dimension expérimentale des résultats obtenus par simulation informatique, la validation de ces résultats nécessite qu’ils puissent être reproduits. Cela suppose que le dispositif concret à partir desquels ils sont obtenus, à savoir le logiciel dont les exécutions fournissent les sorties qui sont observées, puisse donner lieu à de nouvelles implantations. Bien qu’elle soit indispensable à maints égards, il s’avère que cette “réplication” des modèles de simulation est le plus souvent problématique; cet article propose de présenter ces modèles sous la forme de systèmes afin d’en faciliter de nouvelles implantations.
EN:
Since the results obtained by means of computer-based simulations have an experimental character, their validation requests their reproduction. These results are obtained by observing the outputs of the runs of a software entity, which is the concrete device of the experimentation; thus, it is this software simulation model that must support a new implementation. Although the replication of a model brings many advantages, in many cases it is problematic. This paper proposes to present simulation models as systems, to ease their replication.
Articles hors thème
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Les villes comme agents : simulation des futurs possibles du système urbain européen
Lena Sanders
pp. 153–180
AbstractFR:
L’approche systémique pour modéliser la dynamique des systèmes de villes est ancienne. Le concept d’auto-organisation et le formalisme des équations différentielles ont donné lieu à de nombreuses applications dans les années 1980. La simulation agent ouvre de nouvelles perspectives dans ce champ. L’objectif de cet article est d’abord de discuter des registres et du niveau d’explication qui sont mobilisés pour rendre compte des différentiels de croissance des villes. Il s’agit ensuite de montrer l’intérêt d’une approche agent pour formaliser des hypothèses au niveau méso-géographique des villes. Après un bref état de l’art sur le concept de systèmes de villes et les modèles spatio-temporels associés, le modèle EuroSim formalisé avec un système multi-agents est présenté. Celui-ci permet de simuler l’évolution des villes européennes entre 1950 et 2050 en testant différents scénarios relatifs à l’ouverture des frontières vers l’immigration non européenne et à l’existence ou non de barrières économiques internes.
EN:
The systemic approach has long since been used for modelling the dynamics of systems of cities. Self-organization principles and differential equations have been broadly applied in the 1980’s. Agent-based models open new ways for simulating cities’ evolution. This paper discusses different registers and levels of explanation when it comes to cities’ growth rates differences. It also shows the interest of the agent approach for formalizing hypotheses at the meso-geographical level of cities. A short state of the art on the concept of system of cities and on the associated spatio-temporal models is given. The EuroSim model, developed with a multi-agent system, is presented. The evolution of European cities is simulated between 1950 and 2050 giving different scenarios on the opening of European borders to outside immigration and on the existence of internal economical barriers.
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Aide à la décision multicritère : cohérence et équité grâce à l’analyse de concepts
Mireille Ducassé and Sébastien Ferré
pp. 181–196
AbstractFR:
De nombreuses décisions sont prises en commission, par exemple pour affecter des ressources. Les critères de décision sont difficiles à exprimer et la situation globale est en général trop complexe pour que les participants puissent l’appréhender pleinement. Dans cet article, nous décrivons un processus de décision pour la sélection de candidats à un emploi. L’analyse de concepts y est utilisée pour faire face aux problèmes mentionnés ci-dessus. Grâce à l’analyse formelle de concepts et aux systèmes d’information logiques, les personnes fair play ont la possibilité d’être équitables envers les candidats et de faire preuve de cohérence dans leurs jugements sur toute la durée du processus de décision.
EN:
Many decisions are taken by committees, for example in order to allocate resources. The decision criteria are difficult to express and the global situation is in general too complex for the participants to grasp it fully. In this article, we describe a decision process for the selection of job applicants where concept analysis is used to address these problems. Thanks to formal concept analysis and logical information systems, fair play people have the possibility to be fair to the applicants and to be consistent in their judgments across the whole decision process.
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Ségrégation et cognition spatiale
Aurélien Décamps, Nathalie Gaussier, Philippe Laroque and Philippe Gaussier
pp. 197–226
AbstractFR:
En prenant appui sur les modèles traditionnels de la ségrégation et sur l’analyse des déterminants de la ségrégation spatiale, cet article éclaire le rôle de la cognition spatiale dans l’émergence de configurations ségrégées. À partir d’une simulation multi-agents (SMA) fonctionnant sur la base d’agents cognitifs, c’est-à-dire capables de se construire, en fonction de leur rayon de vision, une carte cognitive de leur environnement, des séquences de découverte et d’apprentissage des lieux et des liens entre eux, les agents développent des comportements spatiaux qui conduisent à des situations identifiées dans la littérature comme des situations de ségrégation subie ou choisie. Une discussion sur le calibrage et l’identification de ces formes ségrégées souligne l’importance de l’espace dans l’étude des dynamiques individuelles et collectives.
EN:
Considering traditional models of segregation and the analysis of the determinants of spatial segregation, the paper emphasizes and explains the role of spatial cognition in segregation emergence. We use a MAS based on cognitive agents who are able to build a cognitive map of their environment, depending on their range of vision, as they explore, discover and learn places of their environment. The agents develop spatial behaviours that create situations identified in the literature as “chosen segregation” or “involuntary segregation”. We discuss the specification of the model and the segregated configurations that emerge. These configurations underlie the importance of space on the analysis of individual and collective dynamics.
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L’historien et ses modèles
Christian Stein
pp. 227–279
AbstractFR:
Parler des modèles en histoire est une affaire délicate, car le mot recouvre des pratiques historiennes différentes depuis son apparition dans la discipline, après la dernière guerre mondiale. Pour une minorité d’historiens surtout spécialisés en histoire économique, il correspond à une vision nouvelle de la discipline qui tenterait d’intégrer certaines démarches mathématiques, en particulier aujourd’hui la théorie des jeux. Pour d’autres, en revanche, parler de modèles relèverait surtout d’une évolution du vocabulaire, sans impliquer de véritable mutation disciplinaire. Les historiens construisent et utilisent surtout des modèles explicatifs, voire palliatifs quand ils ont de trop grandes difficultés avec leurs sources, afin de présenter leurs travaux et de permettre des comparaisons. Il en découle un certain nombre de situations dans lesquelles les historiens ont du mal à garder le contrôle des modèles qu’ils utilisent, ce qui affaiblit leurs résultats : ils sont parfois prisonniers de leurs modèles, dont le rapport à la réalité est parfois problématique, confondent parfois comparatisme et transposition des modèles, voire se font piéger par des modèles discrets, qu’ils utilisent sans s’en rendre vraiment compte.
EN:
Speaking of models in history is a delicate matter. Since its emergence at the time of World War II in the area of our academic studies, the word covers different ways of thinking the historical method and practice. A minority of historians, mostly in the field of economic history, take models as new tools establishing a link with mathematics, and especially today, with game theory. On the other hand, all of this is mostly a question of semantic change for most of them, and does not mean anything deeper. Historians create and use models basically to explain their works and to establish comparisons. In some cases though they might be taken hostage by their own models, by misusing models designed for other purpose or by using them without knowledge.