Abstracts
Résumé
Le présent article présente les résultats d’une analyse documentaire des rapports d’activités de deux cents groupes communautaires oeuvrant en santé et services sociaux financés par le Programme de soutien aux organismes communautaires. L’analyse critique porte sur le processus de reddition de comptes des groupes communautaires et la manière dont les organismes rendent compte de leurs actions dans leur rapport, à partir des critères déterminés par le cadre de référence et comment ils arrivent à travers ce processus à mettre en évidence leurs contributions et spécificités. De cet examen se dégage une analyse des discours et des enjeux d’autonomie de l’action communautaire.
Mots-clés :
- action communautaire autonome,
- organisme communautaire,
- reddition de comptes,
- autonomie,
- PSOC
Abstract
This paper aims to present the results of an evaluative research of activity reports of two hundred community groups working in health and social services funded by the Programme de soutien aux organismes communautaires. The assessment takes a critical look at the accountability process of community groups’ accounts. In other words, how these actors report their actions in their report, perceive the process and its challenges from the determined criteria of the Agency, and the possibility, through this process, to highlight their contributions and specificities. Typologies of actions and speeches lead us to a reflexion for a better recognition of the independent nature of Community action.
Keywords:
- independent community action,
- community organization,
- accountability,
- social policy,
- evaluative research,
- PSOC
Article body
Depuis la reconfiguration de l’administration publique amorcée par l’application de la nouvelle gestion publique (NGP) à la fin des années 1980, les organismes communautaires autonomes (OCA) sont soumis à des exigences en ce qui concerne la reddition de comptes, et ce mouvement s’est intensifié dans la dernière décennie. Imposée comme nouveau mode de gestion, la NGP a pour principal objectif la performance et l’efficience dans le fonctionnement des institutions (Rouillard et al., 2004). Cette logique, d’abord présente dans le secteur public, a eu pour but de réduire les coûts de système, considérés comme trop importants. Dit autrement, la reddition de comptes s’avère le moyen privilégié par l’État pour justifier le financement et contrôler l’action publique. Sur le plan opérationnel, elle se traduit par l’application de mesures de gestion calquées du secteur privé, le mot d’ordre étant la reddition de comptes au moyen d’atteinte de résultats ciblés (Pollitt, 2006). L’application de la NGP se traduit donc par l’instauration de systèmes de contrôle qui façonnent les pratiques peu importe le secteur où elle est appliquée. En effet, l’obligation de rendre quantitativement des comptes sur chacune des actions posées donne de nouvelles modalités aux pratiques et en affecte l’orientation et l’autonomie (Grenier et Bourque, 2014 ; Maroy et al., 2014) des organisations.
Cet article vise à mieux saisir le contexte et les enjeux de la reddition de comptes depuis l’entrée en vigueur de la loi 120 et ses impacts sur la capacité des organismes communautaires autonomes en santé et services sociaux à témoigner de la spécificité de l’action communautaire autonome (ACA) ; reposant sur un ensemble de fondements négociés et reconnus par la politique de reconnaissance de l’action communautaire autonome (ACA), dont le respect de l’autonomie des organismes.
Plus spécifiquement, l’article expose des éléments de résultats d’une recherche qualitative réalisée entre 2013 et 2015 portant sur l’analyse documentaire de 200 rapports d’activité et sur l’analyse du discours d’intervenants entourant les enjeux liés au processus de reddition de comptes des organismes communautaires en santé et services sociaux. De cette analyse se dégagent des discours types et des postures qui évoquent, de manière différenciée, l’enjeu de l’autonomie des organismes communautaires en santé et services sociaux. La première partie discute de quelques repères historiques de l’ACA permettant de saisir les enjeux au regard de l’autonomie dans le contexte actuel de la NGP. La seconde partie présente brièvement le cadre méthodologique privilégié. En troisième partie, des éléments de résultats sont discutés en deux volets soit 1) la synthèse des groupes de discussion mettant en évidence le point de vue des organismes sur ce processus et ses enjeux sur le plan de l’autonomie, et 2) la typologie des rapports et discours types. Le troisième point met en discussion ces résultats en réflexion avec le concept d’autonomie. La conclusion revient sur les constats généraux de cette recherche en ce qui a trait au rapport entre les OCA et l’État québécois.
organisme communautaire, autonomie et NGP
Quelques repères historiques
L’histoire du mouvement communautaire autonome est marquée par des décennies de générations qui tracent l’évolution des rapports que les organismes communautaires entretiennent avec l’État, de son émergence dans les années 1960 jusqu’à aujourd’hui. C’est vers les années 1980 que les organismes communautaires ont massivement investi le secteur de la santé et des services sociaux avec la mise en place de multiples organismes, désireux d’intervenir sur un ensemble de problématiques sociales (santé mentale, hébergement, garderie, éducation, violence conjugale, etc.), permettant de répondre à la crise sociale et la crise des services publics. C’est toutefois l’avènement du projet de loi 120 sur la réforme de la santé et des services sociaux en 1991 qui a plus spécifiquement fourni un contexte qui a contribué à reconfigurer la place et le rôle des organismes communautaires au plan régional, époque à laquelle les organismes se sont regroupés au sein de Tables régionales des organismes communautaires en santé et services sociaux, devenant les interlocutrices privilégiées face aux Régies régionales devenues par la suite les Agences de santé et de services sociaux. Ces années marquent le début d’un mouvement d’institutionnalisation de l’action communautaire poursuivi dans la décennie suivante avec la mise en place du Secrétariat à l’action communautaire (SAC) et l’adoption d’une politique de reconnaissance de l’action communautaire qui définit le caractère autonome du mouvement.
Autonomie et organisme communautaire
La notion d’autonomie est un terme polysémique et prend un sens distinctif selon le contexte. Dans la situation en présence, celle des organismes communautaires autonomes, le concept se rapproche de la notion d’indépendance et de liberté (Chauffaut et al., 2003), par rapport à ses choix et à ses actions, en fonction de ses croyances et de ses valeurs (Pudal, s.d.). Le principe d’autonomie réfère à la détermination du mouvement communautaire à préserver son autonomie et pouvoir d’initiative par rapport à ses bailleurs de fonds et par rapport à l’État. Ce principe confère aux organismes la liberté de ses orientations, ses politiques, ses approches (LRQ, chapitre S- 4.2 a, 334, 335 cité par MESS, 2001, p.17), lesquelles résultent d’un processus collectif de la détermination des besoins d’une communauté, et de leur mise en oeuvre par les moyens les plus appropriés (MESS 2001). Cette autonomie tant revendiquée se construit dans des rapports de pouvoirs et doit souvent être défendue face à des logiques autres (Pudal, s.d.). Selon Fontaine (2013), l’autonomie constitue un enjeu majeur pour les organismes communautaires autonomes au Québec. Cet enjeu n’est pas réellement nouveau, mais la singularité du contexte s’ajoute au fardeau actuel des OCA. En effet, la nouvelle gestion publique a des conséquences majeures sur l’organisation des services sociaux et de la santé au Québec et compromet « les conditions d’exercice de l’autonomie associative au sein des organismes communautaires » (Fontaine, 2013, p. 213) en réduisant de plus en plus leur marge de manoeuvre.
Action communautaire, NGP et reddition de comptes, des logiques incompatibles
Tout comme l’administration publique et le secteur parapublic, l’ACA s’est vue imposer de nouvelles méthodes de gestion issues du secteur privé (Fontan et Lachance 2005 ; Bellot et al., 2013 ; Jetté, 2008 ; Grenier et Bourque, 2014) dont les principes sont fondés sur la gestion par résultats, la performance mesurable, les méthodes quantitatives, le rôle prédominant des experts, une hiérarchie des types de savoirs (entre chercheurs et praticiens). Cette approche a pour effet de transformer les processus d’intervention sociale et participe à la technicisation des modes d’intervention. Elle place en compétition les acteurs et les pratiques au moyen de l’évaluation essentiellement quantitative qui ne vise qu’à rendre compte de la performance, de l’efficience et de l’efficacité (Martuccelli, 2010). Conséquemment, le processus d’évaluation se voit dès lors réduit à la seule fonction de reddition de comptes et de rentabilité (Bentayeb et Goyette, 2013 ; Zuniga, 1994). On constate ainsi que le paradigme évaluatif dominant qui inscrit dans la logique managériale technocratique actuelle est difficilement compatible avec la logique de l’innovation sociale inhérente à l’action communautaire (Fontan et Lachance, 2005 ; Zuniga, 1994). La nature complexe du développement des pratiques est fondée sur la marge de manoeuvre, la souplesse et l’adaptabilité qui devraient avoir leur vis-à-vis dans le processus de reddition de comptes.
Dans le secteur de l’ACA, c’est par le biais des rapports d’activités et financiers que les organismes ont l’obligation de rendre des comptes. Ceux-ci s’avèrent révélateurs des enjeux entourant leurs spécificités, leur autonomie, leur capacité de démontrer cette spécificité dans le cadre d’une logique managériale.
Aspects mÉthodologiques, procÉdure d’analyse et rÉsultats
L’analyse de contenu et l’analyse de discours sont les principales méthodes utilisées pour cette étude qualitative et évaluative. C’est au moyen du logiciel d’analyse NVIVO qu’ont été analysés plus de 200 rapports regroupés en 16 secteurs d’activités. Les catégories analytiques ont d’abord été élaborées sur la base des critères définis par le cadre de référence de l’action communautaire et celui du cadre normatif de reddition de comptes du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC). Ensuite, les catégories ont été soumises aux acteurs puis bonifiées à partir de leur propre interprétation des critères et du sens qu’ils donnent à leurs actions. Ces critères pour définir et baliser leurs activités ont ensuite servi de base pour catégoriser les activités. Ensuite, nous avons utilisé la typologie de Savard et Proulx (2005) sur les rapports entre l’État est les organismes communautaires comme point de départ pour catégoriser les discours. Puis nous avons laissé place aux catégories émergentes du discours des organismes, ce qui a permis d’élargir la typologie. Suite à l’analyse des 200 rapports, nous avons ensuite réalisé 8 groupes de discussion auxquels ont participé des représentants et représentantes de 40 organismes provenant des divers secteurs d’activités et territoires d’action. Les groupes de discussion ont permis d’avoir accès au sens que donnent les acteurs à leurs actions et à leur interprétation des enjeux discutés suite à l’analyse des rapports. L’analyse des discours a été traitée selon la méthode d’analyse de contenu classique à partir de l’écoute de l’entretien par l’équipe de recherche et du verbatim (Paillé et Muchielli, 2013). Des thèmes d’étude ont été élaborés séparément des catégories d’analyse issues des rapports et des catégories émergentes des entrevues de groupe.
PrÉsentation des rÉsultats
Le point de vue des acteurs
L’analyse des groupes de discussion a permis de dégager des enjeux transversaux et spécifiques à la production des rapports dans le cadre du processus de reddition de comptes. Ces enjeux émergent également de l’analyse de contenu des rapports. Les dimensions discutées aux fins de cet article réfèrent au rôle, à la valorisation et la spécificité de l’ACA, au mode de financement et procédures de reddition de comptes et enfin à l’autonomie des organismes communautaires dans leurs rapports à l’État.
Rôle valorisation et spécificité de l’ACA
Selon les acteurs, la transformation récente des services publics tend à faire de l’ACA, un prolongement des services étatiques. Ce phénomène dilue de plus en plus la spécificité de l’ACA. Cette subordination à l’État tend à professionnaliser l’action et conséquemment à provoquer la perte de l’identité des organismes communautaires. Plusieurs affirment d’ailleurs avoir l’impression de devenir une extension des services : « […] impression d’être un mini CLSC — nous avons nos propres couleurs et nos propres revendications. Ils veulent que ce soit tout le monde pareil […] une extension des services de l’État. »
Mode de financement et reddition de comptes
De la même manière, les tensions entourant les modes de financement et de reddition de comptes représentent une préoccupation qui touche l’ensemble des organismes. Le financement à la mission constitue un enjeu considérable pour des organismes qui n’ont pas de fonds pour constituer une relève qui ait des conditions de travail acceptables. Selon plusieurs, on en demande plus sans que le financement soit au rendez-vous. Si certains ont l’impression d’être une extension des services de l’État, plusieurs affirment que le réseau de la santé et des services sociaux leur renvoie la population qu’il ne peut recevoir, ce qui contraint leurs possibilités d’actions. En effet, les problématiques s’alourdissent et l’appauvrissement des personnes apporte une pression aux organismes face à la réponse aux besoins des communautés. Ils n’ont d’autre choix que de pallier sans en avoir les moyens. Dans ce contexte, la reddition de comptes telle que définie par les institutions étatiques devient un fardeau qui éloigne les organismes de leur mission, soit la définition d’un projet de société où la justice sociale et la démocratie sont au coeur de l’action communautaire autonome. Par ailleurs, la part de financement qui soutient des aspects autres que la mission diminue les marges de manoeuvre nécessaires à leur autonomie puisqu’elle est soumise à de plus importantes contraintes. Par ailleurs, l’insistance donnée à l’aspect quantitatif de la reddition de comptes ne permet pas de rendre compte de la nature même de leurs actions. Pour les organismes, les indicateurs, essentiellement quantitatifs, ne permettent pas de rendre de compte de l’action de manière exhaustive, incluant la mobilisation des milieux et les trajectoires des personnes. Certains revendiquent même la formulation de nouveaux indicateurs mieux adaptés à l’ACA. De plus, la contradiction entre la reddition de comptes et la possibilité de rendre adéquatement compte des actions de l’organisme communautaire, de manière qualitative, met les organismes sous tension. Enfin, il faut mentionner le fait que plusieurs organismes ont souligné qu’ils doivent répondre aux exigences de plusieurs bailleurs de fonds ayant chacun leurs propres critères en termes de reddition de comptes, ce qui nuit à construire le sens et la cohérence de l’action et empêche encore plus de la rendre visible et explicite.
L’analyse des rapports et les groupes de discussion permettent de dégager une typologie des discours qualifiant la reddition de comptes dans le cadre de l’ACA.
Typologie des rapports : discours types, posture et orientations
Cette section propose une typologie des rapports d’activités par idéal type selon les types de discours. Elle tente d’analyser les principaux éléments expliquant le rapport entre les organismes communautaires, l’État et la reddition de comptes qui sont au coeur de l’enjeu d’autonomie.
Posture, orientations et discours : les tendances fortes
Le rapport entre les organismes communautaires et l’État constitue une dimension importante dans le contexte de la reddition de comptes. Cette dynamique a évolué depuis les années 1970, marquées par les nombreuses réformes du réseau de la santé et des services sociaux. Entre autres, le projet de loi 120 a contribué à transformer cette dynamique ; certains parleront d’une « étape charnière » (Duval, M. et al., 2005, p. 17) en raison de la place octroyée et la reconnaissance accordée aux OC transformant du coup ce rapport de manière importante. Avec cette loi, les OC obtiennent une reconnaissance de leur travail et de leur engagement avec un financement accru par le gouvernement. Certains démontrent qu’on ne peut parler d’une reconnaissance complète et entière des organismes communautaires. La relation avec les établissements publics s’inscrirait davantage dans une dynamique de coexistence, une relation de collaboration, sans que cette relation soit contraignante ou encourageante dans la contribution des organismes communautaires. (Savard et Proulx, 2012, p. 27). Plus récemment, le repositionnement de l’État dans sa réforme managériale du réseau public — avec sa loi sur l’administration publique adoptée en 2000 — a eu des conséquences directes sur la société civile, dont les citoyens, les municipalités et les organismes communautaires (Duval, et al., 2005). Cette réorganisation administrative de l’État, au-delà de la recherche d’efficience dans la prestation des services, signifie ni plus ni moins une « redéfinition de la capacité d’intervention et de régulation de l’État québécois » (Rouillard et al., 2004, p. 2). L’État entreprend une décentralisation et une désinstitutionnalisation des services du réseau public et renvoie aux communautés et aux organismes communautaires un certain nombre de responsabilités assumées jusqu’ici par l’État. Les OC qui assument déjà une part dans la distribution des services en santé et services sociaux subissent les contrecoups du nouveau rôle adopté par l’État. En regard de cette orientation, les OC adoptent eux aussi des positionnements différents face à cette nouvelle réalité dans leur rapport à l’État. Ce positionnement se retrouve au sein des discours des rapports d’activités face à l’État et au réseau public. Par ailleurs, il importe ici d’apporter certaines nuances à cette catégorisation construite, à partir des discours tenus dans les rapports d’activités et la typologie inspirée de Savard et Proulx (2012). Ainsi, nous parlons davantage de tendances. Il faut voir dans ces tendances, et dans certains cas, des positionnements stratégiques pour faire face à la conjoncture actuelle. Bien entendu, certains éléments peuvent se retrouver à la fois dans l’une ou l’autre des postures types.
Nous présentons ces postures et discours types qui émergent des rapports d’activités à partir des sept dimensions suivantes : 1) le type de rapport ; 2) les acteurs visés par le rapport ; 3) la relation à l’État ; 4) la fonction utilitaire du rapport ; 5) les valeurs et orientations énoncées dans les rapports ; 6) la vision des services communautaires ; 7) l’autonomie de l’organisme, son positionnement et celui des membres.
Le discours supplémentariste
Le rapport de supplémentarité se distingue par l’offre de services uniques, non dispensés par l’État, suppléant ainsi à l’absence de services. Savard et Proulx (2012, p. 28) donnent la définition suivante au rapport de supplémentarité :
Dans le rapport de supplémentarité, l’établissement ou l’organisme public met en place des services publics en fonction des « préférences moyennes » de la population, mais accepte de soutenir en partie les « préférences minoritaires » prises en charge par les organismes du tiers secteur. Ceux-ci répondent donc à une demande laissée vacante par les services publics, et il y a reconnaissance mutuelle du rôle joué par les deux types d’organisation. Les organismes du tiers secteur peuvent également être mis à contribution pour l’élaboration des politiques et des programmes publics.
Il y a ici, une reconnaissance de l’État des services apportés par l’organisme, on peut même parler de reconnaissance mutuelle, comme l’indique Proulx (2012). Et certains rapports d’activités s’inscrivent dans cette logique supplémentariste. Ces organismes pallient une absence de services du milieu institutionnel et étoffent l’offre de services pour une catégorie de personnes.
Le discours complémentariste
On retrouve également au sein des discours issus des rapports d’activités une logique complémentariste. Duval et al. (2005) proposent une définition intéressante :
La logique complémentariste vise à l’intégration des ressources communautaires et institutionnelles dans un continuum de services structurés. Elle met en évidence le rôle de dispensateurs de services des organismes communautaires appelés à inscrire leurs pratiques en continuité avec les orientations définies par le réseau public, et ce, en vue de favoriser une organisation plus efficace et fonctionnelle des services sociaux et de santé
Fontaine et al., 2005, p. 29
Ce rapport de complémentarité, comme l’indique Duval et al. (2005) s’inscrit dans une hétéronomie par rapport à l’offre des services. Dans cette optique, les organismes communautaires doivent répondre à certaines obligations de services.
Le discours entrepreneurial
Ce type de discours nous apparaît émergent. Les rapports teintés du discours entrepreneurial présentent des activités et leurs résultats bien étoffés sur le plan des statistiques. Cette démonstration chiffrée illustre les résultats des activités, fruit des investisseurs, produit de tous les acteurs — intervenants de la ressource, membres, acteurs financiers. Selon les intervenants interrogés, cette démonstration « plaît habituellement aux investisseurs, au milieu des affaires ». Le rapport devient ici une « carte de visite » importante pour la recherche de fonds. Le développement de projet constitue un axe prioritaire de ces organismes. On essaie de se distancier de « l’image communautaire ».
Les organismes deviennent en quelque sorte des investisseurs et des entrepreneurs, faute de moyens financiers décents. On développe des stratégies financières pour pallier aux besoins, développer des projets pour les membres ou rendre accessible et améliorer la ressource. Bien que plusieurs organismes soient obligés d’aller à la quête de financement, ce qui marque ce discours dans les rapports se perçoit aussi dans la manière de dire et de faire, l’approche marketing, la logique d’affaires, le lien naturel et normal établi entre investissement et résultats en insistant moins sur les processus. Cette logique se traduit aussi dans les outils de gestion et parfois dans l’approche des ressources humaines illustrée.
Enfin, on voit également persister le discours autonomiste qui renvoie à la nature même de l’action communautaire autonome, tel que défini par la politique de reconnaissance de l’AC en 2001, c’est-à-dire avoir été constitué par et pour la communauté et être enracinée dans sa communauté, poursuivre sa propre mission dans une optique de transformation sociale, faire preuve de pratiques et approches larges axées sur la globalité des problèmes. En ce sens, il s’agit de pouvoir démontrer un processus de collectivisation des préoccupations de la population et démontrer la capacité de l’organisme de s’inscrire dans un espace d’expérimentation, d’innovation, de services adaptés aux aspirations des personnes (Jetté, 2008 ; Fontaine, 2013).
Le discours hybride
Bien entendu, cette catégorisation n’inclut pas tous les rapports ; certains rapports sont hybrides, soit porteurs de valeurs et/ou d’orientations nommées dans plusieurs catégories distinctes. En exemple, certains rapports possèdent un discours autonomiste, ou supplémentariste et présentant un portrait statistique éloquent — tableaux, schémas, économie faite par l’État grâce au bénévolat, décrivant leurs actions en soulignant le sens et leurs visées, le développement réalisé.
On a pu voir, dans les rapports, un organisme communautaire avec un discours supplémentariste, revendiquant une autonomie, en adoptant à la fois, une direction entrepreneuriale, par une quête de fonds importante pour le maintien et le développement des activités. Certains organismes mettent beaucoup d’énergie à faire des levées de fonds « libres », c’est-à-dire de l’autofinancement leur permettant une plus grande autonomie provenant de sommes qui ne sont pas liées à des mesures de reddition de comptes. Les levées de fonds témoignent à la fois d’une volonté d’autonomie et d’une nécessité de pallier des manques à gagner provoqués par le financement insuffisant de l’État.
ÉlÉments de discussion
Cette catégorisation démontre l’hétérogénéité du mouvement communautaire à travers ses discours et ses positionnements entre divers secteurs d’intervention et parfois au sein même d’un secteur. Par ailleurs, l’hétérogénéité des positionnements adoptés par les organismes peut parfois conduire à certaines tensions/conflits idéologiques, de valeurs, de finalités et vision des services au sein des organismes et entre les différents secteurs d’activités, surtout lorsque les postures adoptées s’opposent ou les modes d’action s’éloignent de l’action communautaire autonome.
Les discours émergents identifiés au sein des organismes — et des secteurs — sont des tendances identifiées et non des normativités énoncées au sein même des organismes et secteurs d’activités. Cette lecture des discours reflète, avec les nuances faites au début de ce chapitre, le rapport entre les organismes, l’État et la reddition de comptes. L’analyse met en évidence la diversité des valeurs, des postures adoptées par les organismes et leurs revendications à l’égard de l’État : « Le mouvement communautaire se développe dans un rapport de tension entre un pôle misant sur la mobilisation et l’enracinement dans le milieu par les revendications et l’expérimentation sociales, et un pôle aspirant à une relative institutionnalisation par une participation active à l’organisation des services sociosanitaires » (Duval et al. 2005, p. 9).
Le positionnement des acteurs présuppose des valeurs et celles-ci ont des conséquences directes sur la vie de l’organisme, sur les membres, sur la communauté, le développement démocratique des pratiques et des stratégies posées pour faire face aux enjeux. Dans le contexte de reddition de comptes, dans une perspective de valorisation communautaire, certains organismes répondent avantageusement aux critères exigés par la reddition de comptes. Ce résultat n’est pas étranger aux ressources financières et force collective de l’organisme permettant une mobilisation des acteurs.
L’analyse de cette typologie démontre quatre enjeux dans un contexte de mutation de la gouvernance de l’État : 1) une reddition de comptes de plus en plus lourde par les bailleurs de fonds se voulant indirectement un contrôle des fonds publics et alourdissant du même coup les tâches administratives au détriment du travail terrain ; 2) l’évaluation des activités par les bailleurs de fonds influence l’ACA sur le plan de ses rôles, de son autonomie, de ses valeurs et s’inscrit dans des logiques multiples ; 3) la rationalisation des budgets atteint directement tous les acteurs, les activités et les missions ; 4) ces mutations appellent à de nouvelles exigences de gestion, de nouveaux défis administratifs appelant à un changement de profils des dirigeants des organismes conduisant à une tendance à s’éloigner de la mission plus traditionnelle de l’ACA.
Par ailleurs, dans la typologie, la notion et les enjeux d’autonomie sont rapportés de manières singulières, selon les acteurs et leur posture. Les enjeux d’autonomie sont nombreux, soit par rapport à l’État, mais également l’autonomie des membres, de la communauté, ou encore l’autonomie des équipes de travail face aux administrateurs, l’autonomie des organismes face aux bailleurs de fonds, et dans le choix et l’adoption des pratiques, des approches et des orientations.
CONCLUSION
Cet article traite des enjeux entourant l’autonomie des organismes communautaires du secteur de la santé et des services sociaux par le biais des résultats d’une analyse de 200 rapports d’activités des organismes. Ces résultats, bien qu’ils comportent certaines limites quant à la généralisation des enjeux, mettent en perspective la diversité des actions des OCA, de leurs valeurs, de leurs postures et de leurs revendications à l’égard de l’État.
Toutefois, la question de la reconnaissance des organismes communautaires autonomes pour ce qu’ils sont dans leur rôle fondamental constitue un enjeu de fond de leur autonomie. Le volet qualitatif de l’intervention sociale est absent des rapports étudiés en raison de la logique quantitative qui mobilise le processus de reddition de comptes. Cet aspect étonne, surtout dans un contexte de reconnaissance de l’autonomie des groupes communautaires par la loi 120, car c’est dans cet espace du lien, de l’accompagnement, de l’intervention — peu importe sa méthode et son approche — que les acteurs du communautaire donnent sens à leur quotidien, qu’ils se reconnaissent. Les organismes ont le défi de s’approprier le processus de reddition de comptes aux fins de leurs finalités sociales en affirmant leur identité, par la valorisation de leurs actions, ils ont des vocations autres que celles du milieu institutionnel, ils sont nés de la communauté et évoluent en proximité avec les citoyens. Cette légitimité fonde leurs choix, leurs pratiques, leurs revendications, leur autonomie. Toutefois cette autonomie, au sein d’un mouvement très hétérogène mériterait d’être réaffirmée dans un discours plus cohérent qui lui donnerait une portée revendicatrice plus forte.
Appendices
Notes biographiques
Lise St-Germain est directrice du Centre de recherche sociale appliquée (CRSA), un organisme de recherche autonome. Elle cumule plus de vingt ans de pratique professionnelle en intervention sociale auprès des individus et collectivités et près de 10 ans d’enseignement en travail social. Ses recherches portent sur l’analyse des pratiques sociales (communautaires, institutionnelles, publiques) en matière de pauvreté et exclusion dans les domaines du développement social et communautaire et du développement des communautés. Elle est spécialisée dans les formes de recherche collaborative (recherche-intervention, recherche-action, recherche participative, recherche évaluative.
Josée Grenier est professeure au module de travail social à l’Université du Québec en Outaouais au campus de St-Jérôme. Ses intérêts de recherches sont la transformation des pratiques en travail social et les conditions de travail, les politiques publiques croisées aux services de santé et aux services sociaux, la pratique réflexive/la supervision en travail social, la gérontologie, la précarité/vulnérabilité sociale, l’éthique/la bioéthique. Elle est également chercheure au CÉRIS, CRI-VIFF et à l’ERTS.
Mélanie Bourque est professeure au département de travail social à l’Université du Québec en Outaouais, au campus de St-Jérôme. Ses intérêts de recherches sont la transformation de l’État dans le domaine de la protection sociale. Elle se spécialise en analyse des systèmes de santé. Elle est chercheure au Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES). Ses plus récentes publications portent sur les réformes du système de santé québécois.
Danielle Pelland détient une maîtrise en travail social réalisée à l’Université du Québec en Outaouais. Ses études ont été sanctionnées par des mentions d’excellence et honorées par les médailles académiques d’argent et d’or du Gouverneur général. Elle poursuit actuellement un doctorat en Sciences humaines appliquées à l’Université de Montréal. Ses intérêts de recherche portent sur la judiciarisation des personnes ayant un trouble grave de santé mentale. Elle s’intéresse également au lien social, à la stigmatisation, à la violence structurelle, de même qu’au respect des Droits humains des populations marginalisées de la société.
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