Le dossier : Repenser la famille, renouveler les pratiques,adapter les politiques — PARTIE 2

Familles, science et normes juridiquesNouvelles régulations[Record]

  • Denyse Côté,
  • Isabel Côté and
  • Sylvie Lévesque

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  • Denyse Côté
    Département de travail social, Université du Québec en Outaouais
    Denyse.Cote@uqo.ca

  • Isabel Côté
    Département de travail social, Université du Québec en Outaouais
    Isabel.Cote@uqo.ca

  • Sylvie Lévesque
    Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ)
    fafmrq.sylvie@videotron.ca

On étudie encore souvent les familles en vase clos, sans référence à leur ancrage social. Or chaque société doit assurer sa relève démographique et la façon dont elle y parvient s’accompagne habituellement d’un ordre spécifique et de justifications normatives (Seccombe, 2005). L’organisation de la reproduction et le contrôle de la fertilité restent des enjeux centraux pour toute société. Et, ni stable ni homogène, la famille a pris selon les époques des formes variées, les modes de production permettant l’émergence de modèles qui, à leur tour, empêchent ou limitent le développement d’autres formes familiales (Seccombe, 2005). Depuis la période gréco-romaine, la famille occidentale a été conçue comme composante centrale d’une sphère privée associée à la satisfaction des nécessités de la vie. Domaine pré-politique, la famille était vue comme inégale et même violente par définition, les personnes assignées à son service (femmes, esclaves, enfants) devant être contrôlées. Son évolution et, en particulier, la révolte romantique dont Jean-Jacques Rousseau a été l’un des théoriciens auront permis la découverte de l’intimité (Arendt, 1983) et marqué l’antagonisme entre enfantement et travail salarié. Les dynamiques intra et extra-familiales sont aussi encore fortement imprégnées par les rapports institués entre hommes et femmes, ou régimes de genre (Connell, 1996). Les femmes ont rarement été en mesure de contrôler leurs propres capacités reproductives. Sur cette base s’est établie une division sociale du travail qui les a consignées à l’éducation des enfants. En effet, partout où les femmes ont dû se retirer du travail non domestique pour une longue période, leur pouvoir sur l’environnement social et politique a diminué, de même que la responsabilité masculine pour le soin et l’éducation des enfants. De plus, les savoirs et les compétences propres à la prise en charge des enfants et des adultes dépendants ont chroniquement été sous-estimés. L’inégalité des sexes, l’assignation des femmes à la maternité et l’indissolubilité du mariage, fondements du régime de genre dont nous avons hérité, sont actuellement en perte de vitesse. De nouvelles normes familiales apparaissent, très éloignées de ces anciennes normes théocratiques ou psycho-médicales : elles sont désormais basées sur les droits de la personne, l’égalité et l’autonomie individuelle. La famille n’est plus la cellule de base des sociétés occidentales : l’individu l’a remplacée. La famille constitue désormais un réseau d’échanges interindividuels et intersubjectifs, autonomes et électifs, plutôt qu’un réseau de parenté ou d’alliance. Toute règle sociale normative apparaît alors comme une intrusion dans l’espace individuel. La recherche de l’authenticité individuelle provoque à son tour la diversification des familles. Le couple devient aussi plus précaire, plus privé et conçu comme un itinéraire commun sous l’égide d’une quête de liberté (Théry, 1998). Fragilisée par l’autonomisation des individus, l’institution familiale connaît par contre déjà un certain regain de popularité : on en redécouvre les vertus protectrices (Commaille et Martin, 1998). Les traditionalistes y voient – et souhaitent – un retour à la famille nucléaire comme cellule autonome et libre de l’intervention de l’État. Issus des classes moyennes et intellectuelles, les postmodernistes y voient plutôt l’émergence d’une famille autorégulée composée d’acteurs responsables de leur histoire familiale, inventant des moyens nouveaux d’être heureux ensemble et y retrouvant un lieu privilégié d’innovation et de liberté. Mais tous ne partagent pas cet idéal postmoderne de recherche de soi : de nombreux individus ont besoin d’apprendre et de respecter des règles, de savoir avec certitude comment ils doivent se conduire dans les étapes successives de leur cycle de vie (Commaille et Martin, 1998); ils se retrouvent alors trop souvent sans points de repère. Les modèles postmodernes font aussi complètement abstraction des habitus et de la culture familiale des classes populaires, éternelles absentes de la …

Appendices