Article body
Rappelons que le fil conducteur des articles du numéro précédent qui ne faisaient pas partie du dossier thématique était la question de l’individualisation des problèmes sociaux. Plusieurs des articles hors dossier thématique du présent numéro, de même que l’entrevue avec les militants d’Occupons Montréal et le débat sur l’adoption internationale, semblent suivre le même fil mais pour en contrer le processus. Qu’il s’agisse de contrer l’individualisation des problèmes d’inégalités socioéconomiques, ou l’individualisation des problèmes associés à la nouvelle gestion du travail social et l’individualisation des diagnostics en travail social, ou encore l’isolement des jeunes en situation de précarité, le contenu de ces articles contribue à nourrir les réflexions entourant le renouvellement démocratique des pratiques en interrogeant les pratiques hétéronomes limitant le déploiement d’un agir autonome, autant chez les intervenants que chez les destinataires de l’intervention.
Dossier thématique
Ce dossier constitue la deuxième partie du dossier du numéro précédent (vol. 24, no 2). La thématique de la famille se poursuit donc avec les mêmes coresponsables, Denyse Côté et Isabel Côté, toutes deux professeures en travail social à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), et Sylvie Lévesque, directrice de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ).
Vous retrouverez dans cette deuxième partie du dossier six articles abordant des thèmes très variés et qui font l’objet d’une présentation par les coresponsables. On pourra donc y lire des articles traitant des contraintes normatives que des familles ayant choisi de ne pas avoir d’enfant subissent, de la violence conjugale en contexte de garde partagée, des transformations de l’engagement au sein des liens conjugaux, du rôle des pères dans l’alimentation du nourrisson, des formes de parentalité dans le contexte des nouvelles configurations des familles, et des rapports intergénérationnels entre des femmes réfugiées au Québec. Un écho de pratique sur la médiation familiale en situation de violence conjugale accompagne les articles scientifiques.
L’entrevue
L’entrevue de ce numéro a été réalisée par Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et Élisabeth Côté, étudiante à la maîtrise en travail social à l’UQAM. Ils ont échangé avec trois militants et militantes du mouvement Occupons Montréal, Kristian Gareau, Josianne Millette et Valérie Provost, sur leurs motivations et leur analyse de cette expérience inédite de mobilisation citoyenne qui ne constituait pas un groupe de pression traditionnel. C’est sur la base d’un sentiment d’injustice devant les écarts grandissants dans la répartition de la richesse que ce type de mouvement a pu voir le jour selon eux. Par ce geste d’occupation de l’espace public, en l’occurrence, le square Victoria, les militants et militantes tentaient de marquer l’importance et la nécessité d’exprimer publiquement des désaccords avec des orientations politiques et économiques qui ne respecteraient pas les fondements d’une société démocratique. L’espace public appartenant à tous et toutes, son occupation serait le dernier recours démocratique, lorsque tous les autres moyens institutionnels mis à la disposition des citoyens échouent à faire entendre une parole collective citoyenne critique. Pour ces militants et militantes, cette manifestation pacifique aura aussi été une occasion pour plusieurs d’apprendre à participer à la vie publique, à négocier avec les autorités municipales et avec les médias. L’expérience aurait favorisé des liens de solidarité, sans en exclure les personnes itinérantes qui se sont jointes à eux à un moment de l’épisode. Bref, une manière originale de contrer l’individualisation des problèmes d’inégalités socioéconomiques.
Articles en perspectives
Dans ce numéro, nous présentons deux articles dans la rubrique « Perspectives étatiques » et un article dans la rubrique « Perspectives citoyennes ».
Perspectives étatiques
Le premier article de cette rubrique s’intitule «Impasses éthiques des politiques sociales d’activation ». Il est signé par Audrey Gonin (UQAM), Josée Grenier (UQO) et Josée-Anne Lapierre (Centre de santé et de services sociaux [CSSS] Ahuntsic/Montréal-Nord). Présentant l’État social actif comme substitut politique de l’État-providence, les auteures mettent en commun les résultats de trois recherches auprès d’intervenants sociaux et de destinataires de l’intervention en France et au Québec. Ces recherches ont permis de documenter les enjeux éthiques qui traversent l’organisation du travail social au regard des visées d’efficacité et de performance dans la mise en oeuvre de ces politiques d’activation sociale. Ponctuée par des extraits d’entrevues des différents terrains de recherche, la présentation des résultats d’analyse transversale révèle un certain nombre de problèmes tels que la perte de confiance vis-à-vis de l’institution pour les intervenants; des effets délétères pour la qualité de l’intervention (démotivation, fatigue, standardisation de l’intervention bloquant la prise en compte des singularités, dominance de la rationalité économique); et des contradictions internes liées aux formes d’encadrement et d’évaluation de l’activité. Finalement, les auteures attirent notre attention sur les effets inhibiteurs que crée chez les intervenants l’encadrement gestionnaire codifié sur « un mode opératoire et procédural, sur la base d’objectifs, de normes et de bonnes pratiques comprises en tant qu’actes techniques à produire ».
Le deuxième article a été rédigé par Suzanne Dessureault, organisatrice communautaire en CSSS, et s’intitule « Les gestionnaires des SIPPE : entre sens du devoir et réciprocité ». L’auteure nous présente des résultats de sa recherche qui traite des repères normatifs guidant les pratiques de six gestionnaires ayant la responsabilité d’appliquer un programme québécois de prévention précoce en CSSS (les Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance [SIPPE] à l’intention des familles vivant en contexte de vulnérabilité). À l’aide d’entrevues semi-dirigées auprès de ce personnel-cadre, elle a exploré quatre dimensions normatives de leurs pratiques : théorique, subjective-intersubjective, éthique et politique. Après avoir défini ces dimensions, elle nous livre son analyse en mobilisant les représentations des répondants autour de plusieurs thématiques : leur conception de la pauvreté, la valeur accordée à leur rôle au sein de l’administration publique dans un contexte de nouvelle gestion publique (NGP), le sens de leur travail et leur identification à la culture gestionnaire de l’institution, les formes de prises en compte des destinataires du programme, de même que le rapport à l’expertise et aux experts, très présents dans la conception de ce programme, et finalement, la reconnaissance des parents et les formes d’engagement des gestionnaires. La conclusion de l’auteure met en lumière la présence de dilemmes moraux auxquels font face plusieurs gestionnaires qui ont à appliquer un programme pensé par des experts, mais aussi à en critiquer les failles, dont la prescription initiale de la durée et du degré d’intensité du programme auprès des jeunes parents.
Perspectives citoyennes
Comment mobiliser des jeunes en situation de précarité dans un mouvement de revendications collectives? C’est à cette question que répondent Élisabeth Greissler, doctorante en service social à l’Université de Montréal, et François Labbé, membre du Regroupement des Auberges du coeur du Québec (RACQ), et ce, à partir d’un projet d’action directe non violente appelé RAJE citoyenne. À partir d’une méthode d’observation participante, cette démarche d’actions collectives est analysée à travers son processus d’émergence en 2010 et ses actions qui se poursuivent actuellement. Inspiré par les stratégies d’organisation communautaire d’Alinsky, le Regroupement des Auberges du coeur a coordonné ce projet visant à mobiliser des jeunes en situation de précarité afin de répondre de façon collective aux problèmes d’accès à l’aide sociale et aux programmes de formation et de retour aux études du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale du Québec. Il s’agissait de créer un « espace d’expérimentation d’une citoyenneté critique et engagée pour des jeunes fréquentant des Auberges ». Dans cet article, on fait état de plusieurs conditions (médias sociaux, rôle déclencheur du RACQ, etc.) qui ont permis l’existence de ce mouvement à travers ses actions de revendications auprès du ministère, et l’on discute aussi des limites inhérentes à tout « mouvement précaire reposant sur une participation suscitée ». On voit aussi très bien le rôle ambivalent, mais non moins décisif, des organismes communautaires dans l’émergence et le soutien à des démarches citoyennes. Les auteurs concluent sur des questions entourant la pérennité de ce type de démarche citoyenne.
Concours étudiant 2012
C’est avec plaisir que nous publions l’article gagnant de notre concours étudiant 2012. Il s’agit de l’article rédigé par Philippe Masson, étudiant à la maîtrise en travail social à l’UQAM, et intitulé « Évaluations psychosociales : culture du positivisme et enjeux éthiques ». L’auteur nous propose une analyse critique des modèles présidant à la mise en oeuvre de l’évaluation psychosociale (maintenant appelée évaluation du fonctionnement social) par les travailleurs sociaux. Après avoir défini cet acte professionnel, il identifie et décrit trois modèles à l’aide de la littérature traitant du sujet : interrogatif, protocolaire et dialogique, dont les deux premiers renverraient à la culture du positivisme qui règne actuellement dans les services sociaux et de santé. Le troisième représente pour l’auteur la voie alternative à promouvoir pour contrer notamment l’individualisation des problèmes sociaux que favoriseraient les deux modèles précédents. Ce constat fait, il poursuit son analyse en relevant trois enjeux éthiques en ce qui concerne ces deux premiers modèles, l’évaluation interrogative et l’évaluation protocolaire : 1. la catégorisation des destinataires; 2. l’individualisation des problèmes sociaux; 3. la gestion du risque. Il développe l’analyse de chacun de ces enjeux en considérant le contexte général de notre société où l’individualisation néolibérale des liens sociaux prend le pas sur celle plus sociale-démocrate favorisant davantage la responsabilité collective. Il termine en soulignant la nécessité de rééquilibrer le pouvoir des professionnels dans le contexte de cet exercice d’évaluation, et il montre en quoi le modèle dialogique de l’évaluation psychosociale peut contrer l’individualisation des diagnostics en prenant en compte les aspects subjectifs, culturels et structurels des destinataires de l’intervention.
Débat
Deux chercheurs.es spécialistes des questions d’intervention sociale en adoption internationale ont accepté notre invitation à débattre sur cette pratique sociale souvent controversée. Il s’agit de Nérée St-Amand, professeur en service social (Université d’Ottawa) et d’Anne-Marie Piché, professeure en travail social (UQAM). Nous les remercions chaleureusement. Voici la formule du débat proposée : à la suite d’un texte de départ rédigé par
Écho de pratique du dossier
Désirant partager avec nous un bilan de sa pratique engagée dans l’intervention sociopsychanalytique, Françoise Inizan-Vrinat, membre de l’Association pour la gestion des activités sociales et psychologiques (AGASP) — Groupe Desgenettes (Paris, France), nous offre un article traitant des expériences d’application d’un dispositif d’expression collective des élèves sur leur vie scolaire en France. S’inscrivant dans l’optique d’une socialisation des jeunes, elle présente d’abord les fondements théoriques sous-tendant le dispositif dont le concept « d’actepouvoir » indiquant ici une problématisation liée aux questions de démocratie participative. Comment des élèves du primaire et du secondaire peuvent-ils exercer leur part de pouvoir dans leur institution scolaire ? Est-ce possible et comment ? Voilà les questions auxquelles l’auteure répond en abordant autant les aspects méthodologiques de façon pratique que les effets produits et les pièges pouvant être rencontrés avec ce type bien spécifique de médiation. L’auteure termine son article avec une réflexion sur les transformations des rapports à l’autorité et sur la nécessité d’en mesurer l’impact sur les jeunes et la société.
Bonne lecture !