Abstracts
Résumé
Nous connaissons mal les réalités des parents qui apprennent que leur jeune est gai, lesbienne ou bisexuel. Cet article présente l’analyse de contenu d’entrevues menées auprès de 12 parents d’un jeune GLB. L’entrevue porte sur le contexte familial pré-coming out, les changements des dynamiques conjugale, parentale, familiale et sociale à la suite du coming out, et l’impact des réactions parentales sur le bien-être identitaire et psychosocial du jeune. Les analyses révèlent 10 dimensions de réactions parentales regroupées dans les catégories suivantes : préoccupations parentales avec l’orientation sexuelle du jeune et soutien social. Ces dimensions peuvent être utiles aux intervenants qui oeuvrent auprès des familles avec un jeune GLB.
Mots-clés :
- homosexualité,
- coming-out,
- parents,
- jeunes,
- identité sexuelle
Abstract
We know very little about parental reactions after learning their child is gay, lesbian, or bisexual (GLB). This paper presents the content analysis of interviews with 12 parents of a GLB child. We examined the family context before coming out, changes in conjugal, family, parental and social dynamics after coming out, and the impact of coming out on the child’s identity and wellbeing. The analyses showed 10 dimensions of parental reactions classified under two categories : parental preoccupations with child’s sexual orientation and child’s social support. The dimensions can be of clinical use for family intervention with families of GLB youths.
Keywords:
- homosexuality,
- coming-out,
- parents ,
- youths,
- sexual identity
Article body
Introduction
Le présent article vise à présenter les résultats d’une étude qualitative d’entrevues menées auprès de parents à la suite du dévoilement de l’orientation sexuelle (coming out) de leur jeune en tant que gai, lesbienne ou bisexuel (GLB). Il s’agit d’une étude partielle réalisée au Québec dans le cadre d’un plus vaste programme de recherche portant sur les problématiques familiales en lien avec l’homosexualité. Ces dernières années, les adolescents ou jeunes adultes s’identifient ouvertement comme gais, lesbiennes ou bisexuels à un âge plus jeune que celui des cohortes précédentes ; en fait, plusieurs dévoilent leur identité alors qu’ils vivent encore chez leurs parents et dépendent financièrement de ces derniers (D’Amico, Julien et Chartrand, 2008 ; D’Augelli, 2006 ; Rosario, Schrimshaw et Hunter, 2004 ; Savin-Williams et Reams, 2003). À cet effet, les chercheurs observent une grande diversité de trajectoires développementales de l’identité des GLB ainsi que des circonstances dans lesquelles ils font leur coming out, que l’on se réfère aux moments, aux manières de le faire, aux motifs qui le déclenchent ou aux personnes choisies pour le faire (Dubé et Savin-Williams, 1999 ; Savin-Williams, 2001).
En raison de la nature unique de la relation entre un enfant et sa famille d’origine, l’appréhension du dévoilement aux parents peut accentuer le stress lié au statut de minorité sexuelle (Meyer, 2003). Cela dit, si la majorité des jeunes font leur coming out d’abord à un ami ou à une autre personne proche avant de le faire à leurs parents (D’Augelli, Hershberger et Pilkington, 1998), ils ont en commun le désir prononcé d’être près de leur famille afin de mener leur vie de personne gaie, lesbienne, bisexuelle de manière libre et authentique (Savin-Williams, 2001).
L’étude initiale de notre programme de recherche s’est penchée sur les réponses à des questionnaires de 164 jeunes GLB québécois (D’Amico et Julien, 2012). L’étude révèle que les jeunes qui ont divulgué leur orientation à leurs parents, comparés aux 53 jeunes qui ne l’ont pas divulguée à leur famille, rapportent des prévalences moindres de consommation de substances au moment de l’étude. L’étude indique un effet protecteur de la famille dans certaines circonstances tout en soulignant l’importance de mieux comprendre les caractéristiques des familles dont les jeunes se sentent exclus.
Cela dit, parmi les jeunes GLB qui ont dévoilé leur orientation à leur parent, l’étude de 2012 montre que l’acceptation et le rejet des parents durant l’enfance et leur vie de jeunes adultes, tels que rapportés par le jeune GLB, affectent les jeunes GLB dans leur développement identitaire et psychosocial actuel. Lorsqu’ils décident de s’ouvrir à leurs parents, les jeunes GLB doivent en effet confronter les risques associés aux réactions immédiates et à long terme de leurs parents (D’Augelli, 1991). Notre programme de recherche vise entre autres à évaluer, d’une part, la nature des réactions parentales au dévoilement de leur enfant et, d’autre part, les effets des réactions parentales sur le bien-être identitaire et psychosocial des jeunes. Présentement, plusieurs cliniciens possèdent des ressources limitées pour répondre adéquatement aux demandes d’aide de la part de parents et de jeunes GLB aux prises avec des difficultés d’adaptation lors du dévoilement identitaire des jeunes. L’obtention de données initiales sur la nature des réactions parentales se veut un premier pas vers l’évaluation de leurs effets sur le bien-être des jeunes. À terme, les résultats pourront faciliter le repérage et l’évaluation de zones particulièrement sensibles chez les parents et les enfants concernés, et ultimement la production d’outils d’intervention adaptés aux familles avec enfant GLB.
Contexte théorique
Pour bien comprendre les effets possibles du coming out aux parents sur l’identité sexuelle des jeunes GLB, il importe d’abord de clarifier les choix théoriques, issus du domaine de la psychologie développementale, qui ont orienté notre étude.
Le modèle de développement de l’identité sexuelle de Savin-Williams et Diamond (1999) nous apparaît des plus intéressants pour comprendre la fonction des réactions parentales dans le développement de l’identité de leur enfant. Selon ces auteurs, le développement de l’identité sexuelle des jeunes GLB se compose de deux processus intimement reliés. Dans un premier temps, les jeunes se questionnent sur les normes sociales hétérosexuelles qu’ils ont internalisées et ils interprètent les caractéristiques de leur vécu qui leur sont contraires. Dans un deuxième temps, les jeunes dévoilent leur orientation homosexuelle ou leurs expériences homosexuelles à des membres de leur réseau social. En retour, la nature des réactions sociales peut affecter le développement sexuel du jeune et son bien-être psychosocial. Des réactions positives venant de personnes significatives permettent aux jeunes de nommer et de normaliser les émotions et cognitions nouvelles qu’ils sont en train de vivre. En revanche, des réactions négatives intensifient le questionnement et l’anxiété vécus par les jeunes. C’est d’abord et avant tout à travers la relation dialectique entre le questionnement et le dévoilement aux membres du réseau social que les jeunes définissent et consolident leur identité sexuelle. Davies (1992 : 75) écrit : « le dévoilement aux autres redéfinit constamment la conception de soi, alors que le développement d’une identité propre active le processus de dévoilement » (traduction libre). À cet égard, la nature (positive, négative) des réactions parentales pourrait être un déterminant critique du développement d’une image de soi positive ou négative chez les jeunes GLB (Beaty, 1999 ; Savin-Williams, 2001). Voyons l’état des lieux des connaissances empiriques sur les réactions des parents au dévoilement de l’orientation sexuelle de leur enfant.
Contexte empirique : réactions parentales à la suite du dévoilement de l’orientation sexuelle de leur enfant
Les recherches sur la vie adulte montrent que le succès psychologique, social et occupationnel des enfants devenus adultes valide la perception de compétence parentale chez les parents (par exemple, Ryff, Schmutte et Lee, 1996). Or, dans une société où l’homophobie persiste (CDPDJ, 2007 ; Herek, 2002), apprendre que son enfant est gai ou lesbienne ou bisexuel suscite chez certains parents des sentiments d’incompétence parentale, d’aliénation, d’échec par rapport à leurs attentes et de rejet des valeurs qui leur sont chères (Beeler et DiProva, 1999 ; Saltzburg, 2004 ; Strommen, 1989). Des auteurs (par exemple, Robinson, Walters et Skeen, 1989) soutiennent que les parents éprouvent les étapes ordonnées du processus de deuil (déni, colère, marchandage, dépression et acceptation ; Kubler-Ross, 1969), mais la recherche clinique montre plutôt que les parents empruntent une variété de trajectoires (Beeler et DiProva, 1999 ; Ben-Ari, 1995 ; Cramer et Roach, 1988 ; Savin-William et Dubé, 1998). Certains vivent un malaise en raison de la contradiction entre, d’une part, l’amour qu’ils ont pour leur enfant et, d’autre part, leur propre perception négative de l’homosexualité de même que celle des personnes de leur entourage. Dans certains cas, le coming out exacerbe une relation déjà problématique entre le parent et l’enfant, alors que dans d’autres, il solidifie la relation (Boxer, Cook et Herdt, 1991 ; Savin-Williams et Ream, 2003). Lorsque l’enfant « sort du placard », certains parents « entrent dans le placard » (Goldfried et Goldfried, 2001), se désengagent de leur fonction parentale et se retirent socialement (Saltzburg, 2004). Pour plusieurs parents, les réactions négatives initiales diminuent à mesure qu’ils intègrent cette nouvelle réalité de l’homosexualité de leur enfant sur les plans cognitif et social (Goodrich, 2009 ; Robinson et al., 1989).
Problèmes méthodologiques des études sur les réactions parentales à la suite du dévoilement de leur enfant
Mentionnons d’emblée que les études empiriques sur les réactions parentales proviennent presque toutes des États-Unis et que les avancées légales et sociales particulières au contexte canadien et québécois dans le domaine des minorités sexuelles au cours de la dernière décennie commandent des études canadiennes et québécoises. Ces recherches comportent aussi plusieurs limites que nous avons tenté de dépasser dans l’étude présentée dans cet article.
D’une part, la plupart des recherches sur les réactions parentales reposent sur des données recueillies auprès des jeunes GLB ayant fait leur coming out et ayant été questionnés sur les réactions de leurs parents de même que sur les effets ressentis de ces réactions sur leur propre bien-être. Cette méthode de collecte d’information pose des problèmes dans la mesure où les réactions parentales décrites par les jeunes peuvent être biaisées par le contexte dans lequel elles se sont formées et par des facteurs propres au jeune, comme ses attentes. Elles peuvent ainsi indiquer de fausses associations entre ces réactions parentales et le bien-être des jeunes (Heatherington et Lavner, 2008). Dans l’étude présentée ici, les données sont recueillies directement auprès de parents de jeunes GLB. Il est vrai que quelques études utilisent des entrevues cliniques menées auprès de parents, mais, dans de telles études, les auteurs ne fournissent aucune information sur la méthode d’analyse utilisée.
D’autre part, les recherches de nature quantitative sur les réactions parentales utilisent des questionnaires pour mesurer ces réactions et comprennent généralement une seule question sur la valence des réactions parentales, en utilisant une échelle d’intensité de type Likert (par exemple, qui s’étend de « très négative / n’apporte aucun soutien » à « très positive / très supportante »). Les résultats sur la valence ouvrent la question de la diversité des formes spécifiques de réactions parentales au-delà de la polarité positive-négative. De leur côté, Willoughby, Malik et Lindahl (2006) ont créé une échelle composée de 32 énoncés répartis dans huit dimensions théoriques de réactions parentales. Toutefois, ces dimensions théoriques n’ont aucune assise empirique et soulèvent la question de la validité de leur contenu. Dans l’étude présentée ici, nous avons procédé à une analyse de contenu d’entrevues semi-structurées auprès de parents de jeunes GLB.
Outre les problèmes liés à la validité du contenu relatif aux réactions parentales, les quelques études qui ont questionné directement les parents de personnes GLB ont utilisé des échantillons de parents sans considérer la variabilité des niveaux de bien-être de leur enfant, soit au regard de l’intégration identitaire, soit à celui du bien-être psychosocial. Une particularité de notre étude réside dans le fait que, pour cette analyse des contenus d’entrevues, nous avons échantillonné des parents sur la base des indicateurs de bien-être de leur enfant GLB, d’une part, et que, d’autre part, ces indicateurs ont été recueillis de manière indépendante auprès des enfants GLB de ces parents. Notre but était d’identifier des parents dont les enfants éprouvent des difficultés d’adaptation (identité et bien-être psychosocial) et des parents dont les enfants n’éprouvent pratiquement aucune ou très peu de difficultés d’adaptation. Théoriquement, cette approche reposait sur la présomption que, lorsque des enfants ont des difficultés identitaires et psychosociales, leurs parents auront une plus grande probabilité de révéler lors des entrevues des réactions négatives au dévoilement de leur enfant et vice versa.
Finalement, alors que les parents dans les recherches antérieures provenaient de groupes de soutien de parents d’enfants GLB, notre étude a utilisé une méthode de recrutement ciblant une grande diversité de milieux en dehors des organismes de soutien aux parents.
Objectif de l’étude
L’objectif de l’étude dont nous présentons les premiers résultats est de développer empiriquement un modèle des formes spécifiques de réactions parentales au coming out de leur enfant GLB. Les résultats de l’analyse de contenu d’entrevues semi-structurées avec des parents permettront d’élaborer ce modèle. À notre connaissance, notre étude est l’une des premières à analyser les formes spécifiques de réactions parentales au coming out de leur enfant, en procédant à l’analyse systématique de contenu d’entrevues individuelles menées auprès de parents. Du point de vue de notre programme de recherche, ce modèle servira à évaluer empiriquement la contribution des parents au développement identitaire et psychosocial de leur jeune GLB.
Méthode
Participants
L’étude originale comprend deux phases, le présent article portant sur la deuxième phase. Dans la première, 164 jeunes GLB âgés de 14 à 25 ans ont été recrutés grâce à la collaboration d’organismes de soutien aux jeunes GLB (30 %), par des annonces dans les journaux (19 %) et la méthode « boule de neige » (51 %) pour participer à une étude sur le développement de l’identité sexuelle. Ces jeunes proviennent de diverses régions du Québec dans les proportions suivantes : 52 % de grandes villes, 28 % de banlieues et 20 % de petites villes ou villages. Des questionnaires et les formulaires de consentement éclairé ont été remis directement aux jeunes GLB par les intervenants d’organismes de soutien ou ont été envoyés par la poste. À la réception des 164 questionnaires remplis, nous avons offert aux jeunes qui le désiraient de transmettre à leurs parents une lettre sollicitant leur participation à une entrevue individuelle pour une deuxième phase de l’étude. Les parents et les jeunes ont décidé d’un commun accord du parent, père ou mère, qui allait participer à l’entrevue. Cinquante-trois parents en provenance d’autant de familles indépendantes (27 mères et 26 pères non reliés entre eux) ont répondu à l’invitation. Ils se répartissent comme suit : 13 mères ayant un fils gai, 14 mères ayant une fille lesbienne, 11 pères ayant un fils gai, et 15 pères ayant une fille lesbienne. Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des parents interviewés et de leurs enfants. Aucune différence entre les sexes n’est observée pour ces mesures. Les 53 enfants GLB de ces parents ont des caractéristiques sociodémographiques comparables à celles des 164 jeunes de la première phase de l’étude.
Entrevues avec les parents
Deux femmes psychologues s’identifiant comme hétérosexuelles et un travailleur social s’identifiant comme gai, tous formés aux réalités des minorités sexuelles, ont mené les entrevues avec les parents. Le protocole d’entrevue a été élaboré suivant une revue de littérature sur les jeunes de minorité sexuelle, le coming out et les relations familiales. À l’aide de questions ouvertes, l’entrevue couvre 20 thèmes et sous-thèmes : éléments contextuels pré-dévoilement, les effets conjugaux et familiaux perçus à la suite du dévoilement, les effets perçus sur les relations à l’intérieur du réseau social, l’impact à long terme perçu du dévoilement sur l’identité et le bien-être du jeune. Les entrevues individuelles ont été menées à la maison ou au laboratoire et ont été enregistrées sur bande audio. La durée moyenne des 53 entrevues est de 80,10 minutes (écart type = 22,57). Il n’y a pas de différence liée au genre dans la durée des entrevues. La présente étude utilise seulement des portions de l’entrevue concernant les réactions parentales à la suite du dévoilement, ce qui constitue la majeure partie de l’entrevue.
Les résultats présentés dans cet article reposent sur l’analyse des contenus d’entrevue d’un sous-échantillon de 12 entrevues. Cette décision s’appuie sur le principe de saturation des données. Ce dernier principe correspond au point dans la collecte de données à partir duquel de nouvelles informations apportent peu ou aucun changement au cahier des codes. Dans leur étude sur la question de la saturation des données, Guest, Bunce et Johnson (2006) rapportent qu’après avoir mené une série de 60 entrevues dans deux pays, ils avaient créé 88 % du nombre total de codes développés après avoir analysé les 12 premières entrevues, et que les nouveaux codes identifiés à la suite des 12 premières entrevues n’ajoutaient rien de nouveau en substance et présentaient plutôt des variations sur des thèmes déjà existants.
Dans l’étude dont fait état cet article, nous avons tenu compte du genre des parents et du genre de leur enfant GLB en contrôlant la distribution suivante : l’échantillon de 12 parents est composé de quatre sous-groupes respectivement composés de trois mères de garçon, trois mères de fille, trois pères de garçon et trois pères de fille.
Dans chacun des sous-groupes de parents, nous avons sélectionné trois parents ayant respectivement un enfant avec un niveau faible, moyen et élevé de détresse psychologique. Pour faire cette sélection, nous avons utilisé l’information relative au niveau de détresse psychologique des jeunes tel que rapporté de manière indépendante par les jeunes dans leurs réponses aux questionnaires initiaux qu’ils nous avaient retournés par la poste. Leur niveau de détresse psychologique a été mesuré à l’aide de l’indice de détresse psychologique de l’enquête Santé Québec 1998 (IDPSQ-14, Daveluy et al., 2000), adaptation du Psychiatric Symptom Index (Ilfeld, 1976), dans lequel les jeunes, à l’aide d’une échelle de fréquence en 4 points allant de 1 (jamais) à 4 (très souvent) rapportent la fréquence de symptômes associés aux états dépressifs et anxieux, aux troubles cognitifs et à l’irritabilité durant le dernier mois. Pour identifier l’indice propre à chaque jeune, nous avons utilisé le score moyen aux 14 items. La version française de ce questionnaire respecte les normes de validité et de fidélité définies par la communauté scientifique (Deschesnes, 1998 ; Préville, Potvin et Boyer, 1995).
Parmi les enfants GLB des 12 parents sélectionnés, 10 enfants, cinq garçons et cinq filles, s’identifient comme gais ou lesbiennes et deux autres, un garçon et une fille, s’identifient comme bisexuels. La moyenne d’âge des 12 jeunes est de 21 ans (écart type = 2,43). La plupart des jeunes ont divulgué leur orientation sexuelle à au moins un des parents depuis un à trois ans, alors que trois jeunes (25 %) l’ont fait depuis quatre ans et plus. Les caractéristiques sociodémographiques des 12 jeunes et de leurs parents sont comparables à celles de l’échantillon total des 53 dyades.
Procédure de l’analyse de contenu des entrevues
Premièrement, deux chercheures (Ph.D. et M.A.) ont écouté chacune de leur côté deux entrevues de parents, puis elles ont résumé et transcrit le matériel pertinent aux réactions parentales au coming out (Kvale, 1996). Deuxièmement, elles ont discuté de leurs impressions générales quant aux éléments communs aux deux entrevues ou quant à ceux qui les distinguent, puis ont établi une liste initiale de catégories de manière à pouvoir classifier l’ensemble des énoncés d’entrevue. Troisièmement, pour chacune des 12 entrevues de parents, chaque chercheure, de manière indépendante, a écouté l’entrevue pour avoir une vue d’ensemble, écouté de nouveau l’entrevue en résumant et transcrivant le matériel pertinent aux réactions parentales, et classé les énoncés en utilisant la liste initiale de catégories. Quatrièmement, pour chaque entrevue, une rencontre de suivi entre les deux chercheures a permis, par consensus, de restructurer la liste initiale de catégories, de mieux définir les catégories, de créer de nouvelles catégories et d’en regrouper d’autres.
Résultats
Au terme de l’analyse, l’ensemble des énoncés des 12 entrevues ont été classés sous dix catégories (que nous appellerons dimensions), lesquelles ont ensuite été regroupées en deux domaines : 1) les préoccupations parentales liées à l’orientation sexuelle de l’enfant et 2) le soutien parental.
Domaine 1. Préoccupations parentales liées à l’orientation sexuelle de l’enfant
Tous les parents interviewés ont exprimé des préoccupations marquées relativement à l’orientation sexuelle de leur enfant. Certaines de ces préoccupations étaient encore présentes lors de l’entrevue alors que, après un certain temps écoulé après le coming out du jeune, d’autres s’étaient estompées. On observe beaucoup de variabilité dans l’ampleur des préoccupations, certains parents en vivent beaucoup et de manière intense alors que d’autres en témoignent peu au moment de l’entrevue. Ces préoccupations émergent sous la forme des six dimensions suivantes.
Dimension 1 : Sentiment de détresse parentale. Le sentiment de détresse du parent est la préoccupation parentale la plus souvent exprimée et elle prend différentes formes. La détresse est composée le plus souvent d’émotions négatives ressenties lors du coming out (11 des 12 parents en parlent), tel le choc, le sentiment de désorientation et de perte de repères, la peine, la tristesse ou la colère. Ainsi, des parents rapportent : « j’ai pas dit un mot, mais en dedans, ça a brûlé comme du feu » ; « une claque sur lagueule n’aurait pas fait plus mal » ; « je suis tombée en bas de ma chaise »…
Les deux tiers des parents interviewés mentionnent la peur de l’homophobie et la peur liée au risque de victimisation vécue par les minorités sexuelles dans notre culture. Les difficultés auxquelles leur enfant sera confronté, telles que les préjugés et les obstructions institutionnelles, mais aussi, pour les garçons, la crainte liée à l’exposition au VIH. Par exemple, des parents mentionnent : « ça me fait terriblement peur, encoreaujourd’hui. Je n’aimerais pas qu’il se fasse casser les deux jambes » ; « c’est plusdifficile pour une personne homosexuelle que pour les autres d’avancer dans la vie : lejugement des autres, la diminution, les barrières… la fermeture… même quand ce n’est pas ouvertement dit… ».
La moitié des parents expriment être déçus concernant leurs attentes envers leur enfant, tel le cours normal de la vie conjugale hétérosexuelle et la grand-parentalité traditionnelle. Une mère mentionne : « devoir faire le deuil de l’image du couplehétérosexuel », alors qu’un père regrette la fin de ses aspirations : « ma fille, c’était lenombril du monde, la 7e merveille du monde. Après son coming out, ce n’était plus ça, c’était une fille normale, comme tout le monde… ».
Cinq parents rapportent des sentiments de détresse qui se sont exprimés sous forme de conflits sur le style de vie de leur enfant. Ces désaccords concernent les partenaires multiples de leur enfant, leur manière de s’habiller, les fréquentations, le travestisme ou le choix du partenaire au moment du coming out. Dans plusieurs cas, le parent attribue son malaise ou sa détresse à ces facteurs plutôt qu’à l’orientation sexuelle comme telle. Voici des exemples : « au début ce n’était pas si pire, mais quandon a vu qu’il en passait un après l’autre, ça, vraiment, je l’ai pas pris du tout ! » ; « rien àfaire, je n’étais pas capable de la sentir ! » (en parlant de la partenaire de sa fille) ; « Peut-être que, si elle avait été avec une autre, j’aurais réagi autrement… mais les voir ensemble me dérangeait sans limite… ».
Enfin, cinq parents expriment des sentiments de culpabilité et se croient responsables de l’homosexualité de leur enfant, soit par leur présence limitée à la maison, ou encore en raison de leur divorce. Une mère explique : « je suis convaincue que c’est de ma faute, j’ai manqué à ma tâche, mon devoir de mère n’a pas étécorrectement accompli… ». Une autre dit « je me questionne, en fait ça n’arrêtera pas,je vais me questionner toute ma vie sur ce que j’ai pu faire de pas correct… ».
Dimension 2 : Sentiment de malaise social. Plusieurs (9 parents) évoquent être mal à l’aise face à certaines personnes de leur entourage, hésitent à mentionner l’orientation sexuelle de leur enfant par crainte de leur rejet et jugements négatifs. Voici deux exemples : « au travail, je n’en parle pas, c’est un milieu beaucoup trop fermé. Si ça se sait, est-ce que ça va faire du niaisage ? … j’ai vraiment pas besoin de çamaintenant ! » ; « ce qui me gêne, c’est par rapport à mon beau-père ; il a 78 ans, est-cequ’il a vraiment besoin de savoir ça… ? C’est des situations comme ça qui se répètent et me gênent… ».
Dimension 3 : Sentiment de doutes quant à la stabilité de l’orientation sexuelle de son enfant. Les deux tiers des parents expriment douter de la stabilité de l’orientation sexuelle de leur enfant. Parlant de son fils, un père mentionne « s’il trouve une fille, je suis convaincu qu’il finira par changer de cap… ». Un autre évoque « ça peut être un passage, comme ça peut être définitif, mais ça peut être une histoire passagère… je l’ai lu dans les journaux… ».
Dimension 4 : Tentatives d’influence du parent pour changer l’orientation sexuelle de leur enfant. Trois parents rapportent avoir tenté délibérément d’influencer le choix de l’orientation sexuelle de leur enfant. Par exemple, un parent explique : « j’ai de longues discussions avec lui, j’essaie progressivement de le convaincre de changerde bord… ».
Dimension 5 : Efforts du parent pour obtenir de l’aide. Devant les difficultés qu’ils éprouvent, les deux tiers des parents rapportent avoir tenté de trouver de l’aide à la suite du coming out de leur enfant : besoin de consulter, d’en parler à quelqu’un, un spécialiste, un ami, besoin de comprendre, de faire du sens, de s’informer, soit par le biais d’organismes sociaux, de lignes téléphoniques, d’émissions de télé, Internet, ou autre. Ainsi une mère rapporte : « je suis allée voir des lesbiennes, leur parler, voir leurs différences… ». Un père mentionne « je regarde Sortie gaie, c’est intéressant, ça montre toutes sortes d’aspects auxquels je n’aurais pas pensé… ».
Dimension 6 : Sentiment de difficultés à accepter, intégrer la réalité de leur enfant. Un peu plus de la moitié des parents (7) déclarent avoir des difficultés à accepter l’orientation sexuelle du jeune en exprimant une certaine réserve. Certains d’entre eux tentent de restructurer cognitivement leur vision de la nouvelle réalité, faisant ainsi lentement un travail menant à une plus grande acceptation. Voici des exemples : « je résiste encore, c’est difficile, mais avant tout j’aime ma fille, c’est la peur de la perdre qui me fait l’accepter… » ; « je ne considère pas son homosexualité comme normale… mais au fond, je me dis : Elle fait quoi de pire que les autres ?… ». Un père dit de sa fille « si elle est heureuse et que je ne la vois plus parce que son homosexualité me dérange, en bout de ligne, qu’est-ce que ça va me donner à moi ?… ».
Domaine 2. Soutien parental et familial
Malgré les préoccupations marquées des parents par rapport à l’orientation sexuelle de leur enfant, tous les parents ont exprimé le souci de soutenir leur enfant dans sa réalité. Cette apparente contradiction dénote, à divers degrés, la tension vécue par les parents dans leur cheminement d’adaptation à la réalité. Comme dans le cas des préoccupations parentales, on observe une large variabilité quant à la quantité et la qualité de soutien offert par les parents, qu’il s’agisse de leurs propres situations et d’actions des membres de leur famille. Très marqué chez certaines familles, il est moins présent dans d’autres. L’analyse a permis de faire émerger quatre dimensions de soutien parental et familial.
Dimension 1 : Soutien parental direct. Le soutien direct renvoie aux comportements de soutien agi par le parent en interaction avec son enfant GLB. En cours d’entrevue, tous les parents ont exprimé divers degrés de sollicitude envers leur enfant, souci de son bien-être, respect de ses choix, encouragement de ses démarches, empathie pour les difficultés liées à son orientation sexuelle. Certains expriment un amour inconditionnel de leur enfant. En voici des exemples éloquents : « je lui ai dit : “que tusois aux gars ou aux filles, tant que tu n’es pas aux petits oiseaux, je veux avant tout que tu sois bien !” » ; « si mon gars est heureux dans la vie, je vais l’appuyer de tout ceque je peux faire » ; « je trouve ça le fun qu’elle m’en parle, qu’elle en parle à SA mère » ; « j’ai parlé comme on fait avec nos enfants : “Faut faire attention, tu vas peut-être perdre des amis” » ; « bon dieu, je me mets à sa place, ça devait pas être facile de faire son coming out ! » ; « je lui ai dit : “C’est pas parce que tu es gai que je ne t’aimerai plus, ça n’a aucun, mais aucun rapport !” ».
La majorité des parents (10) rapportent vouloir protéger et défendre leur enfant contre les réactions négatives possibles de l’entourage, comme la divulgation sélective en fonction des personnes de l’entourage de leur enfant ou des tentatives auprès des membres de la famille pour favoriser une plus grande acceptation. En voici des exemples : « j’ai demandé la permission à mon fils avant de le dire aux grands-parents et à la famille ». « mon fils ne voulait pas que j’en parle à son père, alors j’ai respecté ça » ; « J’ai dit à ma fille : “t’es pas obligée de le dire à tout le monde, choisis ton monde” » ; « j’ai suggéré à mon fils et son chum d’être plus discrets dans les lieux publics… ».
La moitié des parents mentionnent une certaine forme d’implication parentale dans la vie sociale de leur jeune, soit en faisant des sorties dans des endroits GLB ou en s’impliquant dans un groupe communautaire GLB. Voici des exemples : « je suis allée dans un bar gai avec mon fils, il me présentait à ses amis, c’était le fun » ; « à la parade [gaie], je marchais en avant avec le drapeau, j’étais vraiment fier d’afficher qu’un parent peut soutenir son enfant ! » ; « je vais dans un groupe d’entraide parentale avec ma fille » ; « on a fait l’émission de Claire Lamarche ensemble, c’était très spécial… ».
Dimension 2 : Soutien direct de la vie amoureuse de l’enfant. Une forme spécifique de soutien parental a émergé des entrevues et porte sur l’acceptation et la validation de la vie amoureuse homosexuelle de l’enfant. Tous les parents rapportent des énoncés concernant l’ouverture face à la présence du (de la) partenaire de leur enfant au sein de la famille. Voici deux exemples : « en fait, je ne m’y serais jamais attendu, mais c’est comme mes deux filles ! » ; « on est tous allés souper chez les parents de son chum, une vraie belle fête ! ».
Par ailleurs, cinq parents mentionnent accepter les manifestations affectives ouvertes entre le jeune et son (sa) partenaire, comme « ils se tiennent les mains, ça ne me dérange pas » ; « j’ai dit : En autant que vous soyez discrets, c’est correct, ce serait la même chose s’ils étaient hétéros » ; « c’est la même chose que pour ses frères et soeurs ».
Dimension 3 : Soutien parental indirect à l’enfant. La majorité des parents (11) rapportent qu’ils sont à l’aise de divulguer l’orientation sexuelle de leur enfant à certaines personnes de leur entourage ou de défendre la cause de l’homosexualité en société : « tout le monde au travail sait que mon fils est gai » ; « devant les blagues, je peux rire. Mais des fois, je ne trouve pas ça comique et je prends la peine de leur dire » ; « si en tant que parent je suis bien là-dedans, pourquoi ça dérangerait les autres ? ».
Dimension 4 : Soutien familial. Tous les parents mentionnent que les membres de leur famille immédiate (conjoint, ex-conjoint, fratrie) soutiennent et acceptent, à divers degrés, la situation de leur jeune. Par exemple : « ça n’a pas été un gros drame chez nous, son père n’a pas été surpris, il n’a pas fait de drame, sa soeur l’a bien accepté ». Dans le cas de la famille élargie (grands-parents, oncles, tantes, cousins et amis de la famille), les trois quarts des parents en rapportent des éléments positifs. Par exemple : « c’est comme ça et ils ont accepté que ce soit comme ça ; ils nous prennent comme on est, c’est vraiment précieux ».
Discussion
L’objectif de la présente étude visait à produire les premiers éléments d’un modèle empirique des formes de réactions parentales au coming out de leur enfant. L’intérêt de ce modèle, composé de deux domaines, difficultés personnelles du parent et soutien du parent à l’enfant, à leur tour composés de dimensions spécifiques, réside d’abord dans le fait qu’il émerge d’entrevues avec des parents d’enfants GLB, et non du rapport que les enfants GLB pourraient faire des réactions de leurs parents, ce qui constitue une réalité distincte. La plupart des parents vivent de la détresse à la suite du dévoilement de l’orientation sexuelle de leur enfant, réprouvent son style de vie, doivent faire le deuil des attentes hétérosexuelles et appréhendent les dangers auxquels il s’expose. Au-delà de ces résultats qui concordent avec ceux d’études antérieures (par exemple, Ben-Ari, 1995 ; Boxer et al., 1991), notre analyse permet de relever des modalités de réactions parentales qui vont au-delà des polarités positives et négatives : vertige, sentiment d’échec, doutes par rapport à la stabilité de l’orientation sexuelle de leur enfant, désir de modifier cette orientation, peur d’affronter leur propre entourage social, risque de rejet et de réactions négatives, partage avec leur enfant du statut minorisé. À partir du moment où les parents sont informés de la réalité de minorité sexuelle de leur enfant s’enclenche irréversiblement un processus d’adaptation par lequel le parent réussit ou non à négocier un difficile passage entre un état de personne éprouvée, sans réels modèles pouvant guider ses pas, et un état de parent aimant et responsable du bien-être de son enfant jeune adulte.
Notre analyse montre en effet que, malgré leurs difficultés et souvent en même temps qu’ils éprouvent ces difficultés, plusieurs parents ont à coeur de soutenir leur enfant, sous diverses formes. Pour certains d’entre eux, l’événement de dévoilement crée l’occasion de conforter leur amour inconditionnel et de confirmer l’ordre de leurs valeurs : le bien-être de l’enfant passe avant tout. D’autres parents s’érigent en défenseurs de leur enfant devant les réactions négatives de la part de personnes dans l’entourage du jeune, alors que d’autres s’impliquent dans l’univers social GLB ou dans des groupes de soutien. De plus, la plupart des parents soutiennent l’identité de leur enfant en accueillant les partenaires de même sexe au sein de leur famille, en dépit des difficultés qu’ils éprouvent parfois à être témoin des démonstrations d’affection entre les deux amoureux ou amoureuses.
De manière intéressante, l’analyse montre que les parents éprouvent des émotions contradictoires, oscillant entre le positif et le négatif, dans un cheminement vers une nouvelle identité, celui de parent d’un enfant de minorité sexuelle. Rappelons que les jeunes de la présente étude ont dévoilé leur orientation sexuelle à leur famille depuis un à trois ans. Il est possible que des distorsions de la mémoire aient affecté les résultats (Diamond, 1998 ; Friedman, 1993). Des recherches futures pourraient explorer longitudinalement, dans le temps réel, l’évolution du processus d’adaptation des parents à cette nouvelle réalité, identifier les points de rupture, d’échec ou de changement, de même que la fonction de leur propre dévoilement aux personnes proches de leur entourage dans l’acceptation ou la non-résolution des dilemmes que pose cette nouvelle réalité dans leur vie propre. Ce type d’information pourrait permettre de mieux outiller les professionnels pour aider les jeunes GLB autant que leurs parents à faire face aux difficultés d’adaptation à ce changement de leur réalité familiale. Il pourrait aussi contribuer à découvrir des manières de mener des interventions familiales axées sur le renforcement des ressources familiales.
Mentionnons d’autres limites de la présente étude que de futures recherches devraient considérer. En ce qui a trait à l’échantillon de petite taille et de sa composition, près du tiers des jeunes faisaient partie de groupes communautaires GLB. En ayant accès à diverses ressources, ces jeunes peuvent se distinguer des autres jeunes GLB quant à leur développement identitaire et leur bien-être psychosocial. De plus, la méthode de recrutement des parents peut avoir influencé la variabilité des réponses parentales. Il est possible que les parents qui ont participé à l’étude soient ceux qui, en dépit des difficultés rapportées, soutiennent le plus leur enfant et que les parents qui vivent les difficultés les plus intenses et qui ont du mal à intégrer cette réalité aient refusé de participer à l’étude. Étant donné que le coming out de l’enfant crée un déséquilibre cognitif et émotionnel chez plusieurs parents, ce qui entraîne une période de retrait social pour certains d’entre eux (Saltzburg, 2004), les parents les plus affectés pourraient avoir refusé de partager leur expérience.
Par ailleurs, une autre limite à souligner est que les familles étudiées sont relativement peu diversifiées en termes d’appartenance à une minorité culturelle. Des études récentes menées au Canada et aux États-Unis ont montré des différences culturelles dans le processus de coming out aux parents. Par exemple, dans une étude qualitative récente, des jeunes de minorité sexuelle et culturelle rapportent que la crainte de perdre le soutien de leur communauté culturelle, source d’identification de soi et de connection au sein de leur communauté culturelle, était une préoccupation majeure lors de leur dévoilement auprès des membres de la famille immédiate ou étendue, puisque ce soutien est leur rempart contre l’expérience de racisme et discrimination en raison de leur statut de minorité culturelle (Potoczniaka, Crosbie-Burnett et Saltzburg, 2011). On retrouve peu d’études empiriques sur les divers contextes culturels du développement de l’identité sexuelle des jeunes et des réactions parentales à la suite du coming out (D’Amico et al., 2008 ; Rosario, Schrimshaw et Hunter, 2004). La recherche future devrait cibler des groupes plus diversifiés de jeunes de minorité sexuelle et leurs parents.
Cela dit, dans l’ensemble, plusieurs dimensions spécifiques de réactions parentales ont été mises au jour pour la première fois dans la présente étude. Si les résultats de notre étude initiale montraient que les enfants GLB ayant divulgué leur orientation sexuelle à leur famille se portent mieux en moyenne que ceux ne l’ayant pas divulgué, les résultats présentés ici montrent la complexité du processus d’adaptation parentale chez les parents informés, bien au-delà de la simple polarité positive-négative. Dans l’esprit de l’objectif initial du programme de recherche qui consiste à évaluer l’impact des réactions parentales sur les jeunes GLB, il importe de mentionner que, dans l’étude qui a suivi celle dont il est question ici, le modèle présenté ici composé de dix dimensions regroupées en deux domaines a servi de base pour créer un système de codification des réactions parentales dans les 41 entrevues restantes (D’Amico, Julien, Tremblay et Chartrand, soumis pour publication). Cela a permis d’établir des liens entre les réactions parentales spécifiques et le bien-être identitaire et psychosocial de leurs jeunes. Nous avons ainsi pu mettre en lumière la pertinence variable des dimensions relevées, leur importance relative en fonction du genre des parents, ainsi que leurs effets négatifs et positifs sur les jeunes GLB.
Dans l’attente d’études supplémentaires venant confirmer l’importance des dimensions repérées dans l’étude présentée dans cet article, et dans l’attente de l’identification d’autres dimensions se rapportant à des populations spécifiques (par exemple, les familles partageant le statut de double minorité, culturelle et sexuelle), les intervenants auprès des parents et des jeunes GLB qui demandent de l’aide pourraient utiliser ces dimensions à titre d’outils-repères dans l’évaluation des difficultés d’adaptation et cibler ainsi des zones d’intervention possiblement fructueuses.
Appendices
Notes biographiques
Émilie D’Amico est psychologue au sein de l’équipe de santé mentale du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Dorval-Lachine-Lasalle et au Centre d’étude sur le trauma du Centre de recherche Fernand-Seguin. Elle s’intéresse au développement identitaire et aux réalités familiales des personnes appartenant aux minorités sexuelles de même qu’à la santé mentale et au traitement des troubles anxieux et de l’humeur. Elle co-signe avec Danielle Julien l’article « Disclosure of Sexual Orientation and Gay, Lesbian, and Bisexual Youths Adjustment : Associations with Past and Current Parental Acceptance and Rejection » (Journal of GLBT Family Studies, vol. 8, no 3, 215-242).
Danielle Julien est professeure titulaire au Département de psychologie à l’UQAM depuis 1987. Ses recherches portent sur les réalités conjugales et familiales en lien avec la diversité sexuelle. De 2006 à 2011, elle a été chercheure principale de l’équipe pancanadienne de recherche Sexualités, genres, vulnérabilité et résilience (SVR). En 2011, elle co-signait avec J. Vyncke « Development and Initial Validation of the Perceived Heterosexism Scale and the Preoccupation with Disclosure of Parents’ Sexual Orientation Scale » (Journal of GLBT Family Studies, vol. 7, no 4, 313-331).
Nicole Tremblay est psychologue en pratique privée et professionnelle de recherche au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. Elle a collaboré à plusieurs projets de recherche et à la rédaction de publications, notamment sur les questions conjugales et familiales en lien avec l’homosexualité. Elle possède une solide expérience de la recherche qualitative et de l’évaluation de programme. En 2008, elle a co-écrit « L’intervention auprès des couples de même sexe » dans J. Wright, S. Sabourin et Y. Lussier, Manuel clinique des psychothérapies de couple (Presses de l’Université du Québec).
Élise Chartrand est professionnelle de recherche au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut national de santé publique du Québec, principalement à titre d’analyste statistique. Diplômée de deuxième cycle en psychologie, madame Chartrand travaille sur les problématiques en lien avec les minorités sexuelles depuis 1988. Elle a co-écrit avec Danielle Julien « Recension des études utilisant un échantillon représentatif de population sur la santé des personnes gaies, lesbiennes et bisexuelles », article paru en 2005 dans la revue Psychologie canadienne (vol. 46, no 4, 235-250).
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