Cette section du numéro spécial de Nouvelles pratiques sociales (NPS) est consacrée au contenu des conférences publiques sur les enjeux normatifs de la prévention précoce, et qui ont été tenues à l’automne 2010 à Montréal, Sherbrooke et Longueuil rejoignant au total 250 participants. Ces présentations, suivies d’échanges avec des intervenants et des chercheurs, visaient à interroger les fondements théoriques, éthiques, politiques et cliniques de la prévention précoce, dont certaines approches tendent à s’imposer tant au Canada qu’en Europe. Ces activités sont le fruit d’un partenariat entre le milieu communautaire, celui des syndicats et de la recherche. Inquiétés par l’orientation comportementaliste de certaines conceptions de la prévention, et de leur mise en oeuvre au sein de programmes presque entièrement balisés par la Santé publique ou les fonds de la Fondation Lucie et André Chagnon (Fondation Chagnon), ces organismes partenaires se sont regroupés au mois de juin 2010 pour penser les conditions d’un échange public favorisant des regards critiques à ce sujet. Rappelons ici le contexte où la promotion d’un consensus moral autour de la prévention précoce avait déjà pénétré la culture professionnelle des Centres de santé et de services sociaux (CSSS), de même qu’au sein des institutions scolaires et des organismes communautaires. Qu’il s’agisse de campagnes de marketing social, de formations dirigées ou de sommets rassembleurs, la fabrication de ce consensus est fondée sur l’idée que la prévention précoce serait bonne en soi, car elle viserait le bien des enfants et des familles, qu’elle produirait des résultats attendus donc efficaces, tout en diminuant les coûts de système à long terme. Et finalement qu’il faudrait tous s’engager dans la mise en oeuvre des « meilleures pratiques » avec enthousiasme. Dans les institutions publiques et les tables de concertation, il est difficile, voire impossible d’exprimer une quelconque critique sans que ceux qui s’y risquent se fassent taxer « d’empêcheurs de tourner en rond » et vivent une certaine exclusion car perçus comme ne désirant pas vraiment le Bien des enfants ! D’autant plus que le principal argument soutenant cette certitude préventive de la précocité de l’intervention s’appuie sur les récentes découvertes de « La Science ». Comment remettre en question La Science lorsque, face à elle, on nous fait comprendre que nous sommes « seulement » un intervenant, un syndiqué, ou un parent ? Si, à la lumière de leurs repères théoriques et de leurs expériences pratiques, l’intervenant ou un parent ont un point de vue critique sur ce que la science leur dit sur le développement sain de l’enfant et les façons d’intervenir, on leur rappellera vite que ceux-ci risquent fort d’être dans l’erreur, car les recherches sont, elles, fondées sur des données probantes, donc plus objectives et crédibles. C’est d’ailleurs ce qui autorise et nourrit l’établissement d’un rapport d’autorité face aux gestionnaires, aux intervenants et aux parents (Parazelli et Dessureault, 2010), le tout bien géré par le management top-down de la Nouvelle gestion publique. Dès lors, pour les partenaires de ces soirées d’échanges, il importait de dénoncer ce faux consensus et d’ouvrir la discussion sur les points de vue critiques, autant des chercheurs que des intervenants, dont la parole peinait à s’exprimer et à être entendue dans l’espace public. Comme la science n’est pas homogène non plus, elle produit des représentations théoriques différentes sur le développement de l’enfant ainsi que des pistes d’intervention différentielles. C’est pourquoi il était important de permettre à d’autres regards théoriques et cliniques de se manifester sur ces questions afin de sortir de cet enrôlement infantilisant, en faisant des choix plus éclairés notamment. Trois objectifs ont donc été formulés en ce sens : Afin d’atteindre ces objectifs …
Appendices
Bibliographie
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