Le dossier : Une pragmatique de la théorie

L’examen des usages de la théorie en intervention sociale[Record]

  • François Huot and
  • Yves Couturier

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  • François Huot
    École de travail social
    Université du Québec à Montréal

  • Yves Couturier
    Département de service social
    Université de Sherbrooke

Évoquer le rapport entre la théorie et la pratique dans le champ de l’intervention sociale renvoie rapidement à deux débats importants. Le premier questionne l’efficacité de la théorie à conduire la pratique, notamment en regard d’approches, de paradigmes, de méthodes et de théories diverses (Lecomte, 1994, 2000). Le deuxième examine la nature des rapports entre savoirs théoriques et savoirs d’expérience (Racine, 2000 ; Schön, 1994). Dans les deux cas, la réflexion porte sur le rapport épistémologique entre la pratique et la théorie. Il y a maintenant dix ans, la revue Nouvelles pratiques sociales abordait ces questions dans le contexte d’un dossier portant sur les liens entre la recherche sociale et le renouvellement des pratiques. La différence marquée et la difficulté relationnelle entre le monde de la recherche et celui de l’intervention caractérisaient alors la problématisation de la situation. La situation n’a pas tellement changé depuis. C’est pourquoi, dans ce dossier, en parallèle et en appui aux importants débats sur les diverses manières dont la théorie peut guider la pratique sociale, et sur les rapports entre le monde de la recherche et celui de l’intervention, nous convions les lecteurs à faire un pas de côté. Nous suggérons d’étudier ces questions à partir de la pratique effective de la théorie en intervention sociale, de ses usages, de ses espaces, de ses points aveugles, de ses potentialités, de ses conditions de réalisation et de ses méthodes. Car, malgré la distance entre les deux univers, les praticiens et les praticiennes utilisent et produisent des connaissances théoriques à travers leur action et leur travail. Plutôt que de postuler la nécessité de bâtir de nouveaux ponts entre deux différents types de savoir, le théorique et le pratique, nous proposons d’explorer empiriquement les liens qui existent déjà et de voir comment la connaissance théorique est utilisée dans l’intervention ; en quelques mots, de développer une pragmatique de la théorie. Dans un contexte social caractérisé par une remise en question du rôle de l’État et des institutions publiques, par la dégradation persistante des conditions de vie et par la réduction des moyens mis à la disposition de l’intervention sociale, la pertinence d’un tel examen peut sembler douteuse. Devant une pratique dont les urgences de l’action sont telles, on pourrait également estimer, à juste titre et à bon droit, que la question du théorique ne peut se poser qu’en dehors de la pratique. Un tel choix aurait cependant comme effet de laisser la place à diverses modalités pragmatiques, désignées comme routines, habitus ou coups de mains (Soulet, 1997), qui prendraient la place du théorique et, à cause de leur caractère non explicité, demeureraient soustraites au débat social. Pour reprendre les termes de Lionel H. Groulx (1994), les thèses de l’homologie (le développement d’une pratique d’intervention basée sur des méthodes similaires à celles de la science) et celles de l’opposition (le caractère irréductible des deux types de connaissance) caractériseraient les rapports entre le monde de la recherche et celui de l’intervention. Ces deux thèses partagent un double postulat fondamental : que les connaissances générées par la pratique sont différentes de celles qui sont produites par une démarche de théorisation et que le rapport entre les deux systèmes de connaissance se ramène à un problème de traduction de l’un dans l’autre. Dans le premier cas, cette traduction est jugée possible et renvoie au développement d’un vocabulaire qui la rendrait possible et, dans le second cas, elle est vue comme irréalisable ; deux mondes condamnés à se côtoyer sans jamais pouvoir se comprendre. Tout en admettant le premier volet du postulat, l’idée de traduire une forme de connaissance dans une autre continue …

Appendices