Introduction

Actualité de la pensée de Frédéric François pour l’École[Record]

  • Catherine Boré,
  • Marie Carcassonne and
  • Marie-Laure Elalouf

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  • Catherine Boré
    CY Cergy Paris Université, ÉMA (ÉA 4507)

  • Marie Carcassonne
    Université Paris Dauphine PSL – IRISSO (UMR CNRS INRA 7170-1427)

  • Marie-Laure Elalouf
    CY Cergy Paris Université, ÉMA (ÉA 4507)

Parmi les nombreux travaux qui ont inspiré l’École dans le domaine du langage, se trouve la pensée singulière de Frédéric François, philosophe et linguiste, longtemps professeur à l’Université Paris-Descartes, et récemment disparu. Ce numéro voudrait, en lui rendant hommage, contribuer à une réflexion sur la question du langage à l’École, envisagée comme articulation du dialogue et du dialogisme. L’originalité de cette proposition consiste non seulement dans le couplage de deux champs souvent disjoints, mais aussi dans la décision de questionner ces champs à partir de la pensée de Frédéric François. Bien qu’il ait formé et influencé des générations de personnes chercheuses et enseignantes, on ne trouvera guère chez lui de «théorie» prête à penser. Son apport se situe plutôt dans une «orientation» inattendue pour envisager les objets langagiers, en dehors des références qu’offrent habituellement à l’École les disciplines contributives et les savoirs savants, qu’ils viennent des sciences du langage, de la littérature, des sciences de l’éducation, de la sociologie et de l’histoire ou de la philosophie. L’École, on le sait, est souvent à la recherche de modèles directement assimilables ou transmissibles. Elle est peu à l’aise avec la nuance ou l’incertitude quand il s’agit de rendre compte de la complexité des pratiques scolaires et des savoirs en jeu afin d’agir sur leur fonctionnement. C’est pourtant, plus que jamais, une nécessité pour qu’enseignements et pratiques restent libres et critiques. C’est pourquoi nous avons souhaité rappeler dans ce numéro combien la pensée de Frédéric François est éclairante aujourd’hui pour comprendre les problématiques scolaires et éducatives. Parmi les questions en rapport avec les apprentissages à l’école auxquelles nous invite la longue bibliographie de Frédéric François, nous relevons l’articulation du dialogue scolaire et du dialogisme avec lesquels les élèves et les maîtres sont aux prises. Penseur du dialogisme largement inspiré de Bakhtine, Volochinov, Vygotski et Medvedev, Frédéric François développe une pensée originale créatrice de notions où l’interprétation du déjà-dit, les significations «dessinées», les mouvements du sens, sont autant de tentatives pour dire qu’il n’existe pas d’explication univoque «totalisante» de la diversité du monde, en particulier des situations et des apprentissages scolaires. On sait que la perspective dialogique russe, renommée par certains auteurs (Morson et Emerson, 1990; Peytard, 1995; Bell et Gardiner, 1998) «cercle de Bakthine», a trouvé des redéveloppements très différents selon les pays de réception (Tylkowski-Ageeva, 2004; Sériot, 2007). En France, les théories de l’énonciation (Benveniste, 1970/1974; Culioli, 1990) ont, à la suite de Bally (1932), ouvert la voie à une interprétation linguistique de la polyphonie au niveau de l’énoncé, avec les travaux de Jacqueline Authier-Revuz (1982, 1995, 2020), qui cartographie la «représentation du discours autre», ou encore ceux de Ducrot (1984), qui élabore une théorie polyphonique des instances énonciatives. Pour sa part, François a proposé à la même période (1982, 1984a, 1984b) une approche dialogique du dialogue en insistant sur la dynamique de la circulation du sens et la création des significations permises par les «mouvements» de «continuité-déplacement» ou de «reprises-modifications» du discours des uns par celui des autres. Ainsi, contre un certain structuralisme encore dominant en France, il a insisté sur l’impossibilité de rendre compte du fonctionnement d’une production écrite ou orale de façon purement interne «puisque la relation ne s’établit pas entre un texte et un code, mais entre un discours et du déjà répété, modifié ou nié» (François, 1980a, p. 272). La notion de «mouvement» est proposée comme une entrée théorico-méthodologique permettant de cerner ce qui se passe et/ou ce qui bouge au sein d’un discours donné (oral ou écrit) ou entre un discours donné (in praesentia) et d’autres produits ailleurs (in absentia). Le sens …

Appendices