Abstracts
Mots-clés :
- enfance,
- filiation,
- pleureuse,
- dépression,
- folie,
- fée,
- arts,
- fiction,
- écriture,
- moire
Keywords:
- childhood,
- filiation,
- mourner,
- depression,
- madness,
- fairy,
- arts,
- fiction,
- writing,
- moire
Non, ça ne se passe pas toujours comme dans les contes et il arrive qu’au départ il n’y ait pas de fée. La plupart du temps d’ailleurs, les fées, leurs baguettes, leurs rouets, leurs aiguilles à tricot et autres outils restent à inventer. En l’absence de ces présages, il arrive même que les choses se présentent à l’envers et que ce soit sur le sein d’une mère éplorée qu’on se retrouve; que ce soit, dès l’origine, dans les bras d’une pleureuse qu’on échoue. Être si tôt confronté à la peine et aux larmes, qui finissent inévitablement par tout éclabousser, ce n’est peut-être pas plus mal, mais ça complique un peu l’affaire. Lorsque, par ailleurs, le naufrage s’explique en partie par le fait qu’on soit arrivé trop tard, il est difficile de ne pas se concevoir comme étant de trop et, pour tout dire, exclu avant même d’avoir franchi le seuil, d’être passé à l’accueil. La mère en pleurs, femme fragile aux yeux pers qui fait de son mieux, a beau raconter à son enfant, entre deux sanglots, qu’il est une offrande inespérée, un cadeau du ciel, et ils peuvent bien, tous les autres, le père et le choeur des frères, chanter, avec ardeur et enthousiasme, les louanges du poupon, on ne naît pas dupe et, forcément, le petit se méfie. Il comprend vite que de débarquer en novembre 1970, douze ans après la fratrie, la rafale serrée des grands frères, et quelques mois avant la fuite de la lignée à Toronto, c’est non seulement rater la famille, mais aussi esquiver le Québec, le folklore de sa grande tribu, la nation d’Épinal, et passer de justesse à côté de son Histoire, de la crise et de l’ouverture de son coffre de Pandore : une valise de Chevrolet abandonnée à Saint-Hubert avec le cadavre du ministre et les restes d’un espoir. Il aura, de surcroît, le loisir de découvrir, le petit, que de naître un 3 novembre, c’est également manquer de peu les morts en fête, n’entrevoir que quelques furtives lueurs de leur monde entre des portes qui battent dans le vide avant de se refermer. Cela fait beaucoup de rendez-vous manqués sous le crachin salé des lamentations maternelles, et ce fils, celui qu’on n’attendait pas, voit bien qu’il aurait intérêt à s’aménager une place en retrait, à l’écart du monde, de ce monde qui, n’ayant pas de temps à perdre avec les retardataires et autres déphasés, se profile déjà, pour lui, à bonne distance. Il ne peut qu’espérer parvenir à se creuser, avec ses modestes moyens, ses doigts encore débiles et ses ongles mous, un trou où se terrer à l’orée de cette fête qu’il a ratée, de ce bal auquel il aura toujours l’impression d’être arrivé au moment où l’on débarrassait les tables, passait le balai, mettait les derniers ivrognes dans un taxi. Mais les récits flatteurs de l’une et les encouragements et chants en falsetto des autres demeurent convaincants et il est bien tenté d’y croire, le petit. Il commet alors l’erreur de se sentir presque congru, de s’imaginer utile malgré les larmes et ses nombreux retards. C’est qu’il n’a pas encore lu Camus et que les parfums d’essence qui flottent tout autour le poussent à adhérer à ce qu’on lui raconte et, plus encore, à ce qu’elle répète, elle, sa pauvre mère persuadée que, sans cet enfant tout neuf, ce Cinquième, ce providentiel accident, elle aurait basculé sans tarder dans la vieillesse, se serait acheminée au pas de course vers l’agonie. C’est avec beaucoup de tendresse et à grands renforts d’Ave Maria et de messes, de chapelets et …