Le traitement des leucémies aiguës lymphoblastiques T (LAL-T) repose principalement sur des protocoles de chimiothérapie et de radiothérapie, lourds à supporter, et qui échouent pour environ 25 % des patients. Tout comme pour la leucémie myéloïde chronique (traitée avec l’Imatimib, inhibiteur de tyrosine kinase ciblé sur bcr-abl), la définition d’une thérapie ciblée sur les voies moléculaires impliquées dans la transformation des LAL-T pourrait améliorer ces traitements. La voie de signalisation en aval des récepteurs Notch, qui est spontanément activée dans les cellules leucémiques de près de 50 % des patients atteints de LAL-T [1], est à cet égard une cible particulièrement prometteuse. Les récepteurs membranaires Notch (il en existe 4, mais c’est surtout de Notch1 qu’il s’agit ici), après interaction avec des ligands présents sur d’autres cellules, subissent une cascade de clivages protéolytiques, notamment par la γ-sécrétase, qui libère leur partie intracellulaire qui agit ensuite comme cofacteur transcriptionnel ((→) m/s 2006, n° 8-9, P. 685). Chez les patients atteints de LAL-T, l’activation de Notch est souvent associée à des mutations du gène Notch1 qui augmentent sa sensibilité au clivage par la γ-sécrétase (mutations du domaine d’hétérodimérisation), ou qui entraînent des troncations dans la partie carboxyterminale augmentant l’activité de cette protéine [1]. Ainsi l’utilisation d’inhibiteurs de γ-sécrétase (IGS) est envisagée comme approche thérapeutique pour ces leucémies. Plusieurs questions restent cependant sans réponse : les IGS sont-ils efficaces comme moyen thérapeutique ? Quels sont les mécanismes qui conduisent à l’activation de Notch1 ? Lesquelles parmi les cibles de Notch1 sont responsables de ses propriétés oncogéniques ? La caractérisation par notre équipe d’un nouveau modèle murin de leucémies T dépendantes de Notch (souris IkL/L) [2] permettra d’aborder ces questions dans un système facilement manipulable. Les souris IkL/L portent une mutation hypomorphe dans le gène codant pour Ikaros [3], un répresseur transcriptionnel de la famille des protéines à doigts de zinc [4]. Plusieurs études ont impliqué Ikaros comme un gène suppresseur de tumeurs pour les leucémies/lymphomes T. Ainsi, des pertes alléliques, ou des mutations ponctuelles conférant à Ikaros une action dominante négative sont fréquemment détectées dans des lymphomes thymiques murins induits par des agents mutagènes ou par irradiation [5-7]. De même, toutes les souris IkL/L, comme celles dont le gène contient des mutations de type « dominant-négatif » d’Ikaros, développent des lymphomes thymiques [2, 8, 9]. Chez les souris IkL/L, les tumeurs émergentes sont détectées dans le thymus entre l’âge de 2 et 3 mois, évoluent souvent en leucémie, et tuent toutes les souris avant l’âge de 6 mois. La constance de ce phénotype fait donc de cette lignée un outil de choix pour appréhender les mécanismes impliqués dans la transformation des thymocytes. Grâce à une analyse du profil transcriptionnel, nous avons observé que plusieurs gènes cibles de la voie Notch (Notch1, Hes-1, Deltex-1, pTα) étaient toujours fortement exprimés dans les tumeurs IkL/L, indiquant l’activation de cette voie. L’activation récurrente de la voie Notch dans les tumeurs IkL/L a été confirmée par la présence abondante de formes clivées nucléaires de Notch1 (Figure 1). Cette activation est de plus un événement précoce, puisqu’on la détecte déjà dans les tumeurs émergentes. L’analyse des formes nucléaires de Notch1 dans les tumeurs IkL/L a par ailleurs révélé la présence fréquente (environ 70 % des cas) de formes clivées plus petites que la forme attendue de 120 kDa (Figure 1). Ces formes tronquées résultent de mutations ponctuelles dans les séquences codant la région carboxy-terminale, induisant un décalage de phase conduisant à la délétion du domaine PEST (impliqué dans la stabilité de Notch1). …
Appendices
Références
- 1. Weng AP, Ferrando AA, Lee W, et al. Activating mutations of Notch1 in human T cell acute lymphoblastic leukemia. Science 2004 ; 306 : 269-71.
- 2. Dumortier A, Jeannet R, Kirstetter P, et al. Notch activation is an early and critical event during T-Cell leukemogenesis in Ikaros-deficient mice. Mol Cell Biol 2006 ; 26 : 209-20.
- 3. Kirstetter P, Thomas M, Dierich A, et al. Ikaros is critical for B cell differentiation and function. Eur J Immunol 2002 ; 32 : 720-3.
- 4. Koipally J, Renold A, Kim J, et al. Repression by Ikaros and Aiolos is mediated through histone deacetylase complexes. EMBO J 1999 ; 18 : 3090-100.
- 5. Lopez-Nieva P, Santos J, Fernandez-Piqueras J. Defective expression of Notch1 and Notch2 in connection to alterations of c-Myc and Ikaros in gamma-radiation-induced mouse thymic lymphomas. Carcinogenesis 2004 ; 25 : 1299-304.
- 6. Karlsson A, Soderkvist P, Zhuang SM. Point mutations and deletions in the znfn1a1/ikaros gene in chemically induced murine lymphomas. CancerRes 2002 ; 62 : 2650-3.
- 7. Shimada Y, Nishimura M, Kakinuma S, et al. Radiation-associated loss of heterozygosity at the Znfn1a1 (Ikaros) locus on chromosome 11 in murine thymic lymphomas. Radiat Res 2000 ; 154 : 293-300.
- 8. Winandy S, Wu P, Georgopoulos K. A dominant mutation in the Ikaros gene leads to rapid development of leukemia and lymphoma. Cell 1995 ; 83 : 289-99.
- 9. Papathanasiou P, Perkins AC, Cobb BS, et al. Widespread failure of hematolymphoid differentiation caused by a recessive niche-filling allele of the Ikaros transcription factor. Immunity 2003 ; 19 : 131-44.
- 10. Beverly L, Capobianco AJ. Perturbation of Ikaros isoform selection by MLV integration is a cooperative event in Notch(IC)-induced T cell leukemogenesis. Cancer Cell 2003 ; 3 : 551-64.